Le Parc des Vergers

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J’ai vécu des scènes surréalistes dans ma courte vie, j’ai vu des keufs embrasser des mamas du quartier quand la France a gagné la coupe du monde, j’ai vu un immeuble entier cramer, on a démoli des soirées de bobos sur Paname déguisés en pingouin (ouais, j’ai fait ça), j’ai entendu Santiago réciter une prière en wolof avant de buter un mec, j’ai vu des moutons dans la cour de mon immeuble, mais aujourd’hui je crois que je devrais écrire un bouquin sur cette scène.

Pendant des siècles les mystérieuses pyramides ont agité les plus folles imaginations de la planète, et nous, quatre explorateurs aventuriers, après des courses poursuites en train, voiture, bicross et bazooka, mon appartement en feu, on se retrouve au 22ème étage d’un immeuble d’Evry, avec sur la table le coffre du trésor de Toutankhamon-Casper. Après avoir accumulé plus de tension que personne dans toute sa vie, j’ouvre finalement la boite de pandore pour révéler…

UN PUTAIN DE MICKEY EN FERRAILLE !!!

Une figurine de Mickey en fer de deux kilos trône sur la table basse devant le canapé, entre les calzonnes, le papier bulle et les mégots de joints. Je n’aurais jamais imaginé que tu nous fasses ça un jour mon pauvre Casper, même après ta mort tu es resté un connard, je t’aime de toute mon âme frangin, tu as fait fort là !

Sans y avoir vraiment réfléchi j’espérais que ce paquet aurait pût nous éclaircir sur toute cette histoire, et maintenant on se retrouve avec des cinglés qui crèchent du côté de chez Santiago, un appartement cramé, un jouet à l’effigie d’une souris à quatre doigts et un reste de pizza. Autant dire que, au moins, quand je courrais comme un dératé hier j’étais moins perplexe que maintenant ! Je vois difficilement comment ma vie pourrait être plus fun…

La sonnette carillonne à nouveau et je me dis que je n’aurais pas dû parler aussi vite : la mère de Casper est derrière la porte, en treillis/espadrille, la clope au bec. Ou quand le surréalisme confine au génie.

— Bon, les petits, maintenant il va falloir que vous soyez un peu clair avec moi. Qui a tué mon fils ? J’ai deux solutions : soit je reste dans ma cuisine à pleurer, soit vous m’aidez à y comprendre quelque chose.

Après un rapide topo sur les deux jours mémorables que je viens de passer, sans omettre le moindre détail, je lui tends le Mickey pour qu’à son tour elle se rende compte de l’impasse dans laquelle notre bande de bras cassés se trouve. Je crois même que j’ai réussi à lui soutirer un sourire.

— Vous attendez quoi alors ? Que je vous botte le cul ? Si vos mecs sont rentrés chez eux ça veut dire qu’on doit y aller maintenant, je me trompe ?

— Z’avez raison m’dame, sinon zamais on y comprendra rien !

Quel lèche-cul ce Miloud ! Et moi, j’ai pas le droit à cinq minutes de répit ?

Mehdi descend le premier, après tout c’est lui l’éclaireur. Après une bonne vingtaine de minutes on entend des sifflets qui montent depuis la cour, il a rameuté tout l’escadron. En arrivant en bas Tintin s’essuie le jogging de toute la sauce tomate de la pizza tombée pendant qu’il dévalait les escaliers.

— On prend ma voiture, j’ai six places.

Tintin, Miloud, Mehdi et moi on monte avec madame Lepuis, les autres en BMX nous rejoindront au plus vite. Il faut arriver à l’adresse indiquée sur le bout de papier avant que les tontons flingueurs n’aient le temps de réfléchir. Elle roule comme une éclaireuse de go-fast putain ! Tintin commence à regretter le calzonne triple fromage, Mehdi gueule à tout va galvanisé par la vitesse, et moi je ne veux pas mourir, juste ne pas mourir.

En moins d’un quart d’heure on se retrouve dans la zone industrielle du parc des Vergers, qui n’a de champêtre que le gazon du rond-point d’entrée. Personne n’est encore mort, la voiture a tenu bon, il faut maintenant trouver l’adresse. C’est grand une zone comme ça quand tu ne sais pas où tu vas, heureusement ce n’est pas le week-end et il y a d’autres familles égarées comme nous à la recherche d’un hypothétique bonheur à acheter. Entre les vendeurs de piscine, les ferrailleurs ou les usines de polystyrène, il y a ici tout le panel des producteurs qui agrémentent de l’autre côté de la chaine les égouts d’Evry et d’ailleurs.

