Chapitre 51 Capturée

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 Marcus était entouré de plusieurs escouades composées d'hommes qu'il avait dûment scannés avant de les embarquer avec lui. À leur arrivée, le secteur 11 était encore en grande partie en proie au chaos.

 À la tête de quelques kansikers, l'ancien Dashilester ne s'était concentré que sur la sécurisation de certains silos, laissant les hommes de la sécurité intérieure déjà présents affronter le pire, seuls. Vite dépassés par les événements, ces derniers accueillirent l'infra avec un certain soulagement. Après l'assaut de l'infirmerie, qui s'était soldé par un succès des hommes de la Doshbat, la reprise en main du secteur fut plus aisée.

 La majorité des androïdes n'avait pas réellement posé de problème. Dès le début des combats, ils avaient rejoint leur zone de stockage selon l'ordre émis depuis la tour, car ils étaient toujours bridés. Leur confinement avait permis leur neutralisation sans trop de heurts. Le brouillage des ondes à courte portée avait empêché les « éveillés » d'avertir qui que ce soit. Le comptage des prisonniers et des machines était presque fini, Ward n'allait pas tarder à savoir combien de renégats, il restait à trouver.

 L'infra savait qu'il n'était pas au bout de ses surprises. Au cours de ses investigations, il avait découvert avec stupéfaction une quantité incroyable de produits divers stockés dans les sous-sols de certains hangars.

 Il n'aurait sans doute rien trouvé si une odeur nauséabonde n'était venue lui agresser les narines, alors qu'il se trouvait devant les restes calcinés d'un hangar incendié. Croyant à des cadavres humains, il avait fait creuser le sol. Il était tombé sur des galeries naturelles que les androïdes utilisaient pour dissimuler leurs larcins.

 Denrées alimentaires en voie de putréfaction et objets divers jetés pêle-mêle s'entassaient dans des cuves de recyclages désaffectées. Maintenant, Ward savait qui commettait les vols de ces derniers mois. La raison lui en demeurait cependant obscure.

 Le cours de sa réflexion avait été interrompu par un messager. Moor l'informait sur l'avancement des opérations et attendait une réponse concise, mais claire, concernant le secteur 11. La communication lui appris également que le supra Hirsh avait repris le contrôle des usines du secteur 6, et que leurs craintes concernant un soulèvement de grande ampleur avaient été confirmées. L'idée de Johansen pour parvenir à scanner la population sans éveiller les soupçons allait être appliquée dans toute la cité dès l'aube. Pour le moment, la Doshbat contrôlait la situation. Du moins, en avait-elle l'impression.

 La soirée s'installait confortablement sur Capolkan. L'air s'était rafraîchi mais le ciel rosissant annonçait une journée ensoleillée pour le lendemain. Ward se tenait près d'un silo à la frange du secteur 11. Devant lui, un champ de camomille descendait en pente douce vers le canal, les inflorescences ondulant sous la brise. Au-delà, s'étendait la zone d'exploitation avec ses mines. Quelques bosquets d'arbres rachitiques subsistaient péniblement près du baraquement de stockage du minerai.

 Vidée de ses forçats et traversée de nuages de poussière ocre, la zone semblait abandonnée. Lugubre. Depuis la soumission des insurgés et la libération des otages, seul le grésillement des nombreux champs magnétiques qui la quadrillaient, perturbait la chape de silence. Un maillage serré qui ne laissait aucun déplacement au hasard. Un maillage auquel le sujet n°3 avait pourtant échappé. Aucun signal n'avait été émis depuis un bon bout de temps.

 Marcus allait rebrousser chemin quand son localisateur s'agita. Malgré les ordres de Moor, il ne l'avait pas éteint. Et à présent, Alma courait quelque part sous ses pieds. Elle était donc encore dans le secteur ! Le cœur de l'infra s'affola un instant. Moor avait été clair concernant ses manquements aux règles. Il devait se conformer aux ordres. Pourtant Marcus balaya toutes ses hésitations et s'élança dans la direction des signaux.

 Après tout, il avait parfaitement accompli sa mission, le secteur était sous contrôle, et c'était aussi sa dernière chance de l'attraper, elle ! Il ne pouvait pas la laisser à un autre. Elle était sa proie. Une fois qu'il l'aurait en sa possession, il aviserait. Pour le moment, seule sa capture comptait.

