Chapitre 74 Le piège

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 Contrairement à ce qu'elle avait imaginé, la dernière porte était ouverte. Alma s'était arrêtée avant de la franchir, tournant plusieurs fois la bague de Magne dans sa paume pour finalement la remettre dans sa poche. Cette porte ouverte ne pouvait dire qu'une chose : elle était attendue. Et c'était plutôt ennuyeux compte tenu de ses projets. Il était, bien sûr, trop tard pour faire demi-tour. Et elle avait beau réfléchir, elle ne voyait pas d'autres moyens que franchir cette porte pour assurer la mission qu'elle s'était assignée. Elle raffermit donc sa prise sur son arme et avança. Déterminée, mais prudente.

 L'observatoire était spectaculaire pour quelqu'un qui n'en avait jamais visité. Couronnée d'une coupole de verre, dont plusieurs parties étaient amovibles, la salle était aux dimensions des derniers étages de la tour : plus étroits que les étages inférieurs mais tout de même gigantesques.

 Plusieurs lunettes d'observation de différentes tailles étaient orientées vers le ciel. L'une d'entre elles était monumentale. La coupole était surmontée de structures de métal, amenées à consolider l'édifice et à supporter le poids d'une flèche qui transperçait l'obscurité de la nuit pour s'achever sur une corolle s'épanouissant en pétales opalescentes. De cette fleur lumineuse, solitaire, unique, émanait le dôme.

 Fascinée, Alma n'en restait pas moins sur ses gardes. À proximité de la porte, des machines aux consoles et écrans éteints attendaient que leurs propriétaires veuillent bien les éveiller, afin d'enregistrer les calculs pour lesquels elles avaient été construites. Elle distingua plusieurs machines similaires à différents endroits de la pièce. Au centre, une sorte d'estrade circulaire ceinte d'un renfort métallique était occupée par le poste de contrôle central. Bureaux, ordinateurs et écrans prenaient la majeure partie de son espace, tandis qu'une banquette occupait le reste.

 Il semblait n'y avoir personne. De là où elle était, elle ne distinguait pas l'accès à l'étage inférieur, dissimulé derrière une lunette à sa droite. Elle s'avançait prudemment en surveillant ses arrières pour se ménager un moyen de fuir en cas de besoin, quand tout se précipita brusquement.

 Des hommes armés surgirent de plusieurs endroits simultanément et l'encerclèrent sans difficulté. Alma jura bruyamment en sentant le piège se refermer sur elle. Mais qu'avait-elle espéré, pauvre idiote ? Un homme aussi puissant n'était jamais seul. Jamais. Et même si la cité vacillait, lui restait solide et confiant.

 Sachant pertinemment que le Commandeur ne faisait pas partie de ses assaillants, Alma se contenta de les menacer avec son arme, élargissant le cercle autour d'elle à chaque fois qu'il tentait de le resserrer. Il n'était pas encore temps de se résigner. Pas maintenant. Rien n'était résolu. Non seulement elle n'avait pas libéré Capolkan, mais si elle mourait ici, son corps serait la proie de ces ennemis. Qui sait s'ils ne réitéreraient pas leurs expériences et ne la réveilleraient pas de nouveau ? Elle n'osait pas imaginer une telle éventualité. Elle ne pouvait l'accepter.

 Il ne lui fallait pas grand-chose. Juste un angle de tir, une opportunité, une brèche. La jeune fille remarqua que les hommes autour d'elle n'étaient pas tous des clones. Certains portaient la tunique des kansikers. Elle repéra celui qui lui paraissait le moins costaud parmi les hommes de Van Stiers et tenta de forcer le passage en s'élançant brusquement. C'était sans compter sur la rapidité de ces hommes surentraîner et sur la faiblesse de son corps à elle. Au moment de franchir la muraille humaine, deux bras puissants la ceinturèrent sans hésitation avant de la désarmer.

 Le cercle s'étira alors et laissa passer un homme de haute stature portant une longue tunique rouge d'andrinople rebrodée de fils ocre et gris au niveau des poignets et de l'ourlet. Rien chez celui qui s'avançait n'était laissé au hasard. Le moindre détail était là pour rappeler sa fonction, son rang ou plus simplement son autorité.

 Le Commandeur avait le visage reposé. Les années passées n'avaient eu de prise que sur ses cheveux d'un blanc éclatant, tenu à l'arrière de sa tête par une fine baguette de bois sculpté couleur miel. Ses yeux aux pupilles dilatées lançaient un regard froid que venait renforcer le sourire carnassier qui s'étirait ostensiblement sur ses lèvres. Il prenait appuie sur une canne finement ouvragée, dont il n'avait manifestement pas besoin, si on en jugeait la posture de son corps. Il ne laissait paraître aucune trace de frayeur, ni même la plus petite étincelle d'inquiétude. Son arrogance énerva un peu plus encore la jeune fille.

— Enfin, nous voilà réunis ! lança l'alerte vieillard en s'avançant encore avant de continuer, je ne suis pas déçu ! Tu es splendide ! Beaucoup plus jolie que sur les écrans !

 Le vieil homme s'était approché, mais sans jamais toutefois être à portée de main de sa prisonnière. Il n'était pas naïf, une femme avait plus d'une arme naturelle en sa possession, et celle-là semblait particulièrement vindicative.

— Ravie que la marchandise vous plaise ! Profitez bien du spectacle, parce que ça ne va pas durer ! lança-t-elle avec insolence en repoussant d'un mouvement brusque la main que l'un des gardes avait posé sur son épaule. Elle avait peut-être été désarmée, mais elle n'était pas prête à se rendre.

