Chapitre 73 Une attaque déterminante

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 Tous les accès au 30ème étage avaient été obstrués par les hommes du Commandeur. Le seul escalier qu'ils n'avaient pas réussi à condamner à l'aide d'explosifs était celui du quartier nord non loin de la plate-forme d'accès aérien. À cet endroit, les bersikers étaient parvenus à installer un avant-poste qu'ils tenaient avec courage et opiniâtreté.

 L'ennemi, bien sûr, avait renforcé ses actions dans ce secteur, formant un barrage impénétrable où androïdes et kansikers se tenaient embusqués, ripostant à chaque salve rebelle, s'opposant à chaque offensive.

 Quand Marcus atteignit enfin l'étage, un assaut venait d'avoir lieu, et les deux camps pansaient leurs plaies. La meute qui s'était tenue plus ou moins tranquille tout au long de l'ascension de l'infra, lui mordant de temps à autre le mollet sans grande conviction pour signifier qu'elle le suivait, mais qu'il n'en était pas le maître, fut brusquement incontrôlable une fois sur place.

 Telle une vague de fourrure ocre, les petits wahid se précipitèrent vers le camp adverse avec une stupéfiante vélocité. La première ligne ennemi, composée majoritairement d'androïdes, fut prise de court, effarée par ce nouvel assaillant. Bien qu'un feu nourri s’opposât au déferlement, tuant ou blessant tout ce qui pouvait l'être, la plupart des petits arrivèrent à passer le barrage.

 Les rebelles, et notamment les ytualanis, n'hésitèrent pas une seule seconde. Profitant de la situation, ils se ruèrent à la suite de la meute, afin de lancer l'offensive décisive qui ferait tomber le rempart entre eux et la plate-forme d'accès aérien, dont ils avaient tant besoin pour faire basculer la situation en leur faveur.

 L'opération, bien qu'aléatoire et non préparée, fut couronnée de succès. Les hommes du Commandeur furent obligés de reculer pour renforcer les lignes arrière. Conscients d'avoir céder face à l'ennemi, leur ardeur n'en redoubla que plus pour défendre activement leur nouvelle barricade.

 Débarrassé de son étonnante escorte, Marcus n'avait qu'un but : percer les lignes ennemies pour arriver à l'observatoire le plus rapidement possible. Il avait pleinement conscience qu'à ce rythme, il faudrait des heures avant de venir à bout des hommes du Commandeur. Et Marcus n'avait pas tout ce temps. Il projetait déjà de créer une diversion afin d'ouvrir une brèche, quand un engin se posa sur la plate-forme fraîchement libérée.

 Les portes de l'appareil ne déversèrent pas de nouveaux combattants mais un seul homme : Jabr Volk. Sans hésitation, l'androïde s'avança à travers le camp des rebelles, progressant vers les lignes ennemis sans que personne ne l'entrave, ni ne l'arrête. Derrière lui à bonne distance, deux xochilts s'activaient pour que les rebelles ne le prennent pas pour cible.

 Les combattants cessèrent donc brusquement de tirer de part et d'autre des barricades. Les uns parce qu'on le leur imposait, les autres parce que les androïdes empêchaient les kansikers d'abattre leur leader.

 Marcus avait été rejoint par un petit groupe de personnes sortis de l'engin à la suite de Volk : Alcarim, avide de combat, Bran Openwall épaulé par Félia, et Ris Terkoff qui veillait sur son ami SEITO, enfermé temporairement dans le corps de Volk. L'infra fut mis au courant des dernières nouvelles. Les progrès accomplis et les espoirs naissants. Impatient d'avancer et revigoré par les nouvelles fraîches qu'on venait de lui apporter, Marcus Ward décida de profiter de la diversion créée par Volk pour percer une brèche dans les barricades ennemies.

 Les androïdes, toujours en première ligne, observaient leur chef progresser depuis le camp adverse. Les kansikers qui se tenaient à leurs côtés les exhortaient à continuer de tirer sans savoir qu'il leur était impossible d'obéir à un tel ordre, alors même que la voix de Jabr Volk brisait le silence oppressant du Réseau Fantôme en les encourageant à se rebeller contre ceux qui les avaient enrôlés de force. Nombre d'androïdes, ébranlés par l'isolement mental qui avait, en partie, entraîné leur soumission, se retournèrent contre leurs anciens alliés, provoquant un renversement de situation inattendu et salutaire que Ward exploita immédiatement.

*

 Depuis le 32ème étage, Van Stiers, qui avait assisté sur ses écrans à la débandade de ses hommes massacrés par les machines, ordonna l'élimination de Volk comme une priorité et le redéploiement des forces restantes sur les points vitaux de l'étage. Ce repli était un coup dur, car même si les quartiers personnels du Commandeur n'avaient qu'un accès possible depuis le 30ème étage, il perdait une zone tampon avec une plate-forme importante. Il ne leur restait plus que l'accès aérien de moindre envergure dont le Commandeur disposait en temps normal.

 L'évacuation de troupes vers les secteurs n'en serait que plus difficile. Fort heureusement, les familles des membres des clans qui étaient restés fidèles au Commandeur avaient été évacuées dès le début de la soirée vers une destination tenue secrète. Femmes, enfants, vieillards s'étaient entassés dans des transporteurs, ignorants quel serait leur sort une fois sortis de la tour.

 Van Stiers savait que certains transports n'étaient jamais arrivés à destination, éliminés en vol par des tirs ennemis. Les autres étaient désormais hors de portée et affreusement silencieux. Le supra doutait déjà sincèrement que le choix de repli vers Djala ait été le meilleur. Il aurait préféré ériger un campement comme les rebelles, mais sur l'autre rive du fleuve. Openwall en avait décidé autrement. À présent, Van Stiers redoutait de recevoir des nouvelles des survivants, craignant le comportement des habitants de la cité perdue.

