CHAPITRE 4

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La salle à manger s'ouvrait devant moi dans toute sa grandeur, des rangées de longues tables disposées en quinconce, prêtes à accueillir une foule. Mon émerveillement initial face à l'ampleur de la pièce a rapidement cédé le pas à une angoisse sourde, qui a commencé à se frayer un chemin sous ma peau. Déjà, de nombreuses personnes étaient installées à table, laissant présager un afflux imminent. Je me suis surprise à balayer la pièce du regard, cherchant instinctivement l'homme mystérieux que j'avais croisé plus tôt.

– Allez, ce n’est pas le moment de se faire distraire par un beau mec. Tu ne dois pas oublier pourquoi tu es là.-

Je me dirigeai vers le buffet, mes pas résonnant dans la salle animée. Des groupes de convives étaient déjà installés, se livrant à des conversations animées. Je remarquai cependant une séparation évidente entre chaque groupe, chacun gardant ses distances. Alors que je passais près d'un groupe de trois filles et deux garçons, mon estomac se manifesta bruyamment, attirant les regards amusés de la bande. Je pressai le pas vers le buffet, ignorant les railleries. Arrivée devant les plats étalés, je fus émerveillée par la variété des mets proposés.

– Dis donc, sacré festin. J'espère qu'ils n'en jettent pas trop, je doute qu'il y ait assez de monde pour ingurgiter la tonne de nourriture présente.-

Je sélectionnai avec soin une salade composée de légumes frais, de feuilles de roquette croquantes et de morceaux de poulet grillé, le tout agrémenté d'une vinaigrette aux agrumes qui chatouillait déjà mes papilles. Une vague de satisfaction me parcourut lorsque je remplis mon assiette. Mon estomac, impatient, émit un léger grondement de bonheur anticipé. Guidée par l'espoir d'un coin tranquille, je me dirigeai vers une table située en périphérie de la salle. Là, personne ne semblait attablé, offrant ainsi une opportunité d'observation sans être dérangée. Du moins, c'est ce que je souhaitais.

C'est au beau milieu du repas que l'atmosphère de la salle changea brusquement. Trois nouvelles figures firent leur entrée, une jeune femme et deux jeunes hommes, d'une beauté saisissante. Leurs traits étaient d'une perfection presque irréelle, une étrange aura les entourait. Je ne pouvais m'empêcher de les observer avec curiosité, fascinée par leur présence mystérieuse.

Pourtant, ce qui attira le plus mon attention fut le silence soudain qui s'abattit sur la salle. Les discussions animées se turent brutalement, remplacées par un silence lourd et chargé de tension. Les regards des convives se détournèrent des uns pour se poser sur ce trio en apparence innocente, mais qui semblait porter sur leurs épaules un lourd poids d'inquiétude.

Je fronçai les sourcils, déconcertée par cette atmosphère pesante qui avait envahi la pièce. Qu'avait bien pu provoquer cette réaction aussi unanime que hostile ? Les nouveaux venus semblaient tout à fait indifférents à l'attention qu'ils suscitaient, ce qui ne faisait qu'accentuer le mystère qui les entourait.

– J'aimerais bien être comme eux, me moquer de ce que les autres pensent, faire ce qu'il me plait.-

Un éclat de rire cristallin brisa le silence oppressant, provenant de la jeune femme rousse aux yeux bleus. Son rire était contagieux, et un sourire se dessina involontairement sur mon visage en l'entendant. Ses traits étaient empreints d'une vivacité charmante, et ses yeux pétillants reflétaient une joie de vivre irrésistible. Son nez retroussé lui conférait un air espiègle et enfantin qui la rendait tout simplement adorable.

Pendant ce temps, les deux garçons qui l'accompagnaient réagirent de manière bien différente. Celui qui se tenait à sa droite, aux cheveux bleu foncé et aux yeux gris acier, semblait captivé par elle. Son regard était empreint d'une admiration sincère, comme s'il voyait en elle la seule lumière dans l'obscurité. Il semblait complètement absorbé par sa présence, ignorant tout le reste autour d'eux.