Finalement c’est au bout d’une impasse que se dresse, majestueuse dans son écrin de déchets, l’entreprise Tout pour les Toilettes, compagne fidèle de vos étrons éclatants. On ne s’arrête pas, demi-tour vers l’entrée du site, maman Casper décide de nous emmener au Mc Bio, le Hamburger qui respecte tes artères, pour un plan d’attaque. Mehdi et les coureurs du tour de France vont rester toute la journée ici en reconnaissance tandis que Miloud, Tintin et moi, on va se trouver une planque pas trop loin en attendant que tous les exploités des succursales des exploiteurs rentrent chez eux manger un bon plat de pâtes bien mérité. Demain ils auront la chance de revenir faire du semi-bénévolat.

La nuit pointe le bout de son nez, et depuis notre planque on a une vue imprenable sur le toit de l’entrepôt à gogues. Je ne pensais pas qu’autant de monde avait des problèmes pour chier ! En revanche nos deux lascars à la gâchette facile n’ont pas l’air d’en avoir, on ne les a pas vu de la journée. Comme dans un film d’espionnage, Mehdi le malin attend que l’obscurité ait envahi les lieux pour venir au rapport : ils ont réussi à convaincre la mère de Casper de rentrer chez elle et n’ont rien remarqué de suspect dans l’après-midi, hormis la patrouille de sécurité : le conducteur de la Volvo de service est un vieux para connu dans toute la cité, c’est l’ancien vigile du Franprix… un vieux con qui nous a sorti quelque fois par les oreilles quand on était gamins. Après consultation de l’état-major, décision est prise d’investir les lieux une heure au moins après que les lumières à l’intérieur du magasin se seront éteintes.

Il est 21:38 à ma Casio quand on commence à descendre le talus qui mène au point d’orgues de ces derniers jours. Il ne reste que Tintin et Miloud avec moi, j’arrive le premier devant la porte arrière du magasin, Miloud fait le tour de la boutique et reviens avec un triomphal « z’est rien vu, y’a pas de caméra ». La clé de Casper est une grosse clé de sécurité, rien à voir avec le vulgaire barillet chinois de la serrure. Tintin joue les magiciens comme à l’époque où on visitait les maisons de bourges du 16ème, la porte s’ouvre en moins de quatre minutes. C’est le paradis du PVC et de l’émail à l’intérieur, Prince Delafon règne en maitre sur ce territoire. Quelque chose me turlupine quand même : si on est vraiment dans le repaire des grands méchants, si ces types sont prêts à faire exploser une usine, s’ils sont capables de me tirer dessus en plein centre-ville et en pleine journée, alors pourquoi c’est si simple de rentrer ? Est-ce qu’on ne s’est pas juste gouré ?

J’avance à pas de velours dans la boutique, persuadé qu’un molosse va nous sauter dessus à tout moment ou un truc pire encore. Je commence à me faire peur tout seul comme un grand, mon cœur s’emballe et mes mains deviennent moites. Miloud est resté dehors pour faire le guet, c’est bien la seule chose rassurante. J’attrape une brosse à récurer en fer comme arme de défense, au cas où on nous balance de la merde dessus, on ne sait jamais, et je me dirige vers l’arrière du magasin. Tintin m’appelle à cet instant, il ne peut pas s’empêcher de pouffer en me voyant arriver avec ma batte à chiotte. Il y a sous un modèle de trône d’exposition (190 euros quand même !) une trappe au sol. On attrape le bloc toilette avec jet d’eau intégré pour le déplacer. Au même moment une fanfare de klaxon éclate à l’extérieur, un peu plus loin dans la rue. Miloud entre en trombe « les gars ! faut qu’on dégaze » (sans mauvais jeu de mots on est au bon endroit pour ça), je soulève le panneau de bois et juste à l’aplomb apparait une échelle.

— On se casse, putain on se casse !

— Non vas-y je reste, ils vont vous voir partir, ils penseront qu’y a plus personne.

