Cancùn

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Les chambres du Señor Coconut donnent directement sur la plage de Cancùn. Dans quelques années se sera un des pires coins à touristes du Mexique, mais pour l’instant les paillottes et les guest-house sur la plage ont un air de paradis, un peu comme celles qu’on voit sur les paquets de lessives avec des nénettes à peine majeures en maillot de bain super sexy. Comme Carlita, ou Paquita, ou je-sais-pas-qui-super-bombasse-allongée-dans-mon-lit. J’avais besoin de le dire à quelqu’un, il fallait que ça sorte.

— Et après ? Tu as fait quoi après ?

Après ? après j’ai pris la décision la plus insensée de toute ma vie. Reprenons.

S’il faut être taré alors ok, bande de bâtard. Vous venez de buter une maman, et ça, ça ne se fait pas. Les trois hommes de mains de ce Magnani sont repartis à la cité, les flics devraient mettre une bonne heure pour arriver. J’ai une fenêtre de tir d’une quarantaine de minutes. Je repars au magasin de chiottes, je retourne en enfer de ma propre volonté cette fois, et si je m’en sors je ne regarderai pas en arrière.

Avec tout ce que j’ai vécu ici je commence à m’y sentir un peu chez moi. Je refais le chemin en sens inverse jusqu’au fourneau en sous-sol. Il ne doit y avoir personne pour surveiller la caméra, je base maintenant mon destin sur des suppositions, plus le choix, plus le temps. Il est 22:31, le temps de comprendre comment fonctionne tout ça, de brancher le gaz, trouver les outils, les gants anti-chaleur, je commence à faire fondre le premier mickey à 22:58. Je répands le contenu sur le sol, la tâche de métal s’étale en une longue trainée orange. Je ne sais pas ce que je cherche mais ma logique se refuse à croire que des mafieux se cachent pour fabriquer des fausses figurines Disney alors qu’ils peuvent acheter des enfants chinois ou Indiens pour faire ça.

Je ne sais pas ce qui est le plus incroyable : d’avoir vécu tout ça, d’avoir raison quant à ma logique, ou de découvrir mes premiers diamants là, dans le métal en fusion ? Je ne le comprendrai que plus tard mais les statuettes sont en étain, juste recouvert d’une fine pellicule d’un métal plus solide, pour donner l’apparence de ferraille. Je les récupère avec une longue pince et les laisse refroidir quelques minutes meilleure conductivité thermique de tous les matériaux, ça refroidit en quelques secondes, ouais ma gueule !). Je n’ai jamais vu de diamants, c’est vrai que c’est beau ! Je suis encore ébahi par cette découverte quand mon regard se pose sur l’étagère avec les autres cachettes à diamants. L’étain fond très rapidement et tout est terminé à 23:22. Plus fort que l’Euro-millions, je suis maintenant l’heureux propriétaire de 61 diamants de la taille d’une bille. Qu’est-ce que je vais faire de ça ? Est-ce que je vais avoir le temps d’en faire quelque chose avant de mourir ?

Je sors de la pièce en refermant soigneusement la porte, j’éclate la caméra au passage, histoire d’être sûr qu’ils reviennent ici. J’ai quelques trucs à régler avant de retourner voir les potes. Quand je sors la zone est toujours déserte mais je repasse quand même par le déversoir pour en sortir. J’ai un peu plus de temps maintenant, personne à mes trousses. Je trouve une planque pour les diamants et je repars vers l’appart des frangins. Ça va être délicat d’être discret couvert de merde de la tête au pieds. Je dois à tout prix éviter les axes routiers, tout le monde cherche tout le monde en ce moment même. Je m’arrête dans une cabine téléphonique pour « signaler des coups de feu, la présence suspecte d’une voiture et une activité très inhabituelle dans le magasin de toilette du Parc des Vergers. Oui monsieur l’agent, il se passe vraiment des choses très étrange par là-bas ». Ça, c’est fait.

Il est deux heures et demie quand j’arrive enfin. Personne en bas de l’immeuble. Je sonne, personne… je n’aime pas ça du tout. J’appuie sur toutes les sonnettes jusqu’à ce que quelqu’un ouvre cette putain de porte. En arrivant au 22ème il y a une odeur de poudre. Pas un bruit. Ces fils de putes ne vont quand même pas descendre tout le monde autour de moi ? Il n’y a personne dans l’appartement mais ça a dû se jouer à peu. Je suis revenu dans la gueule du loup et il pue de la gueule.

En m’approchant de la porte je remarque au sol quelques gouttes de sang en direction de l’escalier de service. Ils sont là-haut ! Je rentre d’abord dans l’appartement, je sais où Miloud range sa batte, puis je repars direction l’escalier sur la pointe des pieds, on ne sait jamais. En arrivant au 27ème la porte qui mène au toit est ouverte, je passe la tête et je vois Miloud au sol et un des gorilles tient Tintin en joue du bout de son flingue. Je n’en vois pas d’autre. Ils ont dû se battre, vu la gueule de Tintin et la veste déchirée du type. Le fils de pute me tourne le dos, j’avance doucement vers lui et… je vous souhaite de ne jamais avoir à faire ça. La batte s’enfonce dans son crâne, je sens toutes les vibrations dans mes mains de l’os qui explose. J’en rêve encore parfois aujourd’hui. Plus que l’image de sa tête déformée, ce sont ces vibrations qui me réveillent. Le crac.

