Chapitre 58 Trafics

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 Les berges du lac Victorius étaient paisibles. Ici, les grands arbres présents dans toute la cité, cédaient la place à des essences moins imposantes couvertes de fleurs. Dans la journée, citronniers, orangers, amandiers se mêlaient aux moringas et aux frangipaniers, formant un ensemble harmonieux. À cette heure tardive, les arbres n'étaient plus que des ombres frémissantes sous la brise. Enveloppés d'effluves délicats, on ne devinait pas les prémices du grand changement qui était sur le point de s'opérer dans la cité.

 Une longue bâtisse en bois d'un étage s'apercevait au détour d'un bosquet. Le toit pentu descendait très bas, formant des auvents sur les flancs de la maison. Une tonnelle de rosiers en fleur éclairée de discrets lampions, menait à la large porte d'entrée peinte en rouge vif. L'isba des mille douceurs demeurait le bordel le plus couru lorsque la belle saison animait le lac. Mais une fois les feux des deux soleils de Tuclander moins ardents, le bordel revenait à un rythme plus tranquille. Cependant, pas au point de paraître vide comme ce soir-là. Le redoublement des rondes et des escouades ne faisait pas de bien au petit commerce que l'on pratiquait ici.

 Évitant de fouler les allées de copeaux de bois qui serpentaient entre les arbres, Cyrus traversa le jardin en direction d'un petit escalier accolé au flanc gauche de la maison. Il semblait ne mener nulle part sinon dans l'ombre de la charpente. Pourtant Cyrus s'y engagea sans hésiter. Kreine et lui l'avaient emprunté à plusieurs reprises quand Claudius avait encore les faveurs du réseau Elefthéria. Avant que l'on découvre son double jeu.

 Arrivé devant une porte dont le chambranle atteignait tout juste le haut de ses jambes, Cyrus sortit un petit objet de sa besace et l'introduisit dans la serrure. Ce passe valait bien le prix qu'il l'avait payé. La porte s'entrebâilla sans difficulté. Jetant un œil discrètement, il s'assura que le couloir sur lequel elle donnait, était bien vide, puis se faufila sans bruit. À sa gauche, il pouvait nettement distinguer une porte massive en bois sculptée avec une jolie serrure. Cyrus sourit. Cette porte ne lui résisterait pas plus que l'autre.

 Claudius, le maître des bordels de Capolkan, était penché sur un livre de compte lorsque la porte de son bureau, pourtant fermée à clef, s'ouvrit brusquement. Sa main se porta instinctivement vers le bouton de l'alarme silencieuse, mais un tir de laser le stoppa net.

— Tout doux ! Claudius ! Tu lèves les mains, et surtout je te conseille de ne même pas penser à ce que tu allais faire ! s'écria Cyrus en le menaçant de son arme.

 Claudius s'exécuta de mauvaise grâce cherchant à remettre un nom sur ce visage qui lui semblait familier, tandis que le jeune homme refermait tranquillement la porte. Cyrus n'était pas là par hasard. Comme le lui avait fait remarquer Alcarim, le chef wahid, pour le moment le conteur n'était que le porte-parole des rebelles. Il lui fallait soit rallier la Doshbat à sa cause, soit l'abattre.

 Cyrus n'entendait pas s'attaquer de front à la puissante Doshbat. Les informateurs d'Elefthéria parlaient d'une situation ambiguë dans la tour. Une situation que le jeune conteur avait l'intention d'exploiter. Pour cela, il devait s'adresser aux bonnes personnes, et posséder les bonnes informations. Informations que détenaient Claudius.

 Cyrus souhaitait faire collaborer le tenancier, mais il était fort probable qu'il n'y parvienne pas. Il s'était donc préparé à tuer un homme de sang-froid si cela s'avérait nécessaire pour la poursuite de ses projets.

 Sa détermination était assez visible pour que Claudius la remarque et en déduise que le jeune homme ne plaisantait pas. Cependant, l'homme était retors, et sa longue expérience dans le monde interlope, faisait de lui un ennemi redoutable. Il ne se laisserait pas intimider aussi facilement, et ce que désirait Kreutzer était trop précieux pour ne pas tenter de le monnayer.

— Ce que vous me demandez coute cher ! Très cher, jeune homme ! Qu'ai-je à gagner à vous aider ? lança-t-il un rien d'insolence dans la voix.

— Je pourrais vous tuer maintenant Claudius, dit calmement Cyrus en le tenant en joue, je chercherais alors les documents moi-même. Je ne perdrais qu'un peu de temps. Vous beaucoup plus...