– J'espère qu'elle sait de quelle manière ce type la regarde, parce que ce n'est absolument pas amical.-

L'autre jeune homme, un rouquin avec des yeux bleus et des taches de rousseur parsemées sur ses joues, affichait une expression dubitative. Ses sourcils se haussaient tandis qu'il levait les yeux au ciel, comme s'il était agacé par quelque chose. Malgré son apparent désintérêt pour la jeune fille, la ressemblance physique entre eux laissait peu de place au doute : ils devaient être frère et sœur. Leur dynamique contrastait avec celle du duo précédent, reflétant une relation plus complexe et teintée de tensions.

Mon attention fut brusquement détournée par l'arrivée d'un nouvel individu. Je le reconnus instantanément, même avant de tourner la tête. Sa présence seule était suffisante pour provoquer un frisson d'appréhension le long de ma colonne vertébrale. Une sensation étrange m'envahit, comme si mes instincts primaires me mettaient en garde contre un danger imminent. Mes poils se hérissèrent, réagissant comme ceux d'un animal face à un prédateur. Je savais que c'était lui, et malgré moi, un léger sourire menaça de se dessiner sur mes lèvres. Je luttai contre cette réaction instinctive, pesant le pour et le contre dans un dilemme intérieur, mais finalement, je succombai à la tentation de le regarder.

Un hoquet de stupeur m'échappa lorsque nos regards se croisèrent. Son regard intense semblait lire en moi comme dans un livre ouvert, et je me sentis rougir malgré moi. Fronçant les sourcils, je réprimai cette réaction incontrôlable. Ce n'était pas dans mes habitudes de perdre ainsi mes moyens devant un garçon. Pourtant, je me retrouvais assaillie par toute une gamme d'émotions que je préférais ignorer.

Il brisa finalement notre contact visuel et se détourna pour aller s'asseoir à l'opposé de moi. Mes yeux ne pouvaient s'empêcher de le suivre, parcourant chaque détail de sa silhouette. Son tee-shirt noir laissait entrevoir des muscles saillants, ajoutant à son charme mystérieux. Je me surpris à l'observer encore quelques instants, captivée malgré moi.

Secouant la tête pour chasser ces pensées intrusives, je me reconcentrai sur mon assiette. La salade de chèvre, tomates et basilic que j'avais choisi était un véritable régal, et l'odeur qui s'en dégageait me mettait l'eau à la bouche. Je me plongeai dans ma dégustation, cherchant à chasser de mon esprit les émotions troublantes suscitées par cet échange furtif.

-Comme lui.-

J'allais me mettre à la dévorer quand quelqu'un m'interpella.

— Hé, toi ! 

-Putain, jamais tranquille. Pile quand j'allais enfin toucher à ma salade.-

Je fus surprise de voir le rouquin s'approcher de moi. Je lui lançai un regard interrogateur, me demandant ce qu'il voulait. Mes yeux balayèrent rapidement ses amis, qui semblaient observer la scène avec attention. Le garçon me fixait d'un air froid, tandis que la rouquine me fusillait du regard. Je sentais la tension monter en moi alors que je désirais simplement être laissée tranquille pour pouvoir profiter de mon repas en paix.

— Tu ne m'as pas entendu ? Je t'ai parlé. Oui, toi, la petite brune. 

Je poussai un soupir exaspéré en entendant sa voix. Cet individu semblait déterminé à me déranger. Je réfléchissais rapidement à la meilleure manière de lui répondre, mais avant que je puisse dire quoi que ce soit, il frappa violemment la table de son poing. Le bruit sec résonna dans la salle, me faisant sursauter.

- Il est complètement malade ce type.-

Mes yeux roulèrent dans leurs orbites. Il avait maintenant toute mon attention, mais je ne pouvais pas me permettre de dévier du personnage que j'avais décidé d'incarner. Je le fixai désormais avec la même indifférence que si je regardais un rat.

-Encore un con à l'égo fragile.-

La colère embrasait mes joues, laissant une sensation brûlante de frustration. Je sentais mes pulsions me pousser à répliquer, mais je devais rester maîtresse de moi-même. Respirant profondément pour me calmer, je décidai qu'il était temps de partir.

