Chapitre 1

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Toulouse, quartier des Minimes

Ange Segafredi quitta son bureau pour regarder par la fenêtre. Le canal du Midi s’étirait paresseusement derrière le rideau de platanes. Le quartier des Minimes n’attirait guère les touristes, qui préféraient de loin se balader entre le Capitole et les quais de la Garonne. En ce début de soirée, seuls quelques cyclistes et joggeurs parcouraient la promenade ombragée.

Ce vendredi soir, les bureaux de l’hôtel de police s’étaient vidés depuis déjà un moment, mais le commissaire fraichement promu n’était pas spécialement pressé de rentrer dans son petit logement de célibataire géographique. Julie, sa compagne était en reportage à l’étranger et il ne connaissait encore personne, en dehors de ses collègues, dans cette ville dont il ne savait presque rien quelques semaines plus tôt.

Il y a trois mois, il était encore chef de groupe à la DRPJ de Versailles, démantelant des réseaux de trafiquants internationaux et des organisations mafieuses. Comme il l’avait craint, la vie en province était plus calme, et par voie de conséquence, la délinquance un peu plus modeste, ou en tout cas bien différente de ce qu’il avait affronté durant toute sa carrière.

Son service, trois groupes de six policiers chacun, courait après des criminels de circonstance, homicides liés aux trafics de stupéfiants, règlements de comptes entre bandes ethniques ou cambriolages organisés. Ses chefs de groupe, deux hommes et une femme, étaient compétents, appréciés de leurs équipes et connaissaient parfaitement le terrain, disposant d’un solide réseau d’indicateurs dans les quartiers difficiles, aux Izards ou au Mirail. Toulouse n’était pas Marseille, mais il y avait quand même des zones où les uniformes n’étaient pas les bienvenus. Ange savait qu’il était illusoire d’espérer changer radicalement la donne, mais il ne pouvait se résoudre à concéder le terrain aux caïds et en plein accord avec sa hiérarchie, s’était donné pour ambition de contenir le crime à un niveau qu’il osait qualifier de raisonnable. Son rôle n’était pas de maintenir l’ordre, il y avait bien assez de services dédiés à cela, mais il souhaitait pénétrer suffisamment le milieu pour s’attaquer aux gros bonnets et limiter ainsi leur emprise sur les quartiers.

Le policier fut tiré de ses pensées par les premières notes du tube des Canned Heat, « On the road again ». Ange avait associé cette musique au numéro de son ami Philippe, depuis leur road trip en Californie, quelques semaines plus tôt. Philippe de Loubennes, brillant chirurgien orthopédiste, et sa femme Brigitte, avocate pénaliste étaient les plus proches amis de Julie et Ange, et ce dernier n’avait eu que peu d’occasions de revoir celui qui lui avait fait parcourir l’ouest américain à moto (*).

— Salut vieux frère, comment se passe ta vie dans la ville rose ? Tu as pris combien de kilos depuis que tu es là-bas ?

— Je commence à m’adapter, mais mon accent corse sonne encore plus curieusement ici qu’à Paris !

— Tu t’es mis au rugby ? Tu sais que le foot, c’est pas trop leur truc.

— Oui, j’ai compris ça très vite. L’un de mes chefs de groupe m’a emmené voir jouer le Stade à la fin de la saison. L’ambiance est sympa, mais je ne comprends toujours pas les règles.

— Je t’expliquerai à l’occasion. Si on met à part le hors-jeu, ce n’est pas si compliqué. Il suffit de comprendre qu’on ne peut pas faire de passe vers l’avant.

— Je suppose que tu ne m’appelles pas pour me parler de rugby, l’interrompit Ange, qu’est-ce qui me vaut le plaisir de t'entendre ?

— En effet, tu sais que ma famille est originaire du Tarn, à 30 km de Toulouse. Brigitte travaille sur un gros procès qui débute lundi, et s’est enfermée avec ses collègues pour affiner sa plaidoirie. J’en ai profité pour aller rendre visite à mes parents. Je sais que j’aurais pu t’appeler plus tôt, mais je me suis décidé à la dernière minute. J’ai trouvé une place dans la dernière navette et je serai à Blagnac dans deux heures. Je me suis dit que si tu n’avais rien de plus important, on pourrait en profiter pour passer un moment ensemble.

— Tu me prends un peu de court, mais je pense que c’est possible. Je peux aller te chercher à l’aéroport, mais je te préviens, je n’ai pas fait le ménage chez moi et mes revenus de fonctionnaire ne me permettent pas d’entretenir de petit personnel.

— Je ne voulais pas te demander l’asile, mais au contraire de m’accompagner au château familial. Mes parents sont des aristocrates charmants, mais chez qui j’évite d’aller seul de peur de mourir d’ennui. Il y a toujours une chambre prête pour un ami de passage, tradition d’hospitalité oblige. J’ai déjà laissé entendre à la Comtesse que je serais sans doute accompagné. Elle se réjouit d’avance de faire ta connaissance, mais motus sur nos aventures aux States. Elle me croyait à un séminaire médical.

— Je vois que tu as toujours des arguments très convaincants. Si je ne m’éloigne pas trop du bureau, ça marche. Toutefois, je te rappelle que je suis un pur produit républicain, à qui on n’a jamais appris à faire le baise-main. Par chance, bien que corses, mes ancêtres n’étaient pas bonapartistes. Quand atterrit ton avion ?

— 22h45, il est prévu à l’heure.

— D’accord, ça me laisse juste le temps de passer prendre quelques affaires chez moi, mais pas d’acheter des fleurs. On se retrouve dans le terminal, cherche moi au bar ou appelle-moi.

(*) Lire "Route 66"

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