Tintin me regarde incrédule, l’espace d’un instant il pense rester ici mais comprend vite que son boulot c’est qu’on le voit partir pour que personne ne vienne me faire chier ici. Je descends l’échelle en replaçant bien la porte de la trappe, c’est reparti pour une balade sur le Styx.

C’est pire que dans l’appartement du vieux René ici, partout où ma Varta éclaire je ne vois qu’un capharnaüm sans nom. J’ai juste le temps de me trouver une planque derrière un carton que j’entends au-dessus des pas sur le plancher en bois. Pas de voix, le type doit être seul, ça doit être le vigile. Les pas vont et viennent dans le magasin pendant quelques instants, j’entends grommeler puis les pas repartent vers la porte de derrière. Je suis seul c’est bon.

Je reprends mon exploration, en me frayant un chemin entre les cartons, les tuyaux, les bouts de plastique cassés et les rats qui dégagent sous mes pieds. Il n’y a rien ici, rien que de la merde à chiotte ! Merde ! Tout ça pour ça. J’ai bien passé dix minutes à tout retourner dans ce foutu sous-sol, il est temps que je me casse de là.

C’est en m’agrippant à l’échelle que je remarque que : un, une caméra dernier cri me filme depuis que je suis descendu, deux, il y a une porte énorme derrière la caméra. Foutu pour foutu je me dis qu’il vaut mieux que je sache ce qu’il y a derrière avant de mourir. Je sors la clé de Casper qui cette fois-ci rentre parfaitement. La porte doit peser une tonne, en l’ouvrant je dégage tout un tas de cartons, elle n’a pas dû être ouverte depuis un moment. Il y a un interrupteur sur la gauche, le néon scintille et s’allume pour éclairer une pièce grande comme mon (feu) salon. Il y a sur une étagère plusieurs Mickey comme le mien, au centre de la pièce est installé un genre de fourneau artisanal, avec un moule à Mickey posé dessus. Pourquoi est-ce qu’une fabrique de figurines en métal a besoin d’être aussi bien cachée ? J’en attrape deux, les fourre dans mon sac, je referme la porte et remonte en vitesse à l’échelle.

Je soulève la trappe avec autant de précaution qu’un rat sortant des égouts pour rejoindre le monde des humains, il ne me reste que peu de temps si les tueurs ont été prévenus par la caméra. Ils ont dû bien rigoler en voyant ma gueule quand j’ai découvert qu’on me filmait. S’ils crèchent du côté de chez Santiago ils devraient être là dans… merde, c’est quoi ces phares dehors ? Une voiture arrive au bout de l’impasse qui mène à l’empire des chiottes, je sors en vitesse de ce piège à rats, vite, dehors avant qu’ils puissent me voir. Le vigile n’a pas refermé la porte et je me faufile à l’extérieur, à peine j’ai mis le pieds sur le béton de la cour arrière que j’entends gueuler au bout de la rue. De nouveau mon cœur accélère le rythme de la pompe, si je ne cours pas maintenant je vais mourir d’une attaque. Ou d’une balle de gros calibre. Les fenêtres volent en éclat sous les tirs venants de la voiture. Ne pas se retourner. Courir. Encore. Ne pas mourir. Encore. Eviter les balles. Encore. Aux championnats du monde de montée de talus à fond je rafle toutes les médailles. J’entends derrière des bruits de pas au galop. Juste le temps d’un coup d’œil au moment de passer le sommet de la butte pour voir une voiture engagée dans l’impasse, à l’arrêt et phares à fond, devant une autre en travers de la route. Apparemment ils n’ont pas pu arriver jusqu’à la boutique, ce qui me donne une (très) légère avance.

