Chapitre 55 Captive

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 Durant le trajet du retour, un bersiker s'était occupé de stabiliser l'état d'Alma. Ses blessures étaient superficielles, mais elle avait perdu beaucoup de sang, et les entailles faites par le prélirien étaient assez laides. Malgré les soins, les cicatrices subsisteraient sans doute.

 Isolés du reste des hommes par une paroi de métal translucide, le chasseur et sa proie se faisaient à nouveau face, mais cette fois il n'y avait plus d'enjeu. Il n'y avait plus de fuite possible pour Alma. Pour le moment.

 Marcus s'était étonné qu'après autant de jours en fuite, la jeune fille soit aussi peu amochée. Elle était sale. Ses vêtements étaient en piteux état. Elle avait bien quelques éraflures et bleus, notamment sur le visage, mais rien d'aussi spectaculaire que les blessures faites par le prédateur. Son état aurait pu être pire. Bien pire.

 Le jeune homme était soulagé. Soulagé de la savoir en vie et entière. Soulagé de l'avoir attrapée. Soulagé de l'avoir enfin à ses côtés. Toutefois, il savait ce soulagement de courte durée. Il était amoureux de cette fille, c'était indéniable. Et il avait conscience qu'une fois dans la tour, elle ne serait plus jamais à sa portée. Il ne voyait pourtant aucune alternative raisonnable à cette situation. Et le reste... et bien le reste ne paraissait pas envisageable pour le moment. Ward n'était pas encore devant le fait accompli et ne pouvait se résoudre à anticiper une situation qu'il refusait d'imaginer.

 En fait, il avait bien réfléchi plusieurs fois durant sa chasse à une solution de repli. Il avait assez de contact pour la faire sortir de la cité. Cependant, cela impliquait tout quitter. Y compris ce poste si chèrement obtenu. Et il n'était même pas sûr qu'elle le suive de son plein gré, car si il était désormais sûr de ses sentiments à lui, il ne savait toujours rien de ceux de la jeune fille. Le baiser n'avait rien révélé, sinon de la surprise.

 Marcus Ward avait désespérément besoin de réponses. Il tentait d'accrocher le regard d'Alma qui s'obstinait à fixer les reliefs du transporteur juste au-dessus de sa tête. Cette fille était tout de même une sacrée tête de mule.

*

 La mâchoire crispée, les poings serrés, Alma digérait la situation en silence. Elle en voulait à Ward non seulement de l'avoir capturée, mais en plus de l'avoir embrassée. Ça n'était pas tant le baiser volé, qui la mettait hors d'elle, que les sentiments nouveaux qu'il avait fait naitre et qu'elle refusait d'éprouver pour lui. Elle n'était pas de ces filles qui tombaient raides dingues de leur geôlier ! Ça non ! Ça aurait été incroyablement stupide ! Et elle n'était pas stupide !

 Elle allait trouver un moyen de lui échapper à nouveau. Et cette fois, il pourrait toujours lui courir après, aucun prélirien ne lui mâcherait le travail. Les soins qu'elle avait reçus l'avaient revigorée. Elle se sentait prête à se battre.

*

 À leur arrivée sur le ponton d'accostage du 13ème étage, au lieu d'être accueilli par des hommes du service médical, ce fut un détachement de la garde personnelle du Commandeur qui se porta à leur rencontre.

 Marcus Ward n'appréciait pas particulièrement les clones qui constituaient ce corps armé aux seuls ordres du chef suprême de la cité. Conçu à partir de l'ADN du fils disparu de ce dernier, élevés à l'écart des autres hommes pour une seule et unique tâche, les clones, effrayants de similitude, représentaient une arme efficace et muette. Le mystère de leur silence nourrissait d'ailleurs les hypothèses les plus folles à leur sujet.

 Ward, pour sa part, les trouvait même moins humains que les androïdes. Il avait assisté une fois à une de leur séance d'entraînement au combat rapproché. Si dans l'assistance quelqu'un avait eu la velléité de penser que ce corps de garde n'était qu'une lubie d'un père éploré, il avait dû changer d'avis rapidement. Les mots exacts pour les caractériser étaient « implacables » et « puissants ».

