Chapitre 67 Volk

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 Bien que méfiante et sur ses gardes, la proie qu'elles avaient pris en chasse n'avait pas remarqué leur filature. L'homme était trop occupé à écouter des messages qu'il recevait directement dans son esprit, ce qui troublait considérablement la xochilt. Ivenka n'était pourtant pas une novice concernant la lecture des pensées d'autrui, mais jamais elle n'avait eu à lire un être aussi complexe doté d'autant de voix.

 Yésénia ne quittait pas des yeux la longue cape se fondant parmi la végétation. Malgré l'absence d'odeur, elle pouvait le pister sans difficulté. Contrairement aux hommes, la jeune giedre possédait une ouïe particulièrement développée. Et la proie émettait une légère vibration à son insu. Un frémissement infime et sourd. Cette empreinte sonore était unique, elle avait pu le constater lorsqu'elle s'était battue contre d'autres androïdes. Chacun avait la sienne.

*

 Volk progressait avec prudence. Il écoutait attentivement le Réseau Fantôme grésiller de messages provenant des quatre coins de la cité. Sabotages, combats, massacres. Son plan avait l'air de se dérouler à merveille. Pourtant, il trouvait que la déferlante manquait d'envergure. Le compte n'y était pas. Et pour cause ! De nombreux frères semblaient avoir été neutralisés avant de pouvoir passer à l'action.

 La Doshbat, sans savoir qui était à la tête du mouvement, avait su l'anticiper. Volk mettait cette incroyable chance sur le compte d'un traitre parmi les siens. Il ne s'agissait plus de savoir qui, mais plutôt de contrer les plans des capolkanniens en libérant ceux qui étaient détenus en divers endroits de la cité.

 Magne lui ayant finalement confirmé la réussite de sa mission auprès de Johansen, Volk se croyait protégé par son statut d'ancien. Il avait hésité à retourner dans la tour pour y poursuivre son œuvre de sape et y avait renoncé en fin de compte. Il avait préféré tenter sa chance dans la cité et libérer lui-même quelques-uns de ses frères en insinuant le doute là où il pouvait.

*

 Yésénia tenta de dissuader Ivenka d'entrer en lui rappelant qu'à l'origine, elles avaient pour mission de rejoindre le secteur 11 pour surveiller l'évolution de la situation concernant le ver. La proie leur échappait, mais elles n'avaient jamais reçu l'ordre de la prendre en chasse. Alors, elles étaient quittes. Ivenka refusa pourtant d'abandonner. Elle ne cessait de répéter qu'il fallait l'arrêter et qu'il n'y aurait aucun problème. Pourtant, cet endroit donnait la chair de poule à la jeune giedre. Il pouvait être si facile de s'y faire piéger. Si facile.

*

 Les événements déconcertant se succédaient rapidement, et le primus du secteur 3, Damian Piers, n'appréciait pas particulièrement de devoir briser son quotidien si bien ordonné. D'abord, la déconnexion des androïdes en zone de stockage. Ensuite, des non-avérés à débusquer. Les filtrations sabotées. Le confinement obligatoire qui en résultait. Et enfin, cette explosion effarante et spectaculaire du côté des mines. Piers avait décidé de protéger les habitants du secteur 3 coûte que coûte. Chaque foyer avait été armé, même de manière rudimentaire, et chacun avait été sommé de rester tranquille dans sa cellule jusqu'au matin. À moins d'un incendie, personne ne devait ni entrer, ni sortir des bulles.

 Le primus venait de faire le tour de l'ensemble du secteur pour vérifier que tout était en ordre. Lui et ses hommes avaient dû se battre deux ou trois fois en chemin. Il avait même perdu son second, ce qui l'avait plongé dans un grand désarroi. Cavolino était à ses côtés depuis plus de dix ans. Le perdre aussi brutalement, et à un moment aussi décisif, l'avait affligé plus qu'il n'aurait cru. Sa compagne s'était effondrée lorsqu'il lui avait appris la nouvelle. Le corps avait été laissé sur place. Piers le ferait rapatrier au petit matin.

 Dès son retour à la bulle principale où se trouvaient ses bureaux, le primus reconnecta le circuit interne de surveillance. Cela lui évitait de laisser des hommes inutilement dans le hall, tout en ayant à l'œil les mouvements dans le bâtiment. Le déclenchement de l'alarme ne fut donc pas une surprise. Il s'attendait à devoir maîtriser quelques récalcitrants. Mais l'identification que lui affichait l'écran le laissa incrédule un bref instant. Personne n'avait tenté de sortir. Par contre, un serpent, un chat et un oiseau venait successivement de franchir le hall d'entrée. Piers envoya son troisième responsable, le Tertius Sulaman, au-devant du chat et de l'oiseau, tandis que lui s'occupait personnellement du serpent qui descendait déjà vers les cellules.

*

 La plate-forme s'immobilisa devant une coursive plongée dans la pénombre. Seules les lampes d'urgence éclairaient péniblement le haut des portes des appartements. Halo fantomatique se perdant dans un couloir sans fond. Jabr Volk s'approcha de la porte numéro 23, dont l'occupant était désigné comme étant un certain Arald Pilcher sur une plaque posée sur le mur de gauche. L'androïde constata que la serrure n'était pas verrouillée et pénétra sans plus attendre dans cellule.

 Sven et Arald formaient le premier échelon de la pyramide au sommet duquel il se trouvait dans la hiérarchie des androïdes. Sven était son relais dans la tour, et Arald, celui dans les secteurs. Mais bien souvent Arald s'adressait à Sven, et non à lui, pour des raisons de disponibilité le plus souvent. Sven ayant disparu, demeurait Arald.