— Et avec de la répartie en plus ! Ta progéniture risque d'être intéressante ! répliqua le Commandeur la bouche figée dans un sourire féroce.

— Si vous croyez que je vais me laisser faire, vous rêvez !

— Alors pourquoi es-tu ici, dans ce cas ? lança le vieil homme d'un ton hautain.

— Pour vous ! cria Alma en se jetant sur lui d'un mouvement vif.

 Anticipant son attaque, les clones la plaquèrent au sol brutalement.

— Oh ! Tu comptais me tuer ?! s'exclama le chef suprême de Capolkan amusé, d'autres ont essayé avant toi. Aucun d'entre eux n'est plus là pour en parler. Estime-toi heureuse d'avoir de l'intérêt à mes yeux, finit-il d'un ton lugubre en se tournant légèrement vers le centre de l'observatoire.

 Avec une grimace de douleur, Alma parvint à tourner son visage vers ce que fixait maintenant le Commandeur. Cinq hommes patientaient devant les quelques marches menant à la plate-forme de contrôle. L'un d'eux lui fut immédiatement familier. Même affublé d'une tenue de kansiker, elle n'aurait pu le confondre avec aucun autre. C'était l'homme qui avait tenté de la violer quatre jours plus tôt. Il se tenait légèrement en retrait du groupe et la fixait avec une certaine avidité dans le regard.

 N'étant plus en possession des laboratoires, ni de Johansen, le Commandeur n'avait plus la possibilité de faire inséminer le sujet de manière artificielle. Il ne restait que la méthode naturelle. Openwall n'avait pas particulièrement envie d'assister à ce qui allait suivre. Cependant, il savourerait avec un grand plaisir la défaite de la jeune fille une fois qu'elle aurait compris l'inutilité de ses résistances. Elle avait mérité ce qu'elle allait subir. Il y avait toujours un prix à payer lorsque l'on refusait de se conformer aux ordres du Commandeur.

 Les deux clones relevèrent Alma sans ménagement, et tout en la maintenant fermement, ils la poussèrent en direction de l'estrade.

— Kerloch va s'occuper de toi, maintenant. Et cette fois, il ne se laissera pas surprendre, crois-moi.

 Alma n'avait pas joué sa dernière carte. Les clones l'avaient immobilisée, mais ils avaient fait une erreur monumentale. Ils avaient omis de la fouiller. Alors qu'elle s'avançait docilement, elle passa sa main sous le devant de sa tunique et en extirpa un couteau qu'elle pointa sur les hommes avant qu'ils n'aient pu le lui prendre. Presque adossée à l'estrade et faisant face à ses agresseurs, elle jeta un œil du côté du Commandeur qui semblait beaucoup s'amuser de la situation.

 C'est alors qu'Alma l'aperçut.

 Une chevelure ambre et or. Un corps sculptural presque nu. Une peau dorée constellée d'éclaboussures de sang. La femme s'avançait nonchalamment derrière Démétrius Openwall. Son regard pailleté d'or fixait Alma, tandis qu'elle portait un doigt ensanglanté à l'ongle démesurément long et effilé devant sa bouche souriante pour lui intimer le silence comme l'aurait fait un enfant qui désirait surprendre un ami.

 Frappée par cette apparition surréaliste qui avait failli lui faire lâcher son couteau, Alma recula encore une peu jusqu'à sentir le contact de l'estrade dans son dos et laissa échapper un retentissant « Merde, alors ! » qui ne manqua pas d'étonner tous ceux qui l'entouraient.

 Conscient que l'intérêt de la jeune fille s'était détourné d'eux, les gardes hésitèrent entre profiter de la situation et se retourner d'un bloc pour affronter ce qui semblait surprendre tout autant qu'effrayer leur proie. Ils choisirent la seconde option, quitte à négliger la prisonnière, qui de toute façon ne pourrait leur échapper dans un tel lieu.

 Le Commandeur cessa de sourire au moment où il découvrit leurs visages décomposés, et dans un mouvement vif, il se retourna pour faire face à la menace. Il reconnut sans difficulté PANDORA. Cependant, la créature qui se dressait devant lui n'avait plus rien de comparable avec la belle androïde, joyau de la Maison, créée pour donner de la jouissance à ses partenaires humains. L'or et l'ambre qui doraient ses traits habituellement, leurs donnant un éclat précieux et tentateur, se mêlaient maintenant au sang de ses victimes en entrelacs macabres.

 PANDORA restait immobile à quelques pas de lui. De sa main gauche, elle tenait la tête du supra Van Stiers par les cheveux, tandis que la droite, étrangement vide, arborait des griffes spectaculaires dégoulinantes de sang. Openwall réagit immédiatement, et braqua son arme sur elle. Mais PANDORA ne lui laissa pas le temps de faire feu. Laissant rouler son sinistre trophée vers les hommes du Commandeur, elle s'était déplacée avec une rapidité étonnante pour fondre sur sa cible.

 Alma, horrifiée, voyait à présent les longues griffes ressortir dans le dos de l'homme qu'elle avait elle-même envisagé d'éliminer quelques instants plus tôt. Les gardes se mirent à tirer vers l'androïde qui profitant de la configuration de la pièce leur échappait avec une étonnante facilité sans jamais vouloir s'enfuir. PANDORA n'avait pas achevé sa mission.

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