 Un peu déstabilisé par cet accueil, l'infra tenta d'établir un contact avec le supra Moor, sans résultat. Ward renvoya donc ses hommes dans leur quartier, puis suivit les clones avec la prisonnière. Lorsqu'il se rendit compte que leur escorte les menait directement vers les ascenseurs réservés aux étages les plus élevés de la tour, il s'immobilisa brusquement.

— Attendez un instant ! L'Élue ne peut pas être présentée au Haut- Conseil dès à présent ! Elle a besoin de soins ! Le supra Johansen doit l'attendre pour lui appliquer les protocoles de désinfection !

 Les clones semblèrent contrariés de l'intervention du jeune homme. L'un d'eux s'écarta légèrement pour utiliser son communicateur ce qui ne manqua pas d'intriguer Ward. Les clones n'étaient donc pas muets.

*

 Attentive au moindre détail qui aurait pu lui permettre de s'enfuir, Alma observait ses geôliers, intriguée. Elle avait autour d'elle cinq hommes qui avaient les traits de Bran, le vieil homme du Sanctuaire, mais en plus jeune. C'était particulièrement troublant. Le chasseur semblait contrarié de leur présence et ne voulait pas les suivre. Ce qui lui parut plus étonnant encore. Manifestement quelque chose clochait.

*

 Ward lut lui-même le message envoyé par les services du Commandeur. Il était autorisé à accompagner Alma jusqu'au laboratoire. Toutefois, deux membres de la garde les escorteraient et les conduiraient ensuite à l'observatoire. Ainsi, les clones n'étaient pas là pour les mener devant le Haut-Conseil. Toute cette histoire ne lui disait rien de bon. Cependant, les ordres étaient les ordres, et un infra normal aurait obéi sans hésiter. Pas Marcus Ward.

 Sans réfléchir, il empoigna vigoureusement Alma et l'entraîna sans ménagement sur la plate-forme magnétique d'un ascenseur. Pris de court, deux clones leur emboîtèrent le pas un peu tardivement. Une fois dans le tube ascensionnel, Ward plaça Alma près de lui. Il cherchait une solution pour se débarrasser de son escorte.

 Contre deux clones, il n'avait aucune chance dans un combat loyal. Il allait donc falloir ruser. Au premier palier lumineux, il se projeta en avant avec la jeune fille, tandis que l'ascenseur continuait à monter avec les deux clones stupéfaits.

*

 La chute fut rude pour Alma. N'appréciant pas particulièrement la présence des clones qui la mettait mal à l'aise, elle avait suivi instinctivement le mouvement que lui avait imprimé Marcus. Mais bien qu'elle ait été soignée, ses blessures étaient encore trop récentes pour supporter ce genre de traitement sans protestation. En prime, le chasseur en voulant la protéger, l'avait projetée puissamment dans le couloir où elle s'était brutalement cogné l'épaule. Mais tout cela en valait la peine, car la situation lui offrait une minuscule occasion de s'enfuir.

 Ward savait qu'il avait peu de temps avant que les clones ne rappliquent. Il se tourna vers l'endroit où Alma avait glissé pour constater avec fureur qu'elle avait encore filé. La jeune fille n'avait pas beaucoup d'avance, et à cette heure-là, tout l'étage devait être sécurisé. Elle ne trouverait aucun moyen de se cacher. Elle n'avait qu'une solution quitter l'endroit avec un ascenseur. Or, elle ne savait pas où ils se situaient.

 Il la vit prendre un petit couloir dont il connaissait parfaitement la destination. C'était sa chance, il allait la prendre à revers. Il accéléra et bifurqua deux fois avant de la ceinturer au moment où elle passait près de lui. Alma se mit à se débattre, se tortillant dans tous les sens pour échapper à son étreinte. Il la plaqua alors dos au mur.

— Si tu n'arrêtes pas immédiatement, je vais devoir t'immobiliser chimiquement, et ça ne va pas te plaire, crois-moi ! lui cria-t-il en plein visage.

 Alma cessa immédiatement de bouger en le fixant en colère.

— Espèce d'idiote ! J'essaye de te sauver la peau et tu prends le large ! continua-t-il.

— Me sauver la peau ? Mais c'est à cause de toi que je suis ici ! Tu ne veux pas me sauver ! Tu veux m'enfermer ! Tu veux...