— Tu m'ignores, n'est-ce pas ?  Hurla-t-il, comme si je ne l’entendais pas.

-Il me croit sourde peut-être.-

Son ton criard attira l'attention de quelques convives autour de nous. Je me sentis submergée par une vague de gêne, mais je m'efforçai de garder mon calme. Sans lui accorder un regard, je me levai lentement de ma chaise, décidée à m'éloigner de cette scène désagréable. Ce garçon était bien plus qu'une plaie, c'était un trou béant dans mon épiderme.

– J'aimerais lui écorcher la peau du visage.-

Je pris une profonde inspiration pour tenter de calmer les flammes de colère qui rugissaient en moi, mais en vain. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine, mes poings se serraient involontairement.

-Je dois m’en aller.-

Quand je voulus sortir de table pour éviter l'affrontement, le jeune homme me saisit le bras. Je baissai les yeux sur la main qui m'avait empoigné. Pendant une seconde, j'évaluai si le couteau à côté de mon assiette serait assez aiguisé pour lui couper le poignet.

— Relâche-la, ordonna une voix grave et suave derrière moi.

Irritée, je me retournai pour faire face à celui qui venait de parler. À ma grande surprise, je reconnus celui que j'avais secrètement observé depuis le début de mon repas. Malgré cette découverte, mon agacement demeurait intact.

— Je n'ai pas besoin d'aide. Je peux me débrouiller seule, répliquai-je d'un ton ferme.

Le regard suffisant de l'individu dans mon dos attisa encore plus ma colère. Avec force, je me libérai de l'emprise du crétin qui me retenait. D'un geste brusque, j'attrapai le col du tee-shirt du brun qui avait déclenché mon courroux, le tirant vers moi jusqu'à ce que nos visages ne soient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Ma respiration était saccadée, la rage déformant mes traits. Je savais à quel point j'avais l'air terrifiante dans cet état. En voyant ses yeux écarquillés, sa bouche entrouverte par la surprise, je le relâchai brusquement, comme si notre proximité me brûlait. Puis, sans un mot de plus, je me détournai et m'éloignai rapidement, laissant derrière moi une salle désormais silencieuse.

Sur mon passage, je croisai le visage choqué de la rouquine et le sourire narquois de son compagnon. Leur réaction ne fit que renforcer ma détermination. Je leur lançai un regard glacial, les défiant silencieusement de s'approcher de moi. En me retournant une dernière fois, je remarquai que le rouquin ne détournait pas les yeux du beau brun. Ne souhaitant pas être prise au piège dans un affrontement entre eux, je me dirigeai vers la sortie, priant pour ne pas être confrontée à d'autres empoignades.

— Qu’est-ce que tu fous, Rafe ?  demanda le rouquin d'un ton empreint de colère et de mépris.

Il valait mieux revenir à ma stratégie initiale, celle de faire profil bas. Je m'étais laissée emporter, déviant trop de mon rôle prévu. En franchissant l'embrasure de la porte, je n'ai cependant pas pu m'empêcher de jeter un dernier coup d'œil aux deux hommes. Le roux soufflait bruyamment, bombant le torse dans une démonstration de supériorité. Un léger ricanement m'échappa, immédiatement remarqué par Rafe, dont les épaules se raidirent en réaction. Je détournai le regard et m'en allai sans demander mon reste.

-Je n'étais et ne serais jamais le genre de fille ravie qu'un type que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam me sauve le cul.-

Enfin, il ne pouvait pas le savoir et imaginait sans doute que cela me rassurerait. Peut-être qu'il pensait réellement que j’avais besoin d'aide.

Alors que je commençais à gravir les marches de l'escalier, un sentiment familier s'abattit sur moi, comme une ombre pesante. L'oppression de sentir des yeux scrutateurs posés sur moi. Les frissons qui parcouraient ma colonne vertébrale ne laissaient aucun doute : j'étais observée, suivie. Je laissai échapper un soupir las, désireuse que cette soirée interminable prenne enfin fin. En me concentrant davantage, je n'eus aucun mal à identifier le coupable de cette intrusion dans mon espace privé. Mon front se plissa dans une expression de contrariété. Mes lèvres se serrèrent, laissant échapper toute la colère qui bouillonnait en moi, brouillant mes pensées.

