Chapitre 61 EDEA

7 minutes de lecture

 Linus en avait eu assez d'attendre. Évincé du bureau de Johansen par les hommes de Taglione et Moor, délaissé par Ward parti chercher un prisonnier, il avait abandonné les recherches sur Alma et avait quitté le laboratoire au moment où SEITO avait été réactivé. Il ne savait donc rien de ce que venait de vivre l'Élue, ni de la menace supplémentaire que le pisteur, Eupraxius Magne, faisait planer sur la tour.

 L'adolescent s'était mis en tête de rejoindre EDEA et de la sauver. Son père la pensait en sécurité et ne se préoccupait pas de savoir comment elle était traitée au milieu de tous les androïdes de l'auditorium. Il avait demandé à Mac Adams de l'isoler. Linus, qui n'était pas aussi serein, doutait que cela suffise. Une sourde appréhension ne cessait de le tarauder concernant celle qui n'était pas seulement l'un de ses sujets d'étude favori mais aussi une mère de substitution pour lui. Grâce à elle, il avait été entouré par ce qui pouvait ressembler le plus à de l’amour maternel.

 Il était important de la délivrer et de la mettre vraiment en lieu sûr. Sans compter qu'elle aurait sans doute des choses à leur dire sur le Réseau Fantôme. Comme SEITO, elle pourrait se révéler d'une grande aide.

 Empruntant les escaliers secondaires pour aller plus vite, il fut vite confronté aux horreurs qui avaient lieu dans les étages de la tour, croisant plusieurs fois des groupes d'hommes et de femmes blessés, terrifiés. Les derniers conflits armés dataient de plusieurs décennies et n'avaient touché qu'une partie des secteurs de la cité. Les habitants de la tour connaissaient la paix depuis trop longtemps pour savoir comment réagir face à ce genre de situation. Linus les exhortait à quitter le bâtiment au plus vite, au lieu de chercher à se cacher dans les étages inférieurs.

 Lorsqu'il atteignit enfin l'étage de l'auditorium, Linus aurait dû être décontenancé par le silence relatif régnant dans les couloirs. Cependant, plongé dans ses pensées, l'adolescent ne capta rien d'anormal. Il tentait de trouver une justification plausible à la demande inattendue qu'il allait devoir faire aux gardes de Mac Adams. Il espérait que son statut de fils d'ancien le servirait face à ces hommes plus âgés et sans doute suspicieux.

 Il n'était pas non plus habitué aux risques engendrés par les conflits armés. Il n'avait pas encore les réflexes de survie inhérents à ces situations. Aussi, il ne perçut pas la présence de l'homme qui surgit derrière lui avec une rapidité étonnante.

 Tout ce passa très vite. Deux bras puissants l'emprisonnèrent brutalement, immobilisant le haut de son corps. Sa surprise raffermit l'avantage de son assaillant. Paniqué, Linus se débattit du mieux qu'il put, se tortillant, lançant ses jambes contre son agresseur, sans résultat. Il s'épuisait inutilement, car contre l'emprise de Magne, le jeune garçon ne pouvait faire le poids. Une fois que la large main du tueur eut enserré sa gorge, Linus ne fut plus qu'un long pantin maintenu à quelques centimètres du sol. Face à son agresseur, le garçon pouvait voir la satisfaction et la fierté dans les yeux d'Eupraxius Magne.

 Sourire aux lèvres, le pisteur maîtrisait suffisamment son geste pour ne pas tuer le gamin. Lorsqu'il entendit quelqu'un l'interpeller sur sa droite, il lâcha instantanément sa proie, qui s'effondra sur le sol la main sur la gorge, cherchant désespérément son souffle. Magne ne prit pas le temps de regarder celui qui l'interrompait dans sa besogne. Il n'avait pas eu l'ordre de tuer l'enfant de toute façon. Il devait juste faire comprendre à son père ce qu'il risquait de perdre s'il persistait à désobéir.

*

— Ça va petit ?

 Le jeune garçon toussait et cherchait encore son souffle bruyamment, mais retrouvait sa couleur normale. Tiber Mac Adams n'était pas un homme courageux, mais le spectacle épouvantable d'un enfant se faisant agresser l'avait révolté. Il se serait battu si l'agresseur n'avait pas fui. Toutefois, il devait bien reconnaître qu'il était soulagé de n'avoir pas eu à le faire.

— Sais-tu qui était cet homme ? Il portait bien la tunique des kansikers, non ? demanda le supra en aidant le garçon à se relever.

 Linus haussa les épaules pour toute réponse. Il ne savait pas qui était Eupraxius Magne, mais il avait une vague idée de qui pouvait l'employer après avoir entendu les conversations de son père avec le Commandeur.

— C'est consternant ! S'attaquer à un enfant ! Vraiment...

 Mac Adams continuait son soliloque tout en soutenant le jeune garçon.

— Ce n'est pas moi que l'on visait, finit par dire Linus, c'est mon père.

— Ton père ? s'exclama Mac Adams en regardant le jeune garçon plus attentivement, oh ! Nom d'un Prax ! Mais vous êtes le jeune Dengen ! Je ne vous avais pas reconnu ! Pardon ! Mille excuses ! Je... Vous ne devriez pas vous promener seul ici ! C'est dangereux vous savez ! Mais oui, vous le savez puisque ... Enfin ! Bon ! Je vais vous ramener à votre père au plus vite ! continua Mac Adams en entraînant Linus vers les ascenseurs.

