Chapitre 65 Alma

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 Le groupe d'androïdes s'était mis en mouvement assez rapidement vers les étages supérieurs en empruntant les voies d'accès encore dégagées. Linus s'y était intégré sans trop de difficulté. L'urgence de la situation avait eu l'avantage de diminuer la vigilance des hommes et des machines, pourtant méfiants les uns envers les autres. Personne n'avait semblé s'intéresser à lui.

 Durant leur progression, ils essuyèrent quelques tirs isolés auxquels ils échappèrent assez facilement. C'est à l'occasion de l'une de ses escarmouches que Linus réussit à s'enfuir. Se maintenant à l'arrière du groupe parmi les androïdes non « éveillés », il avait simplement bifurqué dans une ruelle lorsque le moment avait été favorable.

 Fausser compagnie aux hommes de Van Stiers lui parut aisé en comparaison de sa recherche effrénée d'un communicateur en état de marche. Le 6ème étage semblait avoir accueilli une gigantesque tornade. Il finit par tomber sur un modèle simple dans un bureau dévasté. L'appareil que les combats avaient abîmé, était toujours en état d'émettre, mais non de recevoir. Une fois un court message envoyé à son père concernant l'alliance entre androïdes et kansikers, il se hâta de quitter les lieux. Des bruits de combats se rapprochaient dangereusement de lui. Il devait trouver au plus vite un ascenseur pour rejoindre le laboratoire dans les étages supérieurs.

*

 Près du sol, un minuscule interstice, indécelable sans une recherche minutieuse, laissa la bague révéler le secret le mieux gardé des Commandeurs de Capolkan : un passage conçu à leur seul usage. Un accès direct à chaque étage de la tour sans surveillance, ni encombrement. Une rampe de guidage courant le long du mur au niveau du sol permettait, avec la console de commande de l'observatoire, de faire apparaître une plate-forme magnétique évitant aux chefs suprêmes de la cité la fatigue qu'auraient pu occasionner de telles distances à parcourir à pieds.

 Marcus Ward possédait désormais la clé pour entrer et sortir du passage, mais pas la commande de la plate-forme. Il s'engouffra donc seul dans les escaliers, sur les traces d'Alma en maudissant ce système qui allait encore lui faire perdre du temps.

 Il commença par descendre l'escalier comme l'avait fait la jeune fille. En ouvrant grâce à la bague, la grille bloquant l'accès au 3ème étage, il prit conscience que la fugitive n'avait pu la franchir, ni même sortir du passage seule. Elle ne possédait pas le sésame qui pouvait la délivrer. Ce constat lui mis du baume au cœur. Elle se trouvait forcément encore prisonnière de cet escalier, à moins que quelqu'un ne l'ait aidé à en sortir, ce dont il doutait. Il espérait maintenant qu'elle ne soit pas déjà parvenue au sommet.

*

 Des étales éventrées jonchaient les rues et les passages de leurs marchandises piétinées. Des incendies se propageaient d'habitation en magasin, ravageant l'étage saccagé. Quelques jets d'eau provenant du plafond tentaient d'apaiser les flammes. Mais sans l'appui des hommes responsables de la sécurité incendie, il était peu probable que ce mince système de protection vienne à bout du brasier. Les fumées noires et grasses s'échappaient par les baies vitrées brisées sur le pourtour de l'étage, se mêlant au nuage de poussière qui engloutissait la nuit. Et puis, il y avait les corps. Gisant là où la mort les avait fauchés. Ils étaient la contribution de chair d'une guerre qu'Alma ne comprenait pas.

 Depuis qu'elle était sortie du passage, la jeune fille errait à la recherche d'un moyen de descendre, de quitter ce piège infernal qu'était devenue la tour. Parfois devant le spectacle des cadavres, un hoquet de dégoût amer lui échappait. L'estomac noué, le cœur au bord des lèvres, elle s'était pourtant emparée d'une arme encore serrée dans le poing d'un mort. Elle n'imaginait pas pouvoir continuer sans cela.

 À force de contourner le brasier, elle parvint enfin à trouver l'accès d'un ascenseur magnétique, le voyant indiquant que la plate-forme approchait se mit à clignoter. Alma eut à peine le temps de se réfugier derrière un ensemble de caisses qu'un juron sonore s'échappait du tube.

*

 Jurer n'avait pas été la meilleure idée qu'il ait eue à ce moment-là. Mais il y avait de quoi s'énerver. Au lieu de se trouver 3 étages sous celui de son père, il se trouvait à présent 10 étages au-dessus ! Les ascenseurs avaient été sabotés ! Il allait donc devoir prendre un des nombreux escaliers qui traversaient la tour pour rejoindre les labos avec tous les risques que cela impliquait. À moins de trouver un engin encore en état de fonctionner sur une plate-forme d'envol, ce dont il doutait fortement aux vues des combats qui avaient eu lieu ici.

 Fort heureusement, Linus connaissait le 23ème étage. Pas aussi bien que le 25ème, mais presque. Si sa mémoire était bonne et ses repères justes, l'escalier le plus proche se trouvait à deux pâtés de maisons.

 Il allait s'engager dans une rue lorsqu'un bruit infime sur sa gauche lui fit faire volteface, le laser prêt à faire feu.

— Toi ! s'écria-t-il, mais que fais-tu ici ?

