Chapitre 76 La coupole

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 L'observatoire était en proie à la plus grande confusion. Clones et kansikers s'étaient lancés à la poursuite de PANDORA laissant le corps de leur chef baigner dans son sang. Insaisissable, l'androïde déjouait chacun de leur coup avec maestria, entraînant un entremêlement de tirs meurtriers.

 Alma, qui tentait de rejoindre le passage secret, avait dû se dissimuler dans les pieds d'un télescope pour échapper aux lasers. De sa position, elle distinguait parfaitement la porte. Quelques mètres seulement et elle aurait son ticket pour la liberté. C'était sans compter sur le destin qui semblait s'acharner contre elle.

 Une silhouette massive s'encadra subitement dans son champ de vision. Branach de Kerloch n'avait pas abandonné son objectif. Il comptait achever la tâche pour laquelle il avait été choisi. Il comptait lui faire payer son indocilité. Question d'honneur. Dès qu'il l'aperçut, il se précipita vers elle. Alma n'avait plus le choix. Elle devait s'enfuir. Encore.

*

 L'arme au poing, Marcus Ward entra en courant, mais dû s'arrêter net tant le spectacle qui venait d’apparaître devant lui était déroutant : le Commandeur à terre dans une mare de sang, ses hommes dispersés à la poursuite d'un ennemi invisible et Alma.

 Alma n'avait rien trouvé de mieux que d'escalader l'une des rampes de maintenance qui menait aux structures métalliques au-dessus de la coupole avec un kansiker visiblement déterminé à ses trousses.

— Bon sang ! Comment est-elle arrivée là-haut ? s'écria-t-il en regardant interloqué Ris qui venait de s'arrêter près de lui.

 Le serrocole, en homme pragmatique, avisa aussitôt les cordages de sécurité disposés contre l'un des murs de l'observatoire. Les ouvriers de la maintenance s'en servaient pour l'entretien de la coupole. L'infra en attrapa un et s'harnacha rapidement avant de bondir vers l'échelle de fer. Ris sur ses talons l'imita avec moins d'impétuosité toutefois. Son âge aurait pu être un handicap suffisant concernant ce qu'entreprenait de lui faire faire l'infra, mais c'était surtout sa peur du vide qui le préoccupait. Toutefois, il ne pouvait pas laisser Ward y aller seul.

*

 Bran Openwall avait franchi le seuil de l'observatoire avec appréhension. À ses côtés, Felia l'avait aidé à gravir les quelques marches et le soutenait durant sa marche il se sentait si vieux. Il était si jeune encore.

 Malgré sa faible constitution, il avait tenu à affronter son père. Il avait besoin de comprendre, de l'entendre lui dire sa détestation, car après tout, il n'avait jamais eu que les mots d'un Dashilester haineux pour justifier son exécution. Quant était-il vraiment ? Son père l'avait-il réellement honni au point de vouloir le tuer ? Pourquoi ce culte en son nom dans ce cas ? Et les clones ? Tant de questions dont il attendait depuis si longtemps la réponse.

 Le corps de Démétrius Openwall gisait toujours à terre, immobile. Bran s'approcha et s'agenouilla près de lui en espérant qu'il vive encore. Il fut choqué de constater que le visage de son père, bien que crispé dans une grimace de douleur, paraissait moins usé par le temps que le sien. Un souffle contraint et faible s'échappa de la bouche du blessé. Démétrius n'était pas encore mort. Non, il agonisait. Felia arrêta le geste de Bran qui désirait prendre la main de son père.

— Il ne faut pas le toucher ! dit-elle fermement, un poison rampe en lui.

— Peu importe ! Felia ! Je suis vieux et il est temps pour moi de savoir.

— Alors choisi de toucher un membre non souillé, insista-t-elle

 En s'infiltrant en Bran, le Getheimklak ne lui avait pas seulement rongé ses années de vie à un rythme effréné, il lui avait aussi fait un cadeau en lui octroyant le pouvoir de lire la mémoire de la chaire. Il lui suffisait d'un simple contact pour que le charme opère. Bran retira sa main du cocon chaleureux formé par celles de Felia et la posa sur le cou intact de son père.

 Alors les images affluèrent. Et dans ce tourbillon incroyable, il se vit, lui, jeune enfant, fierté d'un père que l'ambition ne rongeait pas encore. Il aperçut sa mère, douce et juste, trembler sous le joug du maître, puis mourir de sa main. D'autres femmes, secrètes, effrayées. Il vit les sérums et les poisons. La convoitise et les mensonges. Les ordres et les exécutions. Les rêves. L'histoire de son père coulait en lui avec violence. Et Bran sut enfin la vérité faite de meurtres et de folie. La soif de pouvoir avait consumé son père jusqu'à lui faire perdre la raison. Bran retira brusquement sa main, envahi par le dégoût et la rage.

 Démétrius ouvrit les yeux péniblement et les posa sur son fils. La douleur indicible qu'on pouvait y lire, se mua bientôt en stupéfaction.

— C'est impossible ! balbutia-t-il avec difficulté, tu es mort !

— Non, père ! Je suis encore vivant ! Vous, en revanche, vous êtes mort ! répliqua Bran d'un ton froid et dur en attrapant le couteau à sa ceinture.

 C'était un cadeau de la tribu munashe. Une belle lame, montée sur un manche de corne finement incrusté d'argent. Il ne s'en était jamais vraiment servi. Juste pour dépecer un poisson de temps à autre. Un bref instant, il regarda le tranchant de la lame, l'éclat du métal froid. Puis sans tressaillir, il la planta dans la gorge de son père.

 Horrifiée par ce geste aussi soudain qu'inattendu, Felia avait reculé. Dans sa tribu, Bran avait toujours représenté la sagesse face à la force brutale. Jamais elle ne l'avait vu dans un tel état de fureur, ni faire preuve d'une violence aussi froide.

 Le vieillard s'était redressé. Poussé par la rage qu'il avait si souvent contenue, il s'empara de l'arme de son père et se mit à tirer sur les clones, images fallacieuses de sa jeunesse perdue. Il ne s'arrêta qu'au moment où celui qu'il visait se retrouva entre les griffes de PANDORA.

 Debout, devant l'ouverture qui menait à l'extérieur de la coupole, l'androïde dominait l'observatoire. Tout en maintenant fermement sa victime, elle plongea son regard dans celui de Bran, le clouant sur place de stupeur. Puis avec un geste sûr, elle imprima une torsion au cou du clone avant de bondir sur le rail de sécurité qui menait à la flèche extérieure. Bran se mit à tirer. Trop loin pour l'atteindre. Assez près pour provoquer l'irrémédiable.

*

 Alma ne se préoccupait plus de ce qui pouvait bien se dérouler dans l'observatoire. À cette hauteur, on ne s'embarrassait pas de savoir si les combats s'achevaient, et qui avait gagné. Seule la recherche de bonnes prises comptait vraiment.

 Accrochée au rail de sécurité, la jeune fille luttait contre les vents tourbillonnants pour progresser. Elle allait bientôt atteindre la plate-forme supportant la flèche, énorme tube renforcé s'élançant vers le ciel. Elle jeta un rapide coup d'œil par-dessus son épaule pour constater que le kansiker ne lâchait pas prise. Encombré par son corps massif, il progressait plus lentement, mais il progressait tout de même.

 Alma se retrouva bientôt assise, dos à la flèche. Elle tenait fermement les poignets de sécurité rivées à la plate-forme. Dans cette position, elle pouvait envisager d'en faire le tour et accéder au rail opposé pour redescendre. Le kansiker comprenant ce qu'elle avait l'intention de faire, accéléra l'allure en jurant. Il ne pouvait envisager de perdre sa proie après tous les efforts qu'il fournissait pour la rattraper !

 La jeune fille se tournait légèrement pour attraper le jeu de poignets suivant, quand son regard capta le mouvement d'une chevelure ambre ondulant furieusement dans le vent. Sur le rail opposé, PANDORA avançait à une vitesse surprenante comptes tenus des conditions extérieures.

 Prise au piège, Alma ne voyait plus qu'une solution : se débarrasser de l'une des deux menaces. Elle choisit le kansiker. À bien y réfléchir, des deux, c'était bien celui qui lui faisait le moins peur. Elle se réengagea sur le rail qu'elle venait de quitter et se dirigea, résolue vers le soldat étonné. Lorsqu'elle fut assez près, elle prit de l'élan et lui envoya son pied dans la figure.

 Bien que sur ses gardes, Branach de Kerloch fut incapable d'anticiper le coup et se trouva déséquilibré. Son corps tangua un instant vers l'arrière pour finalement s'abattre sur le côté. L'une de ses mains loupa le rail, tandis que l'autre s'agrippait malheureusement à la cheville d'Alma qui, entraînée par le poids du soldat, chavira à son tour dans le vide. Cramponnée au rail, la jeune fille accusa la violence de l'arrêt brutal du kansiker en poussant un hurlement de douleur.

 Kerloch effleurait le verre de la coupole du bout de ses bottes, mais la surface vitrée était glissante et ne permettait pas de se hisser. La jeune fille n'avait pas la force nécessaire pour se rétablir seule sur le rail avec Kerloch accroché à sa cheville. Il fallait qu'il la lâche, mais n'avait manifestement pas l'intention de le faire.

 Debout sur la plate-forme, PANDORA se tenait maintenant bien droite le long de la flèche et les observait avec un regard curieux sans broncher. Quand Alma la supplia de l'aider, elle hésita non pas à accéder à sa demande et la sauver, mais plutôt à achever le travail elle-même et savourer la mort de celle qui représentait tant d'espoirs pour les capolkaniens. Mais à quoi bon se détourner de sa mission. Une fois cette dernière accomplie, il n'y aurait plus d'espoir pour Capolkan. Que l'Élue soit vivante ou non. Il était temps d'achever les humains. De leur faire payer.

 Écartelée, Alma avait vu l'androïde se détourner d'elle avec horreur. Elle avait espéré que cette tueuse la prenne en pitié. Belle illusion. La jeune fille sentait de moins en moins ses bras et ses jambes. La douleur s'était concentrée sur ses mains et ses chevilles, se mêlant à celle plus sourde qui était apparue durant son ascension vers l'observatoire. Alma n'en pouvait plus. Jetant un dernier regard vers le haut, elle lâcha le rail au moment où ses yeux rencontraient ceux de Marcus Ward. Et puis, il y eut un grand fracas et la coupole se brisa sous elle.

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