— Non ! s'écria Linus, mon père m'a chargé d'une mission. Je ne peux pas rentrer avant de l'avoir accomplie !

— Une mission ? Votre père vous a confié une mission ? répéta le supra désapprouvant manifestement le comportement de l'ancien Dengen, pourquoi ne m'a-t-il rien dit lorsque je me trouvais en sa présence ? Enfin, je suppose qu'il a eu l'idée après mon départ. Très bien ! Et quelle est cette mission ?

— Je dois récupérer l'androïde dont la mémoire nous est capitale. Celle dont il vous a déjà parlé.

Linus jouait le tout pour le tout. Mac Adams fixa un instant le jeune garçon, hésitant sur la marche à suivre.

— Si vous m'aidez à la récupérer, je retournerai immédiatement auprès de mon père. Je lui ferai un rapport sur l'agression, et la façon dont vous m'avez sauvé. Il vous en sera toujours redevable, sachez-le.

 Ces quelques paroles balayèrent les réticences du supra. Il bomba le torse et redressa le menton, assez fier de lui. Sauver la vie du fils d'un ancien n'était pas une bagatelle. Voilà qui devrait favoriser son avancement.

*

 Linus descendait l'un des escaliers traversant les gradins vers la scène. Mac Adams avait assigné deux de ses hommes pour l'escorter pendant que lui-même supervisait l'organisation pour la déconnexion de tous les androïdes regroupés en bas. L'adolescent ne distinguait pas le visage tant aimé de sa mère de substitution parmi eux.

 Les machines étaient toutes immobiles et le fixaient dans un silence oppressant. Il l'appela sans obtenir de réponse. Puis lentement le groupe d'androïdes se divisa en deux pour laisser apparaître quelques corps inertes adossés au mur du fond. Un garde retint le jeune garçon, prêt à se précipiter.

— Ils n'attendent que ça ! lui murmura-t-il à l'oreille, laquelle est-ce ?

— Celle avec la tunique bleu et grise et les cheveux noirs, ânonna l'adolescent au bord des larmes.

 Des ordres furent donnés et deux androïdes s'exécutèrent de mauvaise grâce. Une fois les deux porteurs écartés, Linus put se pencher sur le corps sans vie de sa chère EDEA. Le jeune garçon était furieux. Furieux contre lui-même. Furieux contre son père. Furieux de n'avoir pu sauver celle qu'ils aimaient tout deux. Il suivit du doigt sur son visage les traces laissées par les coups portés par ses « frères », car EDEA avait été frappée violemment avant d'être désactivée. Sa puce avait disparu.

 Linus se redressa lentement, le regard plein de haine, braqué sur les androïdes. Il remarqua alors les sourires narquois de certains d'entre eux. Ils étaient fiers d'avoir éliminé une traîtresse, et porté un coup à un humain influent par la même occasion.

 L'adolescent, animé par un désir de vengeance, s'adressa alors à Mac Adams qui venait de le rejoindre, désolé que la mission du jeune garçon ait échoué.

— Je vais vous aider à les désactiver. Ils doivent payer.

— Je ne sais pas si c'est une bonne idée, jeune Dengen ! Ils sont manifestement dangereux. Pour le moment nous allons remonter le corps de cette androïde ! Nous aviserons ensuite votre père de ce qui s'est passé. Et...

 Linus n'écoutait plus le supra. Il venait de remarquer le poing serré de sa mère. Il desserra les doigts de l'androïde et trouva un cône de communication qui s'était à moitié incrusté dans la paume de la morte. Linus s'en empara avec avidité. EDEA leur avait laissé quelque chose. Quelque chose que ses « frères » n'avaient pas réussi à lui voler.

*

 Jabr Volk s'était dissimulé dans un magasin de tissus dont la devanture éventrée vomissait des rivières soyeuses et chatoyantes. Assis à même le sol, il avait tenté plusieurs fois de se connecter au Réseau Fantôme sans succès. Il se félicitait d'avoir agi à temps pour déclencher le soulèvement. Il savait que les opérations de sabotage avaient débuté et bientôt, son arme la plus perfectionnée serait en marche vers l'objectif le plus difficile à atteindre : la corolle.

 Avant peu, les hommes ne seraient qu'un lointain souvenir, et Capolkan lui appartiendrait. Il était satisfait malgré sa position personnelle plutôt inconfortable. Il n'avait pas réussi à quitter la tour avant le déploiement des kansikers et les émeutes.

 Évitant avec habileté les hommes de Van Stiers, il avait atteint l'un des niveaux de la tour disposant de plate-forme de transport. Cependant les rares engins encore présents étaient sous bonne garde, et lui ne disposait que d'un unique laser. Il ne pouvait prendre le risque de se faire éliminer aussi simplement. Il lui fallait une diversion.

 Brusquement un déclic se fit entendre dans son dos. À quelques pas de lui une porte s'ouvrit et laissa apparaître un androïde tatoué d'une étoile jaune qui se mit immédiatement à ranger l'arrière-boutique. Volk jubila. Décidément le destin était de son côté. La cellule de stockage avait été dissimulée par le propriétaire avec des tentures, permettant à cet androïde d'échapper à la rafle des hommes de la Doshbat. Grâce à ce « frère » opportun, Volk allait finalement avoir sa diversion.

Annotations

Vous aimez lire CTrebert ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0