Voilà. Le point de non-retour est franchi. Quand tu n’es pas un vrai méchant, tant qu’on te poursuit, tant que c’est toi la proie, tu t’imagines toujours qu’à un moment ça va s’arrêter et que tout va redevenir comme avant. Mais là je suis devenu prédateur malgré moi, maintenant c’est moi qui tue, toutes mes valeurs et ce à quoi je croyais vient de s’envoler. Je ne me vautrerai plus jamais dans un canapé avec une pizza et un pétard comme avant. C’est donc moi qui prends le flingue, mes potes n’ont pas à subir ça. C’est moi qui finirai le travail, il y a eu assez de morts comme ça.

— Ils ont buté la mère de Casper.

— Putain mec, on est en plein délire là, ça va trop loin.

Je crois que Tintin est choqué, enfin je veux dire traumatisé. Lui, il l’a vue cette tête exploser. Et moi je suis en mode robot. Trop d’émotions en trois jours, je suis vidé, incapable d’empathie.

— Il y avait ça au sous-sol, dans les Mickeys.

Je lui montre deux diamants que j’ai mis de côté. Au même moment Miloud se relève, abasourdi par la scène et le cadavre au sol. Il me regarde incrédule.

— C’était lui ou ton frère.

— …

— Putain t’as un sacré revers de batte, ze vais t’inscrire au club de baizzebol !

Je sais que tu fais le malin mais tu n’en mènes pas large, merci pour nous trois Miloud. On verra plus tard pour gérer nos traumas.

— Il en reste deux, on les trouve, je les bute et tout sera terminé. Il faut les trouver avant le matin.

Il faut trouver Mehdi. Vite. Je ne sais pas si c’est le fait que j’ai le flingue dans une main et la batte ensanglantée dans l’autre mais je sens une certaine distance se créer . Je crois que la décérébration à coup de batte est une première pour nous, on utilise l’alcool et l’herbe d’habitude pour ça.

En se dirigeant vers chez Mehdi on se sépare, ils prennent par le nord et moi le sud, du côté des jardins d’enfants. Il n’y a pas grand monde dehors, à chaque fois que j’aperçois une silhouette je me jette dans un talus ou une haie. Soudain j’entends des cris à l’endroit de notre point de rencontre, je reconnais clairement Tintin qui m’appelle. J’arrive en courant et je les vois à deux sur un bonhomme en costard, peut-être celui qui parlait à leur boss. Le mec est un géant et les frangins ont du mal à le maintenir, je pointe mon arme sur sa tempe pour qu’il se calme.

— Fouillez le les gars !

Il recommence à se débattre, je suis obligé de lui péter les genoux à coup de batte, le polar tourne au gore.

Les mecs se prennent vraiment pour la French Connection, sur lui on trouve un Magnum énorme. Au moment où Miloud attrape le flingue, Inspecteur Harry se roule par terre, récupère son flingue et nous met en joue. Je tire avant qu’il ait eu le temps d’ajuster. La détonation résonne sur les façades des immeubles, à peine le temps de récupérer son arme qu’on se barre en courant se mettre hors de vue. Si les flics sont au Parc des Vergers, dans moins de cinq minutes c’est tout le commissariat qui va débarquer ici. Ne vous inquiétez pas brave gens, la police veille aujourd’hui. Et demain ?

Demain vous n’en entendrez pas parler, demain quelques lignes dans le journal mentionneront une énième fusillade dans un quartier sensible entre bande rivales sur fond de trafic de drogue. Ne vous inquiétez pas brave gens, les médias veillent. Mangez vos pâtes et laissez faire les riches.

On n’ira pas voir Mehdi ce soir, il faut vite qu’on planque notre arsenal et qu’on retourne nettoyer l’appart, tout le quartier est debout maintenant. On est à peine arrivés au pied de l’immeuble que les sirènes hurlent déjà au loin. Préparez-vous les frérots, va y avoir de la fouille collé-serré cette nuit, Colombo a des questions à poser. Planquez bien votre shit aussi, il faut bien qu’ils aient quelque chose à montrer à la télé.

En arrivant là-haut on se transforme en vrais petites femmes de ménages : le sang par terre, essuyer le plus possible d’empreintes, un dernier tour sur le toit pour s’assurer de ne rien avoir oublié (sans regarder le macchabé de l’homme presque-sans-tête), la batte à l’eau de javel, les guns dans le faux plafond du couloir, de la pizza par terre pour les chiens (on n’est jamais trop prudent), et surtout planquer les deux diamants. La clé de notre avenir tient dans ces cailloux, mais je ne leur parle pas des 59 autres pour l’instant. C’est moi le robot, je les sens trop émotifs pour digérer cette information maintenant. Dans l’instant je suis plutôt d’humeur pour un bon gros joint des familles, c’est le moment de faire retomber la pression et de de se marrer comme des nigauds.

En me réveillant je réalise que n’avais pas dormi depuis deux jours , de toutes les herbes que j’ai fumé, l’adrénaline de Melun est la plus puissante. Je recommande !

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