 Le signal cessa au bord de l'une des falaises surplombant un puits de mine qui s'enfonçait si profondément dans les sous-sols de Capolkan, que la pénombre de ce début de soirée empêchait d'en distinguer le fond. Le conduit vertical était troué par des centaines d'ouvertures à la clarté bleutée. Ces entrées de tunnels d'excavation s'achevaient par de petites plate-formes consolidées à la va-vite avec des étais de bois, sur lesquelles attendaient des caissons de récupération actionnés par des treuilles à la surface. C'était là, le seul moyen pour descendre, et remonter hommes, matériels et matières depuis les tunnels.

 Les dix puits de mines étaient reliés par de fines tranchées, profondes d'une quinzaine de mètres seulement. De la largeur d'un homme, elles permettaient le transvasement de matériel d'une mine à l'autre sans passer par la surface. Ward se demanda comment on avait pu ignorer pendant si longtemps l'existence des souterrains qu'empruntaient les fugitifs et qu'utilisaient les androïdes.

 Il paraissait improbable qu'aucun prisonnier n'ait jamais rien découvert, qu'aucun habitant de la cité n'en n'ait eu connaissance. L'infra se promit de s'intéresser au problème dès que le calme serait revenu dans la cité. Dès que la jeune fille serait entre ses mains.

*

 Alma reprit espoir lorsque le premier filet d'air lui effleura le visage. Accélérant sa progression dans le boyau, elle se retrouva bientôt devant une grille de bambou pas plus grande qu'une pastèque. Elle en aurait hurlé. Derrière la grille, elle distinguait nettement un tunnel incrusté de cospraw, à qui la clarté bleutée donnait des airs de caverne fantôme. Alma secoua la grille avec violence jusqu'à la faire tomber de l'autre côté, puis elle entreprit d'agrandir le trou pour le franchir. Elle n'osait pas regarder derrière elle de peur d'y voir les yeux de Cyrus. Cet idiot devait sans doute être sur ses traces, accompagné de giedre ou de wahid. Elle ne savait pas ce dont étaient capables les ytualanis. Toutefois, il était assez facile de deviner leurs aptitudes à la chasse.

 Ses mains meurtries creusaient la terre friable avec acharnement. La douleur n'avait pas d'importance. Seul comptait la liberté plus que jamais à sa portée. La paroi libéra bientôt une pierre de cospraw sur sa droite. Elle s'en empara avidement et s'en aida pour achever son travail. La pierre aux arêtes acérées entaillait la terre avec plus d'efficacité que ses mains. Lorsqu'elle estima que le trou était assez large, elle s'y engagea sans aucune hésitation en tortillant son corps menu et affamé.

 De l'autre côté, les pierres luminescentes encore emprisonnées dans les parois rocheuses, isolées ou en filon, s'offraient aux regards. Suivant le courant d'air, la jeune fille remonta vers l'entrée du tunnel. Une fois sur la plate-forme branlante, face à la cuve, elle leva les yeux vers le haut du puits à une dizaine de mètres. La soirée avançait, et l'endroit paraissait désert. Elle distinguait l'ombre des treuilles. En cherchant en vain un système qui aurait pu actionner le long bras de métal depuis l'entrée du tunnel, Alma avisa un tas d'outils posés au fond de la cuve.

*

 Couché au bord de la falaise, Ward vit apparaître une frêle silhouette en contrebas. Environnée d'un halo bleuté, elle se découpait dans l'obscurité naissante comme un fantôme surgissant des profondeurs. Il la vit chercher brièvement quelque chose, puis entreprendre l'escalade de la paroi au moyen d'outils trouvés sur place.

 Il pensa alors que la jeune fille ne manquait décidément pas de ressources et ne se laissait pas facilement abattre. Ward remarqua aussi avec quelle hâte, elle cherchait à remonter et s'étonna de la voir seule. Ils n'étaient pas moins de 5 la dernière fois qu'il avait vu les fugitifs. Où était les autres ? Et que cherchait-elle à fuir ?

 Voyant qu'elle progressait assez rapidement, Ward s'éloigna un instant pour avertir ses hommes et les positionner à des endroits stratégiques. Il entendit soudain une bordée de jurons s'élever du puits. Alma avait manqué sa prise et rencontrait des difficultés pour se rétablir. Instinctivement, Ward attrapa un cordage, l'arrima à un treuil avant de le lancer vers la jeune fille.

*

 Alma attrapa la corde providentielle qui venait d’apparaître près d'elle. De sa position, elle n'avait pu apercevoir qu'une haute silhouette avant que celle-ci ne disparaisse. Cyrus ? Un ytualani ? Un prisonnier ? Ou plus simplement, un homme de la Doshbat ?

