Chapitre 3

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Aéroport de Blagnac & Tarn/Haute-Garonne

N’ayant jamais eu l’occasion de fréquenter la vieille noblesse française dans l’intimité du domicile familial, Ange hésita quelques instants avant de composer son bagage pour ce week-end improvisé. Il ne connaissait presque rien de la famille de son ami, si ce n’est que le service de l’Etat faisait partie des traditions de cette longue lignée. Il se dit qu’en juillet, on ne lui en voudrait pas de ne pas porter de cravate pour le dîner.

Peu avant 22h30, il stoppa devant l’aérogare, pare-soleil baissé, avec le signe Police bien visible. Durant toute sa carrière d’OPJ, le commissaire n’avait jamais pu résister à la facilité de se garer n’importe où avec un véhicule de fonction. Un fonctionnaire en uniforme sortit rapidement de la voiture de faction garée à proximité.

— Commissaire Segafredi, je n’en ai pas pour longtemps.

Le factionnaire rectifia la position et salua.

— Mes respects, monsieur le Commissaire, pas de soucis, votre voiture ne risque rien !

Ange pénétra dans le terminal pour consulter le tableau des arrivées. Le vol en provenance d’Orly était annoncé avec dix minutes de retard. L’aéroport n’offrait que peu de choix en matière de bars, aussi le policier choisit-il le Starbucks Café. Accro à la caféine intense, il n’était pas un grand fan du goût américain, et préférait de loin le ristretto italien. Toutefois, n’ayant pas dîné, il commanda un frappuccino et un muffin. En attendant sa commande, il envoya un message à son ami, pour lui faire part de sa localisation. La réponse ne se fit pas attendre bien longtemps.

Je viens d’atterrir. Philippe.

Le commissaire avait à peine avalé son en-cas qu’une main puissante se posait sur son épaule.

— Salut vieux frère, ça fait plaisir de te revoir.

Dans la voiture, Ange demanda à son ami de le guider.

— Tu n’a pas pris le temps de me donner l’adresse du château et tes chers parents ne sont pas fichés au grand banditisme. On prend quelle direction ?

— Pour le moment, tu rejoins la rocade, direction Bordeaux, puis tu continueras encore un peu jusqu’à la sortie vers Albi. On en a pour une petite demi-heure.

— Ça ne fait pas un peu tard pour arriver avec un invité ?

— Ma mère sera sûrement couchée, mais je suis certain que mon père est dans sa bibliothèque avec un vieux grimoire. C’est un grand insomniaque et de toute façon, il est prévenu de mon arrivée. Je suis sûr qu’il a remonté un grand armagnac de sa cave. Ne lui fais pas l’affront de dire que tu préfères le whisky. Il ne te le pardonnerait jamais.

— Va pour l’armagnac alors. Comment va Brigitte ? Julie m’a dit qu’elles ont passé une soirée toutes les deux récemment, mais elle est restée très évasive.

— En effet, je n’étais pas présent non plus, enfin, je suis rentré assez tard et il me semble qu’elles se sont bien amusées, si tu vois ce que je veux dire.

Brigitte et Julie étaient amies de longue date, ayant vécu en co-location pendant une partie de leurs études à Paris et n’avaient jamais caché à leurs conjoints respectifs leurs relations intimes à cette époque. Les deux hommes, complices, prenaient à l’occasion plaisir à regarder les deux femmes leur offrir un spectacle hautement érotique, tout en dégustant un grand bordeaux ou un champagne millésimé.

— Pour répondre à ta question, Brigitte est en pleine forme, mais elle a une dernière affaire avant les vacances. Tu en as forcément entendu parler, une femme accusée d’avoir empoisonné son mari qu’elle savait pédophile. Elle avait averti anonymement tes collègues, mais il n’y avait pas eu de suite. Elle a décidé de faire justice elle-même. Brigitte sait qu’elle n’obtiendra pas l’acquittement, mais elle fait de ce dossier une tribune contre la pornographie infantile sur le web. Le procès est prévu pour la semaine prochaine.

— Oui, j’avais entendu parler de ce cas, ça fait déjà un certain temps. J’étais à Versailles, mais on en a pas mal discuté dans les couloirs de la DRPJ. La police locale n’a pas toujours les bons reflexes. Elle aurait dû s’adresser à un service spécialisé. Il me semble me souvenir qu’en plus d’aimer les photos de petites filles, le mari avait aussi la main un peu lourde. Elle va nous rejouer l’affaire Jacqueline Sauvage ?

— Tu connais Brigitte, c’est ce genre de cause qu’elle aime défendre, mais en attendant elle m’a laissé seul pour le week-end. Et Julie, où est-elle ?

— Elle a décroché un reportage sur les femmes migrantes sans papiers, pour un magazine canadien. En ce moment, elle doit être quelque part en Grèce, à Lesbos je crois.

— Lesbos, ça ne s’invente pas !

— C’est comme ça qu’on les aime, non ?

— Oui, tu as raison.

Quelques minutes plus tard, Philippe indiquait une petite route bordée de grands arbres, s’élevant vers une petite colline.

— Puech Lubens, le mont de Loubennes en occitan. La première construction remonte à la Renaissance. L’un de mes lointains aïeux, Hugues Loubens de Verdala, est parti d’ici pour rejoindre l’Ordre des Chevaliers de Malte. Il a été grand maître de l’Ordre à la fin du seizième siècle. Heureusement, la construction actuelle est beaucoup plus récente. Elle n’a que deux siècles. Depuis, on y a installé, l’électricité, le chauffage central et l’eau courante. Il y a même de l’internet à haut débit !

— Tes parents vivent là toute l’année ?

— Non, ils voyagent encore beaucoup et ils ont un appartement à Paris.

— Qui s’occupe de la propriété en leur absence ?

— Voila le problème qu’ont toutes les familles fortunées. Il faut entretenir du petit personnel !

Ange franchit le large portail et se gara à proximité de l’entrée du bâtiment. La construction en elle-même était typique du style régional, principalement réalisée en briques roses, composée d’un corps principal flanqué de deux petites tourelles, avec des dépendances attenantes.

Un homme à l’allure svelte apparût rapidement sur le perron pour accueillir les visiteurs.

— Ange, je te présente le Comte Henri Villotte de Loubennes, mon père.

— Entrez donc jeunes gens, j’espère que vous avez fait bon voyage. Vous prendrez bien un petit armagnac avec le vieil homme que je suis ?

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