 Alma ne put achever sa phrase. Marcus venait de poser ses lèvres contre les siennes. Encore. Le premier réflexe de la jeune fille aurait dû être de le repousser, mais elle songea soudain qu'elle pouvait peut-être profiter de la situation. Elle lui rendit donc son baiser. L'infra se détendit comme soulagé, lui lâchant les poignets pour l'enlacer. Plus rien n'avait d'importance en cet instant pour lui. Sinon ce baiser et la passion qu'il y mettait.

 Alma faillit s'abandonner à son étreinte. Elle s'était laissée envahir par ce sentiment nouveau qui l'avait rendue si furieuse dans le transporteur. Une fièvre la parcourait. Ses mains exploraient le corps du jeune homme comme pour mieux l'agripper. Pour ne plus le lâcher. Lorsque l'une d'elle rencontra l'arme de l'infra, Alma sembla reprendre ses esprits. Malheureusement, Marcus aussi.

 Ward écarta brusquement la jeune fille de lui. Il était en colère contre lui-même parce qu'il s'était laissé aller à son inclinaison sans prendre la moindre précaution. Tous les couloirs de la tour étaient sous surveillance, et à plus forte raison la nuit. Il espérait que personne n'ait suivi la scène depuis un écran. Il était aussi en colère contre Alma, car elle avait tenté de profiter de la situation. Il avait vraiment cru un bref instant qu'elle éprouvait quelque chose pour lui. Qu'elle partageait ce besoin dévorant qu'il avait de la toucher.

 Si elle n'avait pas tout gâché en tentant de s'emparer de son arme, il aurait pu tout plaquer pour elle. Il aurait trouvé un moyen de quitter la cité. Il aurait tout fait pour qu'elle échappe au sort qui lui était réservé ici. Son geste était comme une trahison. À présent, il était déterminé à l'enfermer et à l'oublier au plus vite.

— Tu croyais vraiment que tu allais pouvoir me désarmer comme ça ?

— Qui ne tente rien, n'a rien ! Il ne fallait pas commencer par m'embrasser sans mon autorisation, répliqua sourdement Alma qui tentait de reprendre contenance.

— Ah vraiment ? Tu ne semblais pas trouver cela désagréable, il y a 5 secondes !

 Alma voulut le gifler, mais il arrêta son bras en lui attrapant le poignet qu'il tordit brutalement pour lui attacher dans le dos.

— Tu me fais mal ! hurla-t-elle

— Et j'en suis désolé, murmura-t-il à son oreille, il fallait être plus sincère. Moi, je l'étais.

— Alors pourquoi m'enfermer ! dit-elle simplement.

 La réponse ne vint pas de Marcus Ward, mais de l'homme qui venait d’apparaître dans le couloir.

— Parce que plus nous aurons d'Élues, plus nos chances de produire des bébés viables seront grandes. Et puis, il ne faut pas se leurrer. Vous êtes un sujet particulièrement intéressant, N°3. Les autres sont des légumes. Certaines sont déjà mortes, d'ailleurs. Alors que vous ! Vous avez démontré que vous étiez de loin le spécimen le plus intéressant, et donc le plus à même de produire ce dont la cité a besoin depuis si longtemps !

 Le ton de Taddeus Moor était implacable. Flanqué de deux hommes du service médical, il toisait Alma de toute sa hauteur.

— Où étiez-vous, Ward ? Nous avons cherché à vous joindre plusieurs fois, sans résultat ! Johansen est entre la vie et la mort et le dossier de Volk a été falsifié. Heureusement pour nous, le fils de Dengen est plus doué en informatique que le falsificateur. Le gamin a retrouvé les fichiers d'origines, finit-il en brandissant un dossier qu'il tenait à la main.

— J'ai envoyé Taglione localiser la sœur de Johansen pour l'utiliser à des fins médicales si cela s'avérait nécessaire.

 Alma sursauta à ces paroles. Elle n'avait pas côtoyé assez longtemps Selma pour l'apprécier, mais entendre parler d'elle de cette manière, lui fit froid dans le dos. Ainsi pour cet homme, elles n'étaient que des réservoirs d'organes et de fluides. Des choses exploitables impunément. Elle fixa avec animosité le supra.

— Ramenez l'Élue au laboratoire, et restez-y jusqu'à mon retour ! J'ai une importante communication à passer.

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