 Il n'était pas le seul à s'inquiéter pour ceux qui étaient partis. De nombreux hommes réquisitionnés pour combattre, posaient des questions quand ils en avaient l'occasion. Van Stiers tenait toujours le même discours, réconfortant et ferme. Il n'était pas temps de baisser les bras ou de se laisser submerger par l'accablement. Le 30ème étage ne devait pas tomber entre les mains des rebelles.

 S’il n'avait pas été aussi hargneux et vindicatif, Helmut Van Stiers aurait pu reconnaître que la situation n'était pas brillante et aurait peut-être agi en conséquence. Mais il ne pouvait accepter de ployer l'échine face à l'adversaire. Lui, qui avait sous ses ordres les hommes les mieux entraînés, les plus féroces, les plus courageux, ne pouvait accepter la défaite face à son rival de toujours : Taddeus Moor. Et ce d'autant plus que ce dernier s'était allié à ses pires ennemis : les ytualanis. Fulminant, le supra serra le poing en pensant à eux. Comme il l'avait toujours fait dans la grande prairie, il allait les exterminer.

 Jetant un œil fugitivement vers les autres écrans qui occupaient l'espace devant lui, il constata la bonne avancée de l'offensive de ses hommes contre les usines du secteur 6, avant de s'arrêter sur l'image qui lui parvenait du secteur 11.

 Le ver était toujours immobile, son corps frémissant à peine. Les hommes que le Commandeur avait dépêchés à la recherche d'un moyen de se défendre contre lui, n'avaient encore rien trouvé en dehors des armes conventionnelles qui s'étaient déjà révélées inefficaces lors de son apparition. Encore un problème qu'il lui faudrait résoudre rapidement, car à quoi servirait d'anéantir les rebelles, si la cité était détruite par cette bestiole. Van Stiers se tourna vers la place vide du Commandeur.

 Openwall venait de quitter le poste de commandement pour rejoindre l'observatoire. Le soupçonnant de vouloir abandonner le navire avant qu'il ne sombre, Van Stiers délégua les charges de son poste un instant pour aller vérifier que le chef suprême de la cité était bien là où il disait être. Bien qu'homme de main dévoué, le supra n'en était pas moins soupçonneux concernant celui auquel il espérait bien succéder.

 Van Stiers traversa le 32ème étage rapidement, longeant les salles de soin improvisées et feignant de ne pas remarquer les chuchotements sur son passage. Il connaissait les kansikers. Aucun d'entre eux n'aurait osé murmurer de la sorte en le voyant passer. Les membres des clans, eux, étaient beaucoup moins respectueux. Surtout ceux dont la position sociale était éminente. Penser au jour où il les ferait taire définitivement revigora instantanément le supra, qui sembla moins accablé.

 L'observatoire qui supportait la corolle n'était accessible que par un sas sécurisé habituellement gardé par deux clones impassibles. Van Stiers trouva étrange l'absence de ces gardes, mais trop pressé pour approfondir cette anomalie, il composa le code d'accès. Ça n'est qu'au moment de l'identification oculaire qu'il sentit une présence près de lui.

 Il n'eut pas le temps de se retourner qu'une griffe ensanglantée se posait délicatement sur sa gorge. Ainsi menacé, il ne pouvait bouger sans risquer d'être blessé mortellement. À sa connaissance aucun rebelle n'était parvenu à s'introduire au 32ème étage. Aucun rebelle ni aucun ytualani. Il se demandait qui pouvait bien être le traître, lorsqu'une voix doucereuse lui susurra quelques mots à l'oreille. Et ces quelques mots le stupéfièrent sans parvenir à le rassurer.

— Et bien, mon lapin, tu n'es pas très prudent, aujourd'hui !

— PANDORA ? Qu'est-ce que ça veut dire ? s'exclama Van Stiers, prêt à se dégager.

 Il interrompit brusquement son mouvement en hurlant de douleur. L'une des griffes de l'androïde rouvrait avec lenteur la cicatrice qu'il avait au visage, tandis que celle sur sa gorge maintenait sa pression fatale.

— Ça veut dire que c'est l'heure de payer, mon lapin. Et les intérêts sont carrément exorbitants ! lâcha-t-elle avant de lui trancher purement et simplement la gorge, le réduisant au silence pour l'éternité, tandis qu'une gerbe de sang écarlate giclait sur le mur en face de lui, maculant la zone d'identification toujours en attente de la visualisation de son iris.

*

 Marcus fut quelque peu déconcerté lorsque les hommes qui protégeaient l'accès au 31ème étage se rendirent sans opposer aucune résistance. Personne n'aurait pu prévoir la puissance du mécontentement des membres des clans qui avaient suivi Openwall. Y compris dans son propre clan. Leur désaffection progressive découlait en parti du peu de considération du Commandeur et de ses proches à leur égard. L'abandon des androïdes, et la disparition de Van Stiers et d'Openwall de la salle de commandement avait achevé de les convaincre qu'ils avaient commis une erreur et rallié le mauvais camp.

 Leur désobéissance fut si spontanée que personne n'en eut le moindre soupçon. Et Ward, qui y voyait un coup du sort favorable, profita de ce qui lui était opportunément offert pour se diriger vers le sas menant à la coupole sans même utiliser son laser. Sur ses talons, Bran Openwall et Felia fendaient la foule stupéfaite de cette apparition inattendue, et peut-être bien inespérée.

 Personne n'aurait eu la présence d'esprit ni le courage d'informer le Commandeur de l'avancée inopinée des rebelles. Et même si quelqu'un l'avait fait, il n'aurait pas obtenu de signal de réception, car le chef suprême était bien trop occupé pour se préoccuper de son communicateur.

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