 Claudius n'appréciait pas particulièrement la situation. Ordinairement, il était à la place de celui qui tenait l'arme. Ne pouvant compter ni sur Ditter, son second, sans doute occupé avec le cheptel de bakassies au rez-de-chaussé, ni sur son garde du corps qu'il avait renvoyé dans ses quartiers à portée d'alarme, Claudius se résigna à obéir ou à s'occuper lui-même de l'intrigant. Il se leva lentement et se dirigea vers un coffre bien visible collé au mur nord.

— Tournez-vous ! siffla-t-il avec hargne au jeune homme avant de s'occuper du code d'ouverture.

— Certainement pas ! répliqua Cyrus, et je vous déconseille fortement de tenter d'utiliser l'arme que vous avez dans le coffre, précisa-t-il inébranlable.

 Dès que le déclic de la porte blindée indiqua son ouverture, Cyrus, qui avait réglé le laser sur sa fonction d'immobilisation, utilisa son arme sur Claudius qui s'affala brutalement à ses pieds. Incapable de bouger, le tenancier regarda, impuissant, son agresseur se pencher non pas sur le coffre, mais sur le meuble apparemment anodin qui se trouvait juste dessous. En réalité, il détenait une serrure couplée à celle du coffre, et servait à dissimuler les informations vraiment importantes de Claudius. Personne n'était au courant. Personne. Pas même ses hommes de mains.

 Le tenancier ne se souvenait pas qu'il s'était trouvé en présence de Kreine Stakhos par deux fois dans sa vie lorsqu'il fréquentait les rebelles. Cela avait été suffisant au conteur pour percer à son insu tous ses secrets et les transmettre à son disciple.

 Cyrus s'empara de boites contenant des cônes d'informations. Si les indications de Stakhos se révélaient justes, Claudius possédait des éléments décisifs sur les trafics associant des personnes haut placés de la Doshbat. Tout ce dont Kreutzer avait besoin pour établir un premier contact avec un certain Basiléus Dengen qui, selon Kreine, pourrait se révéler un allié en temps voulu. Cyrus pouvait maintenant partir tranquillement. Toutefois avant de quitter la pièce, le jeune homme se pencha sur le tenancier et lui murmura :

— Si j'étais vous, je vérifierais toutes les puces de mes androïdes, et je m'armerais mieux que ça. Certaines de vos machines pourraient vous réserver des surprises bien plus désagréables que ma venue ici...

*

 Dissimulés derrière un muret de pierres sèches, Aquila et Darius observaient l'entrée de l'usine depuis un petit moment déjà. Parvenir jusqu'ici n'avait pas été chose facile. Le secteur 6 était un vrai champ de bataille. Bersikers et androïdes s'affrontaient autour de chaque bâtiment avec ardeur, tandis que la population se terrait.

 Après que Cyrus leur ait révélé les secrets du conteur concernant les ytualanis, Breatheater avait décidé d'agir rapidement. Il avait laissé Kreutzer poursuivre sa mission dont le but était d'entamer un dialogue avec la Doshbat. Aquila n'avait pas demandé de précision car il savait que le conteur n'avait toujours pas confiance en Shankar qui se trouvait toujours auprès d'eux. Il ne pouvait pas le blâmer de son attitude.

 Cependant, moins intransigeant que Kreutzer, et surtout plus proche du jeune filtreur avec qui il était en relation depuis un moment déjà, le passeur s'était occupé de mettre en sécurité les Dasalik. Il avait suivi son plan d'origine les concernant en orchestrant d'abord leur fuite vers une île du lac Victorius. Le passage du dôme serait plus tardif, car la nuit promettait d'être chargée.

 Deux de ses contacts à la frontière des secteurs 5 et 6 lui avaient ensuite appris que Prya Fitzpatrick devait être transférée dans la tour. Aquila s'était laissé convaincre par Darius de l'urgence de sa récupération. Le jeune homme tenait manifestement beaucoup à la jeune fille. Et s'il fallait se battre, autant commencer par libérer une jeune rebelle.

 La présence d'une navette légère en stationnement devant l'entrée de l'usine, leur confirmait qu'ils étaient arrivés à temps. Les deux hommes n'avaient pas vraiment de plan, sinon de trouver un moyen de faire une diversion. Et cette diversion prit une apparence tout à fait inattendue. Une femme-guépard surgit brusquement de la végétation à l'opposé de leur position et sans rien faire, sema la terreur parmi les hommes du supra Hirsh.

 Aquila et Darius, eux-mêmes, mirent du temps à s'approcher malgré les informations communiquées par Kreutzer. Le passeur comprit alors qu'il serait impossible aux ytualanis de passer inaperçus dans la cité. La situation risquait de se corser sacrément.

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