 L'androïde en question se trouvait étendu sur le sol de la pièce principale de la cellule qui lui avait été attribuée deux ans auparavant. Il n'était pas seul. Plusieurs autres androïdes avaient été allongés près de lui. Volk se pencha sur Arald et constata que sa puce était toujours en place. La désactivation avait été faite manuellement. Il s'apprêtait à le réactiver lorsqu'une voix s'éleva derrière lui.

— Si j'étais vous, je ne ferais pas ça ! Ce serait cruel !

 Le ton était tranquille, mais ferme. Sans animosité, mais inflexible. Pourtant, Volk acheva son geste et enclencha la puce d'Arald qui se mit à émettre un bourdonnement proche du gémissement sans pour autant bouger.

— Je vous avais prévenu ! Si vous avez une once de pitié, vous le déconnecterez. Ensuite vous poserez votre arme à terre et vous vous retournerez.

 Bien que furieux contre lui-même pour n'avoir pas pensé à verrouiller la porte après être entré, Volk obtempéra calmement. Lui, si prévoyant d'ordinaire, s'était fait avoir comme un débutant. Il allait devoir jouer serré. Il comptait sur la surprise qu'aurait son interlocuteur lorsqu'il s'apercevrait qu'il s'était adressé à un ancien sans la déférence qui lui était dû.

 Piers était accompagné de deux gardes. Aucun d'entre eux n'avait envisagé de se retrouver face à un ancien. Et pas n'importe lequel : Jabr Volk. Si le primus du secteur 3 était capable de masquer sa stupéfaction, les deux gardes qui l'accompagnaient, ne pouvaient pas en dire autant.

 Damian Piers continua à le tenir en joue, au grand étonnement de ses hommes qui, instinctivement avaient baissé leurs armes. Seul le primus était au courant de l'avis de recherche pour haute trahison et dissimulation d'identité dont Volk faisait l'objet. Le message avait été expédié sur une ligne ultra sécurisée aux primus pour information. Piers n'avait pas eu le temps d'informer qui que ce soit.

— Briston ! Ramassez son arme, je vous prie ! Et Clark, veuillez maintenir cet homme en joue ! Nous allons offrir à ce monsieur une jolie cellule pour lui tout seul, en attendant de le remettre aux autorités.

 La voix de Piers avait été suffisamment ferme pour provoquer la réaction voulue chez Briston et Clark, perplexes. Le garde s'avança néanmoins avec une certaine hésitation.

 Jabr Volk ne pouvait voir tous ses efforts réduits à néant par ces humains sans importance ! Il n'avait pas lutté toutes ces années pour perdre maintenant ! Il n'avait pas manigancé tout cela pour abandonner si près du but !

— Que faites-vous, primus ? tonna-t-il d'une voix impérieuse qui stoppa net Briston.

— Vous êtes en état d'arrestation Volk l'ancien ! J'ai reçu des ordres vous concernant !

— Des ordres de la Doshbat ? Ne savez-vous pas qu'elle est en proie à la confusion la plus totale ! Des combats sont livrés à tous les étages ! Vous ne pouvez m'enfermer sur l'autorité d'un message dont vous ne connaissez pas l'expéditeur ! J'ai fui la tour pour sauver ma vie et je venais vérifier l'exactitude des informations concernant les androïdes ! Que s'est-il passé ici ! primus !

 Silencieux, Piers laissa mourir les derniers mots de Volk avant de répondre. Si les messages de la tour paraissaient parfois contradictoires, il en était un pourtant qui n'avait jamais paru ambiguë : celui concernant l'ancien. Pourtant, Piers ne voulait pas prendre de risque.

— Il y a un moyen très simple de savoir si ce que vous dites est vrai, ancien Volk, répondit calmement le primus avant d'ordonner à un garde d'aller chercher un scan et de poursuivre :

— Toute personne y est soumise depuis le début de la nuit, vous ne verrez pas d'inconvénient à vous y astreindre à votre tour.

 Volk n'était pas en position de refuser. Il acquiesça en remontant la manche de sa tunique avec un regard bravache, comme si cette vérification n'était qu'une simple formalité. Pourtant, ça n'en était pas une, loin de là. Elle allait anéantir ses espoirs. Une fois capturé, il serait sans doute désactivé, incapable de communiquer, notamment sur cette arme mystérieuse qui avait immobilisé ses frères sans pour autant les tuer.

 Depuis un moment, il tentait d'ouvrir un accès direct au Réseau Fantôme sans résultat. Il ne pouvait pas savoir que dans le secteur 3, comme ailleurs dans la cité, on venait d'activer un brouilleur d'ondes réglé sur celles utilisées par les androïdes.

 Alors que le garde revenait, le mouvement des hommes dans la pièce laissa une opportunité à l'ancien, qui dégaina une arme dissimulée à l'arrière de sa tunique. Briston s'effondra sans un cri sous le coup porté, au moment où Piers, avec un calme déconcertant, faisait feu sur Volk.

 L'ancien n'eut pas le temps de regretter son geste, ni même de se demander comment le primus avait pu l'anticiper. Le laser provoqua un black-out complet dans son esprit avant de faire disparaître à jamais la conscience que son père avait eu le génie de lui attribuer.

 Le coup avait atteint sa cible en pleine poitrine. Piers avait agi sans aucune hésitation. C'était comme si la situation lui avait toujours parue claire. Comme si les événements n'avaient pu être autres. Il abaissa son arme sous le regard stupéfait de ses hommes. Aucun d'entre eux n'aurait eu le cran de tirer sur un ancien, recherché ou non. Personne n'eut pourtant le loisir de s'attarder sur cette situation étrange, car la voix tendue du Tertius Sulaman résonna brusquement dans le haut-parleur du couloir.

— Primus Piers ! Vous devriez venir ! La situation est plutôt ... délicate, là-haut !

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