Chapitre 50 Inquiétudes

5 minutes de lecture

 Le Sanctuaire résonnait de discussions animées. Prakash était sur la sellette. Le Conseil des ytualanis n'avait pas particulièrement apprécié l'aide qu'il avait apporté à Alma. Bien qu'il se soit défendu de l'avoir fait sciemment, Ivelda n'était pas dupe. Le refus obstiné du gardien de lancer la meute aux trousses de la jeune fille n'avait fait qu'accentuer la défiance des tribus envers lui. Il avait beau expliqué que les petits de Wahid la mettraient en pièce avant qu'il ne puisse intervenir, personne ne voulait le croire.

 Personne sauf, peut-être, Alcarim qui savait comme les petits de sa tribu pouvaient se révéler féroces. Avant de décider de les abandonner au gardien sur les conseils de la délégation xochilt, les femmes puis les guerriers avaient tenté de les apprivoiser. En vain. Leurs naissances étaient si particulières qu'elles avaient donné lieu à de nombreuses conjonctures.

 Mais aucun ytualani n'avait été capable d'expliquer pourquoi une grossesse sur 30 donnait naissance à des jumeaux, dont l'un des deux se révélait plus animal qu'ytualanis. Dans la tribu, on les nommait « brexsher », ce qui signifiait plus ou moins « double sombre ».

 Les jumeaux des brexshers avaient la particularité d'être tous de sexe féminin et d'être plus sauvage au combat que n'importe quel guerrier wahid. Comme si un peu de leurs frères s'était immiscé en elles. Les wahids hésitaient souvent à prendre l'une d'entre elles pour compagne. Et même lorsque certains passaient outre, une certaine appréhension subsistait, et ces couples s'arrangeaient pour ne pas enfanter.

Alcarim était secrètement admiratif du respect que Prakash avait réussi à obtenir de cette meute si dangereuse. Il comprenait parfaitement ses réticences à la lâcher sur une proie aussi faible que la jeune fille en fuite. Cependant, ne sachant rien de ce qui se passait réellement dans Capolkan, Alma demeurait, pour lui, un atout non négligeable. Il avait donc constitué une équipe pour la rattraper.

Felia, la guerrière munashe, Ivenka, la jeune sœur d'Ivelda, et Yésénia, la sentinelle Giedre avaient été lancées sur ses traces avec Cyrus, tandis que le conseil se concertait pour décider de la marche à suivre désormais.

*

 Depuis un moment, Prakash s'inquiétait de l'agitation qui tenaillait la meute. Il avait d'abord pensé que son impatience était due à son immobilité forcée et à la proie qui lui échappait. Pourtant, il avait un doute. Il percevait une pointe d'inquiétude et de crainte dans les gémissements. Une sonorité qu'il n'avait entendu qu'une fois dans les borborygmes de la meute. Lorsqu'il s'était enfoncé dans les profondeurs du Sanctuaire, et qu'il avait atteint ce qu'il appelait le bout du monde. Une sorte de corniche solitaire donnant sur un grand vide étouffant. La meute avait émis les mêmes plaintes alors. Elle y avait eu peur comme aujourd'hui. Et c'était d'autant plus troublant.

*

 La voix de Batan, le chef Giedre, s'éleva au-dessus des discordances. Chargée de courroux. En désaccord. Les ytualanis étaient partagés. La découverte du Sanctuaire leur offrait l'opportunité de se venger de Capolkan une bonne fois pour toutes. Ils étaient moins nombreux, mais avec l'avantage de la surprise, ils auraient sans doute pu avoir le dessus.

 Alcarim, le Chef Wahid, pourtant partisan de la guerre en d'autres temps, cherchait à apaiser les impatiences en affirmant que leurs ancêtres avaient eu la volonté de parvenir à un accord sans contaminer irrémédiablement la cité, sans exterminer, ni asservir Capolkan, dussent-ils en subir la fureur durant des décennies.

 Un munashe fit alors remarquer, à juste titre, que si leurs ancêtres avaient pu imaginer que la persécution durerait des siècles, ils auraient sans doute utilisé leur unique atout pour y mettre fin.

 Alors Ivelda s'était avancée.