 Méfiante, la jeune fille affermit sa prise et reprit son ascension en se déportant légèrement vers la gauche. Elle y avait nettement distingué une sorte de passage creusé dans la paroi. En l'atteignant, elle éviterait de se faire cueillir en arrivant à la surface. Elle se balança donc brusquement et sauta sur la plate-forme qu'elle visait.

 Ce genre de structure n'avait pas l'habitude que l'on atterrisse aussi brutalement dessus. L'ossature tangua un instant, avant de se stabiliser finalement de guingois. Alma, à genoux, s'élança alors dans l'obscurité sans plus attendre, sans regarder si son mystérieux sauveur avait remarqué sa feinte.

*

 Marcus ne découvrit la fuite d'Alma qu'en voyant osciller la corde de manière inattendue. Il pesta contre la jeune fille qui, étonnamment chanceuse, ou incroyablement douée pour l'esquive, avait trouvé une échappatoire, une fois de plus. Il était évident pourtant qu'elle fuyait également les souterrains, ce qui donnait au jeune homme un certain avantage. Il savait maintenant qu'elle n'y disparaîtrait plus sous terre.

*

 Alma trouva enfin ce qu'elle cherchait : un escalier. Étroit. Instable. Mais un escalier tout de même. L'ascension ne fut pas aisée, mais elle parvint malgré tout à la surface avant que la silhouette qui courait vers elle ne l'atteigne. Elle s'élança sans aucune hésitation vers la partie la plus arborée du paysage. Marcus la talonnait de peu, et s'engouffra dans l'enclos à sa suite. Elle avait un net avantage dans cet environnement. Sa silhouette menue pouvait aisément se fondre dans la végétation. D'autant plus qu'elle s'était empressée de dissimuler le morceau de cospraw dont elle se servait pour éclairer sa fuite. L'infra ralentit donc l'allure à l'écoute des bruits. Puis, dans le calme apparent, un hurlement déchira l'air.

*

 Surgissant brusquement sur sa gauche, l'animal l'avait griffée au flanc en l'envoyant rouler dans une clairière. Dans la lueur bleutée du cospraw qui était tombé à quelques mètres de la jeune fille, l'animal paraissait encore plus effrayant. Le prélirien lui faisait face, en appui sur ses pattes arrière, il déployait sa paire de pince horizontalement pour réduire les possibilités de fuite de sa proie. Son museau retroussé dévoilait sa mâchoire puissante, pourvue d'innombrables crocs acérés. Alma avait bien conscience qu'avec un simple couteau, elle n'avait aucune chance contre ce monstre.

 La main sur sa blessure, elle n'osait baisser les yeux pour constater les dégâts qu'elle sentait douloureusement sous ses doigts. Elle était terrorisée, persuadée que si elle quittait la bête des yeux, elle perdrait toutes ses chances de s'en sortir vivante. Elle commença à reculer lentement, mais son corps à vif lui rappela brutalement qu'aucune fuite n'était envisageable. Pas dans son état. C'est alors que l'homme de la Doshbat apparut, et elle ne put s'empêcher de jurer bruyamment.

*

 Le prélirien, prêt à fondre sur sa proie, avait négligé les bruits de course qui s'étaient rapprochés. Il connaissait les autres occupants de sa zone de chasse, et il en était le prédateur ultime. Il ne craignait ni les hommes, ni les animaux. Et puis il avait faim. Il s'élança sur le nouvel arrivant avec fureur.

 Ward n'eut aucune hésitation en débouchant dans la clairière. Il tira immédiatement sur la bête à plusieurs reprises, alors qu'elle bondissait. Le prélirien s'abattit lourdement sur le sol devant lui. Alma qui s'était affaissée, un genou à terre, tenta alors de se redresser pour fuir, mais ses forces la trahirent et elle s'effondra.

*

 Marcus se précipita vers la jeune fille, et la redressa légèrement en lui parlant d'une voix qu'il voulait rassurante.

— Tout va bien maintenant. Je vais t'emmener au département médical. On te soignera tout ça en un tour de main, dit-il en examinant la blessure pour en évaluer la gravité.

 Il grimaçait en regardant la déchirure dentelée et ensanglantée de la profonde entaille que le prélirien avait faite à la jeune fille lorsqu'il sentit nettement la pointe d'un couteau sur sa gorge. La jeune fille avait repris ses esprits. Et même si sa pâleur trahissait une extrême faiblesse, son regard révélait une détermination sans faille.