Je figeai soudainement au milieu de l'escalier. Une voix intérieure me chuchotait qu'il aurait été plus sage de continuer comme si de rien n'était. Pourtant, je ne pus réprimer le besoin de lui adresser la parole, même si mon esprit me criait de rester silencieuse.

— Montre-toi et exprime-toi, à moins que tu ne préfères continuer à me suivre comme une ombre pour l'éternité.

J'ignorais ce qu'il voulait, il avait agi comme “un prince sauvant une princesse en détresse”. Je n’en étais pas une. Je ne pouvais pas lui en vouloir, c'était exactement le personnage que je souhaitais jouer dans cette compétition.

— Oh, l’oisillon sort ses griffes, dit-il en ricanant.

Alors que je m'immobilisai brusquement au milieu des marches, une tension électrique emplissait l'aire entre nous. Les mots non dits pesaient lourdement créant une atmosphère chargée de conflit latent. Mes narines se dilatèrent instinctivement, trahissant mon agitation intérieur, tandis que je me retournais vivement vers lui.

L'idée fugace de le pousser dans les escaliers et de vois sa silhouette chuter résonnait dans mon esprit, une tentation dangeureuse que je chassai rapidement. Rage, lui, sembla percevoir cette tension palpable, mais préféra garder le silence.

— C’est tout ce que tu avais à me dire ? répliquai-je finalement, ma voix teintée d'une froideur contenue.

Son rire moqueur résonna dans l'espace étroit de l'escalier.

— Non, j’ai tenté de t'aider et voilà que mon tee-shirt est froissé, une excuse serait la moindre des politesses, tu ne crois pas ?

La fureur monta en moi à ses paroles

— Je ne t’ai pas sollicité, Rafe. Je n’ai aucune excuse à te présenter, crachais-je, mes mots cinglants comme des lames de couteau

Un sourire en coin étira ses lèvres, exacerbant mon irritation.

— J'aurais juré que tu voulais faire profil bas pourtant, petit oiseau, lança-t-il d'un ton provocateur.

Un frisson de colère me parcourut à l'entente de ce surnom condescendant. Une veine devait sûrement pulser sur mon front alors que je le fixais, mes yeux brûlant d'intensité. Rafe me contempla avec une curiosité mêlée d'amusement, comme si j'étais une espèce à part. Je sentis mes joues rougir de frustration, la rage bouillonnait en moi. Si cette confrontation perdurait, je savais que je finirais par perdre le contrôle.

— Ne m'appelle pas de cette façon. J'ai un prénom, lançai-je d'un ton tranchant, mes yeux le fixant avec défi.

— Je t’écoute ? répondit-il d'un air faussement innocent, un sourire moqueur étirant ses lèvres.

— Tu n’as pas besoin de le connaître, crachais-je, ma voix serrée par la colère qui pulsait en moi.

Je me forçai à ravaler ma haine, souhaitant rester la personne lambda, celle que les gens voulaient aider, mais que personne ne regardait trop longtemps.

— Si tu le dis, petit oiseau, répliqua-t-il avec un mépris à peine dissimulé, avant de commencer à descendre les escaliers, comme si de rien n'était.

Je restais pantoise, pouvant seulement ruminer dans mon coin et rêver de la mort de ce goujat.

Je sentais que la tension de la soirée ne s'apaiserait pas facilement, pas même avec un bain chaud réconfortant. Une promenade dans la ville devenait une nécessité. Il me fallait me familiariser avec les rues, les places, les commerces. Je voulais connaître chaque recoin de cette ville, chaque magasin, comme si cela pouvait m'offrir un semblant de contrôle sur ma nouvelle réalité.

Pourtant, une pensée me tourmentait : que quelqu'un puisse me suivre dans mes déambulations nocturnes. Je n'avais aucune envie d'avoir à m'expliquer sur mes sorties solitaires, ni de devoir affronter d'autres confrontations indésirables.

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