Je ne sais pas si vous avez déjà fait une visite touristique des abords de zone industrielle : les tas de merde que vous pouvez voir à l’intérieur ne sont que la partie émergée de l’iceberg de déchets qui jonche ce-qu’on-ne-voit-jamais-derrière-les-barrières. Je me sens comme un renard acculé par des tarés de chasseurs dans une déchetterie. Vis ma vie de bête traquée. Ma basket s’est prise dans une bouteille de Cajoline antédiluvienne (pas du côté de l’ourson mignon, rassurez-vous) et je commence à dévaler la pente sur une moitié de skis. Je suis en bas du talus quand les chiens pisteurs arrivent au sommet. J’ai gagné un peu de terrain je crois. Les tirs reprennent et j’ai juste le temps de sauter dans le déversoir-caniveau. Au centre une boue verdâtre, certainement hôtel à bactéries podophages, aspire inexorablement toute vie organique. Je cours à perdre Verlaine vers le tunnel au bout en priant que mes poursuivants n’aient pas le temps d’arriver dans le déversoir avant que je puisse l’atteindre. Je me débarrasse de la bouteille de soupline qui rythmait ma course un pas sur deux juste avant d’entrer dans l’obscurité du tunnel. Un signe du ciel que je ne me casserai pas la gueule ici : j’ai eu la présence d’esprit de garder ma lampe dans la poche. J’éclaire très rapidement devant moi et j’aperçois sur la droite une buse d’écoulement d’eau usée. Parfait. On fait moins le difficile quand on est poursuivi par deux ou trois mecs qui veulent ta peau, je rampe donc dans la glaise visqueuse des restes de votre bonheur vers un hypothétique salut, quelques parts entres les chiottes du Mc Bio et les évacuations de Jardiland. Les pas derrière moi raisonnent dans le tunnel, ils ne tarderont pas à comprendre le subterfuge quand ils s’apercevront qu’il n’y a plus personne devant eux. Le plus tard possible espérons-le.

Ça fait presque dix minutes que je me traine dans ce dégueulis dégueulasse ; un peu à l’inverse des prédateurs qui se roulent dans une charogne pour ne pas être senti par leur proie, j’empeste tellement que mes prédateurs s’enfuiront si jamais ils m’attrapent. A quelques mètres de là j’entends de voix provenant du niveau supérieur, juste au-dessus d’une grille d’évacuation. Avec la poisse que j’ai ces derniers temps je suis revenu sur mes pas et je suis pile sous la voiture des tueurs ! Merde et re-merde !

— Oui monsieur… oui... non... Non Monsieur, il est parti dans un tunnel et les gars l’ont perdu de vue…. Oui, on sait qui c’est... Non Monsieur, on a déjà mis le feu à son appartement… Bien compris Monsieur… Oui monsieur.

— Putain il est pas content Monsieur Magnani.

— Crétin, ça fait deux jours qu’on le piste ce petit merdeux, si on rentre bredouille on est mort.

— On peut pas retourner dans sa cité, on est grillés là-bas.

— Rien à foutre de tous ces cons, vous deux vous repartez là-bas et vous retournez tous le quartier jusqu’à ce qu’on ait sa tête ! ET VOUS RAPPORTEZ CE PUTAIN DE MICKEY !

Les portières claquent, au bruit du moteur c’est une grosse berline. Le cliché des mafieux en Merco. Et des Corses ou des Italiens en plus. Je suis marron. J’attends que le bruit disparaisse complètement pour soulever la grille, je suis effectivement au début de l’impasse. En sortant je me retrouve devant la calandre d’une Renault Espace : la voiture de Mme Lepuis ! Qu’est-ce qu’elle fout là ? Pas trop le temps de me poser la question, de l’autre côté de la rue j’aperçois son corps, allongé sur le bitume, la cervelle ayant décidé de faire bande à part coule encore du trottoir. Pourquoi elle est revenue ? c’est un peu grâce à elle que je suis encore vivant, s’ils avaient pu rouler jusqu’au bout de l’impasse je n’aurais certainement pas pu arriver jusqu’au tunnel. A ce moment je prends conscience de mon odeur, cumulée à la vision de son cerveau dégoulinant, mon estomac rend l’âme et le Spicy-Burger-Bio-Kebab en même temps.

Je suis dans un tel bourbier que je me sens l’égal d’un poilu de la première guerre ou d’un français à Dien Bien Phu, et comme tous les héros involontaires de ces guerres, au départ je ne demandais rien à personne. Enrôlé de force dans une histoire qui me dépasse. Et je pue. Et Mme Lepuis est morte. Et son fils aussi. Et les flics vont débarquer. Et les mafieux me cherchent. Et ma seule récompense dans tous ça c’est mes trois figurines Mickey.

C’est là, c’est à cet instant très précis, quand j’ai visualisé les Mickeys, que toute ma vie a basculé.

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