 La xochilt argua que les règles que les ancêtres avaient instituées après l'exil régissaient encore les tribus. En remettre une en question, c'était faire trembler l'édifice tout entier. Or, les ytualanis avaient besoin de bases solides pour affronter Capolkan. Ça n'était pas le moment de remettre en question les anciens préceptes. Les esprits semblaient s'apaiser, sauf ceux des giedres. Toujours en minorité. Toujours contre les autres. Isolés. Entre humains et ytualanis. Incapables de choisir.

*

 Prakash regrettait que les tribus ne s'élancent pas à l'assaut de Capolkan. S’ils avaient envahi la cité, le cas d'Alma aurait été réglé. Le gardien devait bien admettre qu'il avait un faible pour la jeune fille. L'énergie qu'elle mettait à tenter de s'en sortir envers et contre tous, forçait son admiration. Un sacrifice était toujours inacceptable, et il ne pouvait se résoudre à laisser les siens faire payer à la jeune fille le prix d'une paix qui ne la concernait pas.

 Élue ou pas, elle était avant tout une terrienne. Il ne pouvait ignorer qu'elle détenait en elle cette mémoire du berceau de leur civilisation. Les ytualanis, obnubilés par l'obtention d'une paix à tout prix, oubliaient volontairement la valeur que sa mémoire pouvait représenter. Prakash aurait souhaité leur dire qu'une civilisation sans passé était vouée à s'éteindre. La preuve en était de Capolkan. Mais à quoi bon. Ils ne l'écouteraient plus de toute façon.

 Prakash n'avait pas remarqué les yeux clairs d'Ivelda posés sur lui. La xochilt n'avait rien manqué du dialogue intérieur du gardien et ne comptait pas l'abandonner à sa solitude.

*

 À l'arrêt, Yésénia plissa le nez de dégoût. Jusqu'à maintenant l'odeur de la terrienne saturait l'air dans le tunnel. Sa trace avait donc été facile à suivre. À présent, un autre effluve, d'abord imperceptible, maintenant omniprésente, s'insinuait, s'immisçait. Acre, chargée de poussière, elle suait le danger et la peur. Même si enfant on lui avait conté la légende de celui dont émanait cette odeur, Yésénia ne pouvait l'identifier, ni même l'associer à quelque chose de concret. Pourtant, elle lui semblait familière.

 En ébranlant les fondations de la cité, la détonation provoquée par Ris avait, sans le savoir, éveillé un vieil ennemi jusqu'ici contenu et maîtrisé. Un adversaire oublié que les hommes avaient cru exterminer jadis, alors qu'il s'était seulement assoupi, rassasié. Et cet adversaire cherchait maintenant à émerger des profondeurs.

 Yésénia feula, tandis qu'Ivenka se concentrait sur la présence qui résonnait sourdement en elle. Felia comme Cyrus n'avait pas conscience du danger qui approchait. Pas encore.

— Que vous arrive-t-il ? lança la munashe inquiète.

— Secouez-vous ! Bon sang, on va la perdre ! cria Cyrus impatient de retrouver Alma.

 Yésénia se tourna brusquement vers lui et s'approcha si près de son visage qu'il sentit son haleine fruitée.

— Toi, tu la ferme ! Ta terrienne retourne manifestement dans la cité ! Et il y a plus urgent !

 Ivenka s'adressa à l'esprit de Felia pour lui faire comprendre la situation. Le visage de la jeune munashe s'assombrit. Sa peau sembla se mettre à vibrer.

— Je retourne voir le conseil. Il doit être averti au plus vite.

— Nous, nous poursuivons. Quoique décide le conseil, il lui sera plus facile d'agir si nous le débusquons avant.

— Avertir le conseil ? Mais de quoi ? Et débusquer quoi, d'abord ?

Cyrus était complètement perdu. Qu'est-ce qui pouvait être plus urgent que la capture d'Alma ? Son regard passait de l'une à l'autre sans obtenir de réponse jusqu'à ce que Yésénia daigne lui parler.

— Nous avons détecté une présence. Quelque chose de dangereux. Très dangereux. Si j'ai un conseil à te donner : c'est de te tailler vite-fait ! Va par-là ! Tu suivras le chemin de la terrienne ! Mais surtout sors d'ici ! Le plus rapidement possible ! Bