CHAPITRE 7

11 minutes de lecture

La lune, telle une sentinelle argentée, trônait haut dans le firmament lorsque j'atteignis enfin l'adresse indiquée. La ruelle sombre, baignée d'une lueur sinistre émanant d'un unique lampadaire au bout, ne présageait rien de bon. Rafe et la jeune métisse qui m'avait déjà adressé la parole étaient déjà présents, attendant probablement l'arrivée d'Enzo et de Nova, que je redoutais autant que je les évitais.

Un signe de la main de Rafe m'interpella, mais je m'empressai de l'ignorer. Mes interactions avec lui avaient été suffisamment éprouvantes pour que je ne souhaite pas les prolonger davantage. Il semblait avoir appris autant de choses sur moi que moi sur lui lors de nos rares échanges, ce qui ne faisait qu'attiser mon agacement à son égard. Je réalisai soudain que je le fixais d'un regard trop insistant lorsqu'il arqua un sourcil, me forçant à détourner rapidement les yeux, prise d'un léger sentiment de honte.

C'est alors que je me retrouvai face à face avec Nova, qui me dévisageait froidement. Un silence pesant s'installa entre nous, nos regards se croisant sans que ni l'un ni l'autre ne prononce le moindre mot. Je pris le temps de l'examiner attentivement, remarquant la ligne rigide de ses lèvres serrées. Son visage, orné d'un nez aquilin et de pommettes saillantes, me rappelait vaguement quelqu'un, mais je peinais à mettre un nom sur cette ressemblance troublante. Un anneau en or, accroché sur un pendentif scintillait autour de son cou, tandis qu'une boucle d'oreille ornait délicatement son lobe gauche.

Le regard glacial de Nova ne quittait pas le mien alors qu'il me lançait un ordre sec.

— Pousse-toi. Son souffle chaud caressait mon visage, mais je refusais de me laisser intimider. Un sourire provocateur se dessina sur mes lèvres alors que je lui répondais d'un air taquin.

— La politesse, ça te tuerait de l'utiliser ? Tu veux peut-être que je te l’apprenne, si c'est seulement ça ! Répète après moi : excuse-moi, pourrais-tu te décaler s’il te plait, j’aimerais passer ? Merci beaucoup.

Son front se plissa de mécontentement, ce qui ne fit que décupler mon amusement. Sans plus attendre, il me poussa violemment, me faisant chuter sur les fesses dans le caniveau encore humide de la pluie de la veille. Dans un premier temps, le choc me laissa sans voix, mais bientôt, une colère froide monta en moi. Mes doigts se crispèrent instinctivement sur le couteau que j'avais accroché à ma hanche, prête à riposter. Mes jointures blanchirent sous la pression tandis que j'étais sur le point de le brandir, lorsque Rafe surgit soudain et le bouscula pour venir à mon secours. Il me tendit une main pour m'aider à me relever, mais son geste était empreint d'une condescendance qui m'irritait au plus haut point.

L'image que j'avais eue de lui lors de notre première rencontre contrastait fortement avec le rôle de chevalier servant qu'il jouait à présent, et cela ne faisait que renforcer mon désir de lui résister.

— Tu veux quoi ? demandai-je d'une voix teintée de haine. Ma colère n'avait pas faibli, et bien que ce ne soit pas lui la cible de mes émotions, il en subissait malgré tout les conséquences.

Il leva un sourcil, visiblement amusé par ma réaction. Pourtant, il choisit de ne pas me répondre, ce qui ne fit qu'attiser davantage mon irritation. Refusant son aide, je me relevai seule, rejetant sa main tendue. Faisant volte-face, je m'éloignai pour me placer dans un coin reculé, observant chacun des autres participants tour à tour. Nova, Enzo et la blonde étaient réunis sous la lumière du lampadaire, tandis que Rafe se tenait appuyé contre le mur de la ruelle, accompagné de la fille aux cheveux rouges qui m'avait abordée plus tôt. Bien que Rafe et sa compagne semblaient isolés et peut-être même hostiles envers les autres, je savais que les apparences pouvaient être trompeuses. Mes pensées furent interrompues par un grincement strident, provenant de la rue. En y prêtant attention, je remarquai une vieille porte entrouverte près de Rafe. J'entendis Enzo appeler la fille à ses côtés : Tara. Désormais, je connaissais son nom. Ils semblaient tous avoir une propension à divulguer des informations trop facilement, mais j'étais la seule à être dans l'ignorance.

Je m'avançai la première pour pénétrer dans le lieu du rendez-vous, suivie de près par les autres. Rafe me talonnait, faisant de petits commentaires sur la taille de la porte et du couloir qui s'ensuivait.

— Tu ne vas jamais la fermer ? murmurai-je à son intention.

Rafe cessa immédiatement de parler après ma remarque, et j'entendis vaguement un « merci » lancé derrière moi. Le couloir débouchait dans une pièce exiguë, meublée d'un lit, de deux tables de chevet et de deux lampes posées dessus. Un mot reposait sur la table de gauche. Je m'en saisis rapidement. « Je suis tombé dans un trou, venez me chercher à l'endroit où des milliers de connaissances sont regroupées, je suis bien cachée, mais toujours ponctuelle. Pensez à regarder l'heure, vous ne voudriez pas être en retard ».

Face aux regards scrutateurs des autres, je m'empressai de révéler le contenu du message, sentant leur impatience grandir. Tara, affichant une attitude nonchalante, se laissa tomber sur le lit, déclarant d'un ton détaché que les devinettes n'étaient pas son fort. Enzo, quant à lui, la fixa avec un mépris évident, ses yeux lançant des éclairs. Je me demandai alors pourquoi ces deux-là étaient en équipe, car aucun d'eux ne semblait ravi de cette association. Pendant ce temps, Nova levait les yeux au ciel dès que Tara prenait la parole, avant de l'ignorer complètement. Rafe, impatient, sortit le premier de la pièce, suivi par les autres membres du groupe. Une fois seuls, je fus étonnée de constater que personne n'avait songé à explorer davantage la chambre. Après avoir vérifié les tiroirs des tables de chevet sans succès, je décidai de m'agenouiller pour jeter un coup d'œil sous le lit. C'est alors que j'entendis quelqu'un racler sa gorge derrière moi, me faisant sursauter légèrement.

Je sortis la boîte que j'avais trouvée et me relevai précipitamment, me sentant un peu embarrassée d'avoir été surprise dans cette position.

— Je vois que je ne suis pas le seul à vouloir fouiller la pièce. Alors, qu'est-ce que tu as déniché, petit oiseau ? demanda Rafe d'un ton taquin.

J'essayai de ne pas m'agacer à l'entente de ce surnom ridicule.

-Je me le jure, avant la fin du jeu, il ne pourra plus jamais m’appeler.-

Je lui montrai la boîte et la posai avec précaution sur le lit, tentant en vain de l'ouvrir. Un cadenas massif fermait celle-ci, défiant mes efforts. Je poussai un soupir résigné, sachant qu'il faudrait la ramener à l'hôtel pour tenter de la forcer.

— À moins que tu ne sois capable d'ouvrir un cadenas à mains nues, il va falloir emporter la boîte et son contenu avec nous. J'ai ce qu'il faut dans ma chambre, proposai-je, désignant le sac à dos que j'avais posé à côté.

Rafe haussa les sourcils d'un air dubitatif, mais acquiesça d'un signe de tête. Je devinais qu'il me suivrait jusqu'à ce que nous découvrions ce que renfermait cette mystérieuse boîte. Fouillant une dernière fois la pièce, je remarquai le tableau accroché sur le mur à droite du lit. Il était positionné à une hauteur inhabituelle, hors de ma portée. Sachant que je devais recourir à l'aide de quelqu'un, je me tournai vers Rafe, qui m'observait avec attention depuis son retour. Sans un mot, il s'avança vers moi, me laissant le passage pour atteindre le mur. D'un geste assuré, il déplaça la table de chevet, me permettant ainsi de grimper dessus pour atteindre le tableau.

Perchée sur la table, je scrutai le tableau et l'encadrement, à la recherche d'indices cachés. Rien ne semblait hors du commun, jusqu'à ce que mes doigts effleurent une aspérité sur le cadre. Délicatement, je la pressai et un déclic se fit entendre. Un petit compartiment secret se révéla, dissimulé derrière le tableau. Intriguée, je glissai ma main à l'intérieur et sentis quelque chose de froid et métallique. Sans hésiter, je saisis l'objet et le cachai habilement dans la paume de ma main. Gardant mon calme, je retirai ma main du compartiment, feignant la déception.

— C'était une fausse piste, dis-je à Rafe en descendant de la table. Il me regarda avec suspicion, mais ne dit rien, se contentant d'observer mes moindres gestes.

Pendant ce temps, mon attention se porta sur le tableau que Rafe tenait toujours entre ses mains. Des horloges étaient peintes en différentes teintes de rouge, leurs aiguilles dorées pointant vers 17 h 45. Intriguée par cette étrange représentation, je plongeai dans mes pensées, tandis que Rafe attendait silencieusement une réaction de ma part.

— Je pense qu’il s’agit d’une des peintures du roi, datant de plusieurs siècles. J’en ai déjà vu et elles lui ressemblent, murmura-t-il, sa voix teintée de respect pour l'histoire.

— Tu as eu accès aux peintures du roi ? m'étonnai-je, curieuse de son accès à un tel privilège.

Il hocha la tête, mais évita mon regard, laissant planer un voile de mystère sur ses expériences passées. Sachant que je n'obtiendrais pas plus d'informations, je pris la boîte et me dirigeai vers la porte. Rafe demeura immobile, semblant absorbé par ses pensées, son regard perdu dans l'horizon, imprégné d'une profonde mélancolie.

— Tu comptes me suivre ? Ou je peux garder la boîte et les secrets qu’elle renferme pour moi ? lançai-je, tentant de briser la tension avec une pointe d'humour.

Cette fois, Rafe ne répondit pas avec son habituelle espièglerie.

— J’arrive. Laisse-moi quelques minutes, j’ai besoin d’être seul, déclara-t-il d'une voix posée, mais empreinte d'une détermination silencieuse.

Perplexe, je scrutai son visage en quête d'une quelconque indication sur ses pensées, mais il demeura impénétrable. Conformément à sa demande, je partis l'attendre devant le bâtiment, me laissant emporter par les tourments de mes pensées. Les événements des derniers jours tournaient en boucle dans mon esprit : la disparition de la sœur d’Enzo, le mystérieux message écrit en sang sur le plafond. Tout se mêlait dans ma tête, formant un puzzle complexe dont les pièces refusaient obstinément de s'emboîter. Ce jeu mystérieux semblait avoir des ramifications bien au-delà de ce que j'avais pu imaginer, mais une question persistait : pourquoi Andréanne avait-elle accepté de participer alors qu'elle avait menti à son entourage sur son invitation ? Quelque chose échappait à ma compréhension, une clé essentielle qui m'échappait encore.

Un bruit sourd et inattendu déchira brusquement le silence de l'allée, faisant vibrer l'air ambiant et propageant des ondes de tension à travers mon corps. Dans l'obscurité oppressante, chaque détail semblait amplifié, chaque ombre menaçante prenait vie dans mon esprit tourmenté. Mes sens étaient en alerte, captant le moindre mouvement, la moindre anomalie dans le paysage nocturne.

Je m'efforçai de percer l'obscurité dense qui régnait autour de moi, plissant les yeux pour discerner la source de ce bruit troublant. Malgré mes efforts, rien ne se révéla, laissant planer un mystère angoissant sur la scène. Puis, un grognement rauque et sinistre se fit entendre, glaçant mon sang et éveillant mes pires craintes. La présence invisible qui émettait ce son semblait se rapprocher, faisant frémir chaque fibre de mon être dans une anticipation terrifiante.

Mon esprit fut submergé par des souvenirs enfouis, des images de frayeurs passées surgissant de l'oubli pour hanter mes pensées. Je me retrouvai transportée dans le passé, revivant les instants de terreur qui avaient marqué mon enfance. La peur primitive qui m'avait alors saisie se raviva en moi, amplifiée par l'obscurité menaçante de l'allée et par l'incertitude de ce qui se tapissait dans l'ombre.

Je hurlais le prénom de Rafe, ma voix chargée d'une terreur palpable, mes mots empreints d'une détresse absolue. L'angoisse m'étreignait de toutes parts, compressant ma cage thoracique, nouant mes entrailles dans une étreinte oppressante.

— Rafe ! Si tu ne viens pas maintenant, je te jure que je t'abandonne ici ! Ma voix résonnait dans l'allée, teintée d'une urgence désespérée.

