Chapitre 66 PANDORA

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 Avant de rejoindre le Commandeur, Dashilester désirait mettre en lieu sûr le petit stock de coca et de pavot qu'il avait réussi à sauver durant son excursion dans le secteur 11. Il avait donc demandé au pilote de l'amener d'abord à l'un des ponts d'envol du 7ème étage. Il y possédait un ami dont l'échoppe lui servait de couverture pour la transformation de la drogue.

 L'ancien fut surpris de voir que la plupart des accès étaient impraticables, soit pour des raisons techniques, engins écrasés en travers de la piste ou incendie en cours, soit pour des raisons humaines, combats, masse de réfugiés acculés ou en partance. Pourtant, Dashilester ne prit pas la mesure de ce qui se passait exactement dans la tour.

 Il finit par apercevoir un vieux ponton de stockage qui servait aux fournisseurs du casino. Cela imposait de traverser entièrement l'institution la plus rentable de toute la cité, et sans doute, d'y rencontrer des personnes de sa connaissance qui voudraient lui parler. Mais peu lui importait. Rencontrer Claudius, le maître des lieux ou Madame Rose, dont le bordel jouxtait le casino, ne pourrait pas lui nuire, bien au contraire. Dashilester s'engagea donc sur le ponton avec confiance. Le pilote avait ordre de rester dans les parages pour le prendre dès qu'il serait de retour.

 L'ancien traversa rapidement les cuisines vides, mais éclairées. Il remarqua les plats commencés et laissés sur place. Les légumes à moitié découpés. Il s'approcha d'une rangée de carafes à vin pleines qui patientaient pour être servies à des clients qui ne viendraient jamais. Dashilester en porta une à son nez et apprécia l'arôme qui s'en dégageait. Il attrapa un verre et se servit sans vergogne. Cela ne manquerait à personne. Manifestement Claudius avait été contraint de fermer les portes de l'établissement juste avant l'ouverture. Compte tenu de ce qu'il avait vu en survolant la tour, Dashilester commençait à réaliser qu'il n'aurait peut-être pas dû faire se petit crochet avant de rejoindre le Commandeur.

 Le verre à la main, il s'engagea lentement dans la salle principale à peine éclairée par de petites lampes accrochées au-dessus des portes. Les lustres étaient éteints et il ne savait pas où se trouvaient les commandes d'allumage. À cette heure, l'endroit aurait dû être bondé, empli de cris et de murmures. Les alcôves astucieusement dissimulées le long du corridor qui surplombait la salle de jeu et de danse, auraient dû abriter les plus jolies filles de la Maison. La nuit n'aurait dû être que plaisir et désir. Elle se révélait plutôt désagréable et menaçante pour le moment.

 La salle vide plongée dans cette semi-obscurité le mettait mal à l'aise. Il regretta de n'avoir pas pris un des hommes d'arme avec lui. Son silence ne lui aurait coûté grand-chose. Un peu de drogue tout au plus. Peut-être une faveur. Mais une faveur de ces petites gens ne représentait rien pour lui. Maintenant c'était trop tard de toute façon. Il n'allait pas rebrousser chemin. Il empoigna son arme et s'engagea prudemment dans le casino.

 Malgré sa corpulence, il se mit à accélérer dès qu'il aperçut les portes d'entrée de l'établissement à l'autre bout de la salle. Des années d'excès en tout genre sans pratiquer le moindre exercice avaient empâté sa silhouette de kansiker. Il aimait à penser qu'il était capable de la retrouver en un rien de temps. Mais c'était faux bien sûr, comme la plupart des choses qu'il se disait pour accepter sa vie faite de trahisons et de meurtres. Sentant venir les perles de sueur sur ses tempes, le souffle court et contraint, il passa les tables de jeux, et se dirigea vers la piste de danse.

 Un bruit mat derrière lui, l'arrêta net dans son élan. Il fit volte-face, l'arme au poing, mais l'obscurité ne lui révéla rien. Il menaça le vide encore un instant, puis lentement se retourna afin de poursuivre son chemin. C'est alors qu'il la vit. Une silhouette fugitive sur le côté gauche de la piste disparaissant à une vitesse fulgurante.

 Paralysé par la peur, l'ancien comptait sur sa tunique et les insignes de son statut pour éviter une attaque. Les hommes du Commandeur savaient qu'il était avec eux. Restaient les androïdes et le commun des mortels. Les machines n'auraient sans doute pas été aussi furtives. Quant aux autres, il espérait représenter assez l'autorité pour les impressionner.

 Il se mit à progresser lentement à reculons vers les portes. C'est alors qu'une douleur inattendue et intense l'atteignit au milieu du dos. Il y passa sa main et découvrit du sang. Tout ce qui lui restait d'assurance céda alors à la peur. Il se tourna de tous côtés pour faire face à son agresseur, mais ses yeux ne rencontraient que le vide et le silence.

 Le cœur battant à tout rompre, l'ancien tenta de rejoindre une porte en courant, mais il se figea en entendant un rire glaçant dans son dos. Chaque recoin du casino semblait vouloir en faire l'écho. Il se répercutait encore et encore, jusqu'à que le silence brusquement reprenne ses droits.

 Alors Dashilester la vit réellement. Elle n'était plus une silhouette. Elle était femme. Femme magnifique aux cheveux de feu, au visage ambré, aux traits fins, acérés. Elle était la belle PANDORA. Celle qui donnait son corps parce qu'elle avait été conçue pour cela. Celle qui, même éveillée, avait feint la servitude et en avait renforcé son dégoût des hommes. Celle que Jabr Volk avait choisie pour exécuter une tâche toute particulière. Une tâche essentielle pour la libération des androïdes, une étape cruciale du soulèvement. Toutefois, avant d'exécuter le plan, elle avait pris quelques instants pour revenir sur les lieux honnis de son asservissement.

 Le hasard lui apportait un cadeau. Une victime de plus à immoler. Pas une innocente victime. Un bourreau. Un pervers. Un sadique. L'un de ses clients. L'un de ceux qu'elle abhorrait. À présent, elle avait assez joui de sa terreur. Le voir suer comme un porc, l'épouvante au fond des yeux, était plaisant, mais l'exécuter le serait bien plus. Il était temps de l'achever.

 Elle lui était apparue pour cela. Elle voulait être la dernière image qu'il emporterait dans le néant. Et c'est exactement ce qu'il fit. Avant même qu'il ait eu le temps de tirer sur elle avec son laser, la tête de l'ancien roula jusqu'au milieu de la piste, tandis que son corps s'affaissait lourdement sur le bord. PANDORA ressentit pour la seconde fois l'euphorie la gagner. C'était si simple finalement. Si simple et si satisfaisant.

*

 L'escalier jonché de débris et de tôles résonnait encore de la fureur des combats. Taddeus Moor se dissimulait l'arme au poing, derrière ce qui subsistait d'une cargaison de matériel médical.

 Les hommes de la Doshbat avaient donné des assurances satisfaisantes concernant la sécurité de la délégation ytualanis et une rencontre avait été organisée rapidement. Après avoir introduit discrètement les nouveaux arrivants dans la tour, Cyrus Kreutzer avait été soulagé de voir son maître aux côtés des anciens et du supra Moor. La stupeur et la méfiance passée, les protagonistes de l'entrevue avaient commencé à discuter. Jusqu'à la détonation. Alors la rencontre avait tourné court.

 Alerté de cet événement incroyable, de cet acte d'insubordination non dissimulé, le Commandeur avait organisé une offensive d'envergure à l'explosif. Il voulait faire pénétrer ses hommes au 14ème depuis l'étage du dessus pour provoquer une rupture des négociations et un déferlement de violence de la part des deux camps.

 Dans le fracas des explosions, des kansikers et des androïdes avaient brusquement surgi dans les couloirs jusqu'alors préservés du département médical, fondant sur les groupes de réfugiés en pleine évacuation, créant une panique incroyable.

 La délégation ytualanis n'était pas dupe. En venant ici, elle était consciente du danger encouru, mais elle n'entendait pas abandonner aussi facilement sa meilleure chance de mettre fin à un conflit vieux de 300 ans. Dans l'urgence, elle décida d'épauler Moor et ses hommes. Les sentinelles qui surveillaient l'entrevue historique eurent donc la surprise de voir des guerriers ytualanis intervenir à leurs côtés pour stopper l'avancée des ennemis. Et ce fut-là, un atout non négligeable.

 Leurs adversaires ne s'attendaient pas à combattre contre des ytualanis. Et même s’ils avaient été entraînés pour les exterminer dans la steppe, les affronter tous ensemble dans la tour était une toute autre histoire. Munashes, giedres, wahids et anders coordonnaient leurs attaques grâce aux xochilts sur les lignes arrière. Ils formaient une armée redoutable.

 Pourtant, l'ennemi ne fléchissait pas et continuait de déferler. Les nouveaux alliés s'étaient rendus à l'évidence. Une fois l'évacuation des réfugiés vers l'étage inférieur effectuée, ils barricadèrent tous les accès possibles et se préparèrent à de nouvelles attaques.

 La délégation ytualanis aurait pu se retirer à l'abri du Sanctuaire, mais elle n'en fit rien. Désormais le destin de ses peuples était lié à celui des rebelles. Ils vaincraient ou périraient ensemble. La paix était à ce prix.

*

 Barandoué toujours maître des communications, malgré les attaques incessantes de hackers, expédia un message dans l'ensemble de la cité pour rendre compte de la situation exacte de la tour. Le message risquait fort de créer la stupéfaction, mais il était plus que nécessaire pour isoler le Commandeur, ses hommes et leurs nouveaux alliés, les androïdes.

 Avant que le supra ne puisse l'en empêcher en coupant la fréquence, Openwall qui ne manquait pas de ressource, parvint à émettre lui-même un message pendant quelques instants sur le canal d'urgence pour donner sa version de la situation, provoquant confusion et hésitation parmi ceux qui écoutaient à ce moment-là.

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