— Et vous ne savez pas la meilleure ? s'exclama la vieille femme en plongeant une nouvelle fois la main dans le plat de petits gâteaux.

— Non ? Aurais-tu une nouvelle petite anecdote à nous conter, chère vieille sorcière ? lui demanda avec affection et intérêt l'une de ses plus fidèles amies.

Comme tous les jours, les cinq vieilles femmes connues pour être les plus grandes commères du quartier, voire même de la ville entière, s'étaient réunies dans la maison de l'une d'elle pour discuter, commenter, parler du chien malade du médecin ou de la jeune voisine en cloque.

Elles étaient chez Amantha aujourd'hui, la pire, aux dires de ceux qui la connaissaient bien. Et, il semblait qu'elle avait encore une petite anecdote bien juteuse pour elles...

— Eh bien, le Charognard, vous savez, ajouta-t-elle avec perfidie, le vieux charognard qui m'a volé ma fille, m'a appelée hier...

Elle ricana :

— Vous ne savez pas ce qu'il m'a dit ? Il m'a accusé de la disparition de sa fille !

Le cercle, incrédule, laissa échapper quelques exclamations choquées, et l'une d'elle s'éventa le visage, comme si elle avait du mal à y croire.

Elles la regardaient à présent avec des yeux ronds, attendant la suite avec impatience.

— Vous savez que la gamine, la Gavroche qui ne sait pas s'habiller, me promène mes chiens de temps à autre... eh bien, hier, elle n'est pas revenue... et devinez où l'on a retrouvé mes beaux, mes adorables toutous ?

— Non ?

— Dis-nous !

— Ciel ! Je défaille ! glapit la plus émotive en s'éventant le visage avec plus de vigueur encore.

Satisfaite des réactions plus qu'attentives de ses commères, elle laissa passer un léger silence, histoire d'entretenir le suspense, puis déclara :

— Vers le bâtiment Douze !

Cette fois, plus de silence attentif. Ce furent des réactions ahuries, des gémissements qui commencèrent à résonner dans la petite pièce. La dernière, n'y tenant plus, tomba dans les vapes, trop choquée.

Habituées, ses comparses la ranimèrent avec hâte et les questions fusèrent, questions qu'elle stoppa pour leur raconter sa version des faits:

— A tous les coups, la gamine est partie s'accoquiner avec quelque racaille ou bien même le criminel mystérieux qui fait tant parler ces abrutis de policiers et sa horde de journalistes. Impossible qu'elle ne soit pas impliquée dans les derniers événements, elle est trop perfide. Heureusement, mes braves petits toutous ont su s'enfuir et retrouver leur maîtresse bien-aimée, dit la vieille en se baissant pour caresser les deux chiens, comme pour confirmer ses dires.

—Mais... murmura la troisième. Vous n'avez pas oublié quand même... au lycée ! Lorsque nous allions dans ce bâtiment, le Douze, dans le grenier, par la porte secrète ! Et le pistolet de ton père, Amantha, qu'on y a laissé avant de le quitter !

Elles se tournèrent toutes vers elle avec un regard réprobateur.

— Tu sais bien qu'il n'y a jamais eu de porte secrète.

— Ni de rendez-vous dans le grenier d'un quelconque bâtiment.

Amantha, plus véhémente, s'écria:

— Et je n'ai jamais laissé un pistolet traîner n'importe où ! Le pistolet de mon père a disparu après son suicide, il y a soixante ans, et tu le sais parfaitement !

La vieille femme blêmit. Il lui semblait qu'elle allait s'évanouir à nouveau.

Pourtant, elle ne l'avait pas rêvé, tout ça... la dernière lettre du père d'Amantha, qui disait le pourquoi de son suicide. La tristesse de la jeune fille, qui avait gardé le pistolet, le cachant de la police en le laissant là où elles avaient leur rendez-vous secrets...

L'endroit que son père, qui avait bossé là-bas, lui avait montré, en lui faisant promettre de ne montrer la trappe secrète à personne.

Le grenier du Douze...