— Lâche ton arme et éloigne-toi lentement, dit-elle d'une voix rauque.

 Marcus obéit à contrecœur en fulminant. Il n'avait pas vu qu'elle avait une arme. Déposant son laser à terre, il recula d'un pas.

— Tu as besoin de soins...

— Sûr ! Mais pas de ta part, répliqua-t-elle en se redressant avec peine.

 Elle le tenait en joue avec le laser. C'est alors que les buissons entourant la clairière s'agitèrent de nouveau, laissant surgir un Cyrus essoufflé. Il stoppa net, muet de surprise. Dans la pâleur de sa lampe, la scène lui parut surréaliste. La jeune fille braqua immédiatement son couteau vers lui, prête à se battre avec le premier qui tenterait de s'approcher d'elle.

— Dégage Cyrus ! Je ne te suivrai pas ! Je préfère crever ici ! hurla-t-elle à bout de nerf et de douleur.

 Le regard de Cyrus passa de la jeune fille à l'infra qui ne bronchait pas. Il reconnut Marcus Ward malgré ses blessures, et remarqua que l'homme de la Doshbat ne quittait pas Alma des yeux. Il ne se souciait absolument pas de lui.

 Concluant que cette situation était avantageuse pour lui, mais qu'elle ne le demeurerait pas éternellement, le nouveau conteur décida de faire demi-tour et de disparaître. D'expérience, il savait que les hommes de la sécurité se déplaçaient rarement seuls. Cyrus préférait fuir avant de se faire capturer. Et la blessure de l'Élue lui paraissait très grave. Il calcula qu'elle avait peu de chance de s'en sortir vivante. Surtout si elle refusait qu'on la soigne.

 Alma regarda avec amertume la silhouette du conteur s'éclipser sans un mot dans la végétation. Il n'avait même pas fait mine de l'aider, ce salopard ! Alma se retrouvait seule face à Marcus. La proie face au chasseur.

 Elle recula lentement, chacun de ses mouvements lui arrachant une grimace de douleur. Elle avait l'impression que quelqu'un fouillait dans ses chairs avec un poignard. Sans relâche, la lame allait toujours plus loin remontant vers le cœur en pointes agressives et épuisantes. Marcus la fixait avec intensité, attendant le meilleur moment pour la neutraliser.

— Tu n'iras pas loin dans cet état, finit-il par dire la mâchoire contractée.

— Je tente ma chance quand même, laissa-t-elle tomber en hasardant un sourire qui ne soit pas une caricature crispée.

 Elle réussit à atteindre la lisière de la clairière et prit appui contre un arbre, avant de lui ordonner dans un souffle de se tourner et de se mettre à genoux. Marcus s'exécutait avec réticence lorsqu'il la vit vaciller. Le dos appuyé contre le tronc, elle glissa au sol comme si elle avait voulu s'assoir sciemment. Son corps capitulait au pire moment. Incapable du moindre geste, elle fut désarmée sans mal par le jeune homme qui la fixait bizarrement en appliquant ses mains sur sa plaie.

— Espèce de sombre idiote ! Tu as perdu bien trop de sang ! lâcha-t-il anxieux.

 Ne distinguant pas la réponse que la jeune fille articulait faiblement, il pencha sa tête vers elle.

— Ce doit être vrai. Tu es le second à me le dire aujourd'hui. Pas le temps de changer, murmura-telle de nouveau, consciente que ses forces l'abandonnaient pour de bon.

— Reste éveillée ! Tu m'entends ! cria-t-il en compressant sa blessure au mieux.

 Mais Alma était épuisée. Elle ne parvenait plus à résister. Elle n'en avait plus envie. Marcus Ward savait qu'elle se laissait partir pour ne plus avoir à lutter. Et il le lui interdisait. Il devait la faire réagir et il savait exactement comment faire. Sans attendre, il se pencha sur elle et posa ses lèvres sur celles de sa prisonnière.

 Alma ouvrit instantanément les yeux, effarée. Ni la douleur, ni la fatigue n'auraient pu l'empêcher de gifler Marcus. Il l'avait embrassé ! Parce que ce n'était pas du bouche-à-bouche ! Rien à voir ! Et malgré la chaleur qui s'emparait de son corps, malgré son envie de goûter de nouveau à ce baiser, Alma n'en était pas moins furieuse. Et confuse. Et désorientée. Il était le chasseur. Elle était sa proie. Rien de tout ceci ne pouvait être vrai. Rien de tout ceci ne devait être vrai.

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