Chapitre 75 La matrice

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 La barge s'était posée en douceur sur le toit du bâtiment consacré à la maintenance du village soulevant de petits tourbillons de poussières grège. La piste d'atterrissage n'avait pas beaucoup servi ces derniers temps. Son entretien n'était fait qu'en période de villégiature. L'accès au complexe se faisait par une porte métallique à code. Christophorus utilisa ceux que lui avait fournis Moor et pénétra le premier dans le bâtiment, suivi par Brix Taglione à la tête d'une escouade composée de bersikers et d'ytualanis.

 Le supra à la sécurité intérieure, après avoir échoué dans sa tentative d'éliminer Moor sous la pression et les menaces du Commandeur, avait été relevé de ses fonctions par Dengen. Les anciens avaient lancé une opération de recherche presque immédiatement pour récupérer le fils du supra.

 Le jeune kansiker s'était retrouvé bien malgré lui dans le camp opposé à son père. Dépêché en première ligne dans la cité, il avait été localisé assez facilement grâce à son communicateur, puis rapatrié dans les plus brefs délais. Le jeune homme avait en effet été grièvement blessé et laissé pour mort près du fleuve par ses compagnons. À présent, sa vie était entre les mains des médecins.

 Les anciens Christophorus et Dongala avaient alors insisté pour réintégrer Taglione en le conservant sous leurs ordres. Dengen n'était pas idiot. Intérieurement, il savait que lui aussi aurait sans doute réagi comme le supra si son fils avait été entre les mains du Commandeur. Ce qui avait failli arriver, d'ailleurs. Il avait donc approuvé la réintégration sans faire de commentaire. Le supra Taglione était un homme de valeur sur lequel Moor avait toujours pu compter jusqu'à présent.

 Au moment même où les portes du complexe s'ouvrirent, les cellules de confinement du personnel mécanique s'activèrent. Les quelques « éveillés » qui avait été infiltrés parmi les androïdes affectés à l'entretien des villas et au bien-être de leurs occupants, s'étonnèrent de cette activation, mais se mirent au travail. Aucun d'entre eux n'était au courant des derniers événements survenus dans la cité. Aucun d'entre eux ne savait que le soulèvement avait commencé. Le Réseau Fantôme était muet.

 Tout en feignant de s'occuper des tâches qui leur incombaient en temps normal, ils vérifièrent les écrans de contrôle du poste de surveillance inhabituellement vide. Le personnel humain n'avait pas été débarqué comme à l'ordinaire. En revanche, un groupe d'hommes armés s'était introduit dans le bâtiment et se dirigeait vers les sous-sols. La stupéfaction des « éveillés » fut à son comble quand ils aperçurent des ytualanis parmi les bersikers.

 L'attention d'un androïde fut attirée par un mouvement sur un écran provenant de la surveillance extérieure. Une silhouette venait de pénétrer discrètement dans la villa des Wisdek. N'obtenant aucune réponse de la part du réseau malgré leurs efforts répétés, ils essayèrent le réseau de communication conventionnel, toujours sans résultat. Devant cet isolement pour le moins inhabituel, ils décidèrent d'agir malgré tout. L'intrus de la villa semblait facile à neutraliser et aurait peut-être des informations à leurs fournir sur cette situation troublante.

*

 Trouver le passage vers le sous-sol n'avait pas été difficile. Le complexe y possédait des thermes dont l'accès était un escalier monumental sans protection particulière. L'immense piscine principale était illuminée de millier de morceaux de cospraw que les concepteurs n'avaient même pas eu besoin d'insérer puisqu'ils affleuraient dans la roche qui avait servi à la construction du bassin. En fouillant les différentes salles réservées au soin, les hommes découvrirent une porte ancienne ouvragée, dont le métal leur était inconnu, avec une serrure impossible à forcer. Il fallut plusieurs charges d'explosif et la force brute d'un Anders pour en venir à bout.

 Derrière la porte, un étroit escalier s'enfonçait profondément dans la roche humide et lumineuse. Il menait jusqu'à une grotte au centre de laquelle trônait un silo de confinement. Là encore la présence du métal inconnu troubla les hommes de la délégation. Dans ce lieu où il était impossible d'utiliser des explosifs sans craindre un effondrement général, Christophorus et Taglione eurent la surprise de constater que la porte du silo n'était pas fermée par une serrure, mais par un sceau, dont ils ne reconnurent pas l'emblème.

 Christophorus suivait du doigt les circonvolutions complexes qui le composaient, hésitant à le détruire. Faisant fi des réticences de l'ancien, Taglione le brisa et ouvrit simplement la lourde porte. Alors une lumière aveuglante envahit la grotte.