Un bruit sinistre, accompagné d'un grincement qui me fit frémir, déchira le silence de la nuit. Des frissons parcoururent ma peau, et j'eus l'impression que des griffes râpaient contre le mur, à quelques pas de moi. Un nouveau grognement résonna, cette fois-ci plus proche, amplifiant ma terreur.

Sans attendre plus longtemps, je fis volte-face et m'élançai vers la porte du couloir que j'avais quittée quelques instants auparavant. La claquant derrière moi, je pressais le pas, manquant de trébucher dans ma hâte. Le souffle court, le cœur battant la chamade, je fus brusquement stoppée dans ma course par un obstacle inattendu.

Un mur solide se dressait devant moi, et je faillis m'écraser contre lui. Mais avant que je ne chute, une main ferme se posa sur mon dos, me rattrapant dans un geste sûr. Ouvrant les yeux que j'avais clos par réflexe, je me retrouvai face à face avec Rafe. Ses yeux d'un vert pénétrant brillaient d'une lueur taquine, reflétant un mélange d'amusement et de curiosité.

-Ce regard, je le connais, c’est le même que celui que j’ai vu dans le hall la première fois.-

Un léger sourire éclaira mon visage, mais rapidement, la chaleur envahit mes joues, trahissant mon embarras. Je réalisai soudain que ce que j'avais heurté n'était pas un mur. Le visage de Rafe, à quelques centimètres du mien, sa respiration caressait ma peau, et ses fossettes se dessinaient, accentuant son sourire moqueur qui me fit frissonner.

Collée à son torse, je sentais chaque battement désordonné de mon cœur résonner entre nous, comme une pulsation irrégulière. Une chaleur diffuse s'élevait en moi, mais je me dégageai de ses bras avec précipitation, comme si sa proximité avait le pouvoir de me brûler. Je m'empressai de redresser mes vêtements dans l'espoir de retrouver un semblant de contenance et de reprendre possession de mon sang-froid.

— Pourquoi courais-tu si vite ? Tu avais le feu aux trousses, petit oiseau ? demanda-t-il.

Son demi-sourire agaçant s'étira sur son visage, exacerbant mon irritation. Sa tonalité moqueuse semblait dissiper l'angoisse qui m'avait saisie quelques instants plus tôt. Pourtant, je me trouvais à court d'explications convaincantes à lui fournir. Que pouvais-je dire ? Que j'avais entendu des grognements, des griffes raclant le mur ? Que j'avais été submergée par un souvenir terrifiant ? Avouer cela ne ferait que me faire passer pour une folle à ses yeux. D'ailleurs, je commençais à me demander si je n'avais pas rêvé, si mon esprit n'avait pas joué un tour cruel.

— J'ai cru entendre quelque chose. J'ai eu peur, avouai-je, cherchant à dissimuler mon embarras.

— Et ça t'a fait tomber dans mes bras ? Je t'en prie, aie peur plus souvent, railla-t-il en riant.

Son rire résonnant dans le couloir exigu fit s'envoler des papillons de mon estomac jusqu'à ma gorge, me rappelant notre proximité. Reculant d'un pas pour rétablir une distance de sécurité, je marmonnai des mots incompréhensibles, du moins pour lui. Il passa devant moi, effleurant mon dos de sa paume, provoquant une nouvelle rougeur sur mes joues. Quand il ouvrit la porte, je retins mon souffle, m'attendant au pire, ce qui le fit ricaner. Il se retourna vers moi une fois qu'il eut scruté chaque coin de la rue.

— Il n'y a rien, on peut y aller. Ou alors, tu voulais peut-être que l'on dorme tous les deux dans le lit là-bas ? Si c'est seulement ça, il fallait simplement me demander, je peux toujours faire comme s'il y avait quelque chose dehors, plaisanta-t-il avec un sourire en coin.

— Non merci, je préférerais encore dormir avec Enzo, répliquai-je d'un ton sec.

— Si tu le dis, petit oiseau.

— Arrête de m'appeler ainsi.

Un silence pesant s'installa entre nous, et je décidai de mettre fin à la conversation. Craignant que mes joues ne trahissent mes véritables sentiments, je baissai la tête et sortis précipitamment, le bousculant légèrement au passage. Il ricana et me suivit sur ma lancée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Nolly ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0