 Alma ne l'avait pas reconnu immédiatement. Elle n'avait fait que l'apercevoir dans le laboratoire quand Marcus l'avait capturée. À ce moment-là, elle était bien trop en colère pour se demander qui il pouvait bien être. Il était trop jeune pour être un infra et portait une tunique grise avec des motifs géométriques se distinguant de tous les uniformes qui l'environnaient alors. À présent, il était tâché de sang et portait une tunique d'androïde ce qui ne manqua pas d'étonner la jeune fille. Qui que ce soit, il était avec ceux qui voulaient la mettre en cage. Elle braqua donc son arme sur lui sans hésitation.

— Et toi ? rétorqua-t-elle.

— Le labo a été attaqué ? C'est ça ? Que sont devenus les hommes qui s'y trouvaient ? continua à questionner Linus de plus en plus anxieux, sans se préoccuper de la menace que la jeune fille pouvait représenter pour lui.

 Sur la défensive, Alma avait reculé sensiblement, prête à s'échapper vers l'ascenseur dès que possible. Linus était loin d'être sot. Il devina ses intentions et brusquement pris conscience qu'ils se menaçaient l'un l'autre. Il abaissa son arme en signe de bonne volonté avant de se présenter.

— Je me nomme Linus Dengen. Je devais te surveiller et même t'aider à t'échapper. Mais les choses ne se sont pas passées tout à fait comme prévu. Il faut que je sache pour le labo. Je dois retrouver mon père ! finit-il avec une certaine intensité dans la voix.

— Je ne sais pas... Je me suis échappée seule, laissa tomber Alma toujours sur la défensive.

— Ok ! Il ne faut pas rester ici. Tu es en danger, et … commença Linus qui, sans être rassuré concernant son père, se voulait positif.

— Je n'ai pas besoin de ton aide. Je suis armée, le coupa-t-elle.

— Ça ne suffira pas ! Pas contre eux ! Ils sont nombreux et ils se sont alliés aux machines ! Rien à voir avec ceux qui t'ont poursuivi jusqu'à maintenant. Ni avec Marcus qui est raide dingue de toi, soit dit en passant. Ceux-là te tueront sans hésiter. Ils ne savent même pas qui tu es !

 Sa phrase à peine achevée, des bruits confus leurs parvinrent depuis le bout de la rue. Linus n'hésita pas une seconde. Arme ou pas, il ne pouvait la laisser se faire tuer aussi stupidement. Il se précipita sur Alma et l’entraîna à l'intérieur d'une maison à moitié éventrée pour se cacher.

— Maintenant, chuchota-t-il, il faut espérer qu'il n'y ait pas de pisteurs parmi eux.

 Alma le fixa soudain terrifiée. Le visage sournois d'Eupraxius Magne lui revint distinctement en mémoire. Son visage et son couteau.

*

 En voyant l'entrebâillement de la porte au 23ème palier, Marcus enragea en même temps qu'il fut soulagé. Alma était sortie, certes, mais elle n'était pas encore aux mains du Commandeur. Ce qui était plutôt positif pour lui. Il envoya un message à son supérieur, et sortit prudemment du passage secret. La porte débouchait dans une ruelle sombre entre deux imposants bâtiments aux murs aveugles. Des bruits lui parvenaient du bout de la rue. Il s'avança toujours avec précaution et jeta un œil pour identifier la menace.

*

 Les cinq hommes ne cherchaient pas à dissimuler leurs actes et ne semblaient pas avoir peur des mauvaises rencontres. Ils dépouillaient les morts sans vergogne, les malmenant au passage. Ce n'était pas des kansikers, juste des infras qui profitaient de la situation. Linus et Alma les observaient en espérant qu'ils n'aient pas l'idée de rentrer dans la maison où ils se cachaient.

— Là, regarde ! chuchota Linus en montrant discrètement un point vers la droite.

 Alma qui se méfiait toujours de Linus, s'approcha néanmoins de lui pour voir ce qu'il lui désignait avec un certain enthousiasme. La jeune fille fulmina en reconnaissant Marcus Ward. Qu'il nourrisse des sentiments ou non pour elle, cela ne changeait guère la mauvaise opinion qu'elle avait de lui. Elle le tenait pour unique responsable de sa capture et de son enfermement dans la tour. Et sa colère camouflait avantageusement les prémices de sentiments qu'elle aurait pu éprouver pour lui de manière fortuite.

 L'infra se faufilait dans le chaos ambiant, une arme dans la main droite et une bouteille enflammée dans la gauche. Linus força Alma à s'accroupir avant qu'une explosion tonitruante ne ravage encore plus l'étage et envoie, par son souffle, un nombre considérable d'objets tranchants et acérés dans leur direction. L'explosion fut presque immédiatement suivie d'une salve de tirs fournis des pilleurs, jusqu'à ce qu'ils s'éloignent de la rue dévastée. Une poussière rougeoyante retombait lentement sur les cadavres de trois infras.

— Pourquoi est-il là ? Il me pourchasse encore ? Ce qu'il est pénible tout de même ! Il ne peut pas laisser tomber ! Merde ! s'écria Alma avec un air excédé.

 Linus, un demi-sourire aux lèvres, entraîna la jeune fille à l'extérieur. Il savait que l'infra était un combattant aguerri, et que courage et vaillance ne lui faisaient pas défaut. Toutefois, il n'était pas question de laisser Ward se battre seul contre autant d'ennemis. Il devait le rejoindre au plus vite. Avec lui à ses côtés, il était sûr de pouvoir rentrer sain et sauf auprès de son père. Il allait devoir convaincre Alma que Ward n'était plus son ennemi.

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