 Christophorus fasciné, happé par la beauté si éclatante, si pure de la matrice, était entré dans le silo le premier. L'ancien ne savait rien des hommes qui avaient donné leur vie pour en sculpter les contours, lui donnant l'apparence d'un bourgeon en pleine éclosion. Il ne savait rien des conséquences d'une exposition prolongé à autant d'énergie. Il ne savait rien du calvaire vécu par les premiers gardiens qui malgré le confinement de la pierre avaient été touchés par son rayonnement. Christophorus ignorait tout de leurs tourments et de leur mort. Et peu lui importait. Il était là pour s'emparer de cette incroyable source d'énergie et il le ferait.

*

 Après s'être installé dans la villa, Shankar avait exploré le village et les bâtiments afférents, sans toutefois y pénétrer. Aucun autre être humain ne vivait ici. Il avait aperçu les cellules de stockage dans lesquelles les androïdes sommeillaient. Rien n'augurait de leur activation prochaine. S'étant ainsi assuré de l'absence de danger, il avait rejoint le campement du réseau Eleftheria pour y prendre de la nourriture.

 Il s'agissait d'une petite hutte, dissimulée dans la végétation luxuriante de la profonde forêt qui recouvrait le reste de l'île. Il n'y avait rencontré personne. Il s'était donc servi sans vergogne dans les réserves entreposées.

 Que Shankar n'ait vu personne ne voulait pas dire qu'il n'y avait personne. La sensation désagréable d'être épiée qui tourmentait Kala depuis qu'elle avait posé les pieds sur l'île, provenait sans doute des caméras toujours en action qui quadrillaient le village comme l'œil inquisiteur d'un voyeur invisible. Pendant l'escapade de son frère, la jeune fille s'était activée à sécuriser les abords de la villa.

 Quand la barge avait survolé Rikushu, Shankar était sorti pour mieux voir où elle comptait se poser et ce qui en sortirait. Kala, quant à elle, avait suivi des yeux avec inquiétude sa lourde silhouette. Shankar n'était pas parvenu à la rassurer, même en lui assurant que les visiteurs ne semblaient intéressés que par le bâtiment abritant les thermes. Quelques instants plus tard, un léger bruit de clochette avait brisé le silence que la nuit avait retrouvé après que l'engin se fut posé. Quelqu'un s'était pris dans l'un des pièges de la jeune fille.

*

 L'androïde était maintenant suspendu la tête en bas, le pied gauche solidement prit dans un lacet de liane. Il jura et tempêta jusqu'à ce que ses compagnons viennent le détacher. Depuis quand les intrus posaient-ils des pièges ? Les « éveillés » eurent soudain un doute. Et si leur petite initiative mettait en péril le soulèvement ? Mais il était trop tard pour reculer. Rien ne devait entraver leur objectif collectif, c'est pourquoi ils s'avancèrent, déterminés, vers la villa des Wisdek.

*

 L'alarme rudimentaire de Kala leur avait permis de changer de position avant l'arrivée de l'ennemi. Sans le savoir, les androïdes se dirigeaient vers le second piège. Plus explosif. Plus mortel. Shankar, accroupi dans les buissons qui dissimulaient un petit appentis, tenait en joue les ombres qui avançaient vers leur ancien refuge.

*

 Christophorus suivait des yeux le précieux chargement que transportaient deux hommes à l'aide d'un brancard, quand l'explosion transperça la nuit avec fracas. Proche de la limite nord du village, une maison venait de voler en éclat, expédiant des morceaux de maçonnerie et de bois enflammé plusieurs mètres à la ronde. L'escouade stupéfaite s'était immobilisée dans l'attente d'un ordre ou d'une remarque de leurs chefs.

— Installez la matrice dans la barge ! ordonna Christophorus, tandis que Taglione, armé de jumelle à vision nocturne, tentait de distinguer quelque chose dans l'épaisse fumée qui s'élevait maintenant autour du lieu de l'explosion.

— Que faisons-nous ? demanda le supra jetant des coups d'œil inquiets à la porte d'accès au toit qu'il venait à peine de refermer.

— Rien, dit calmement l'ancien, notre mission prime avant tout. Nous ferons envoyer une équipe plus tard.

 Réfugiés dans la la forêt, Shankar et Kala observèrent la barge qui survolait l'île en direction de la tour. Ils n'avaient pas d'autre choix que de rejoindre le campement d'Eleftheria désormais. Dans l'attente de l'aube, serrés l'un contre l'autre, le frère et la sœur se demandaient s'ils parviendraient jamais à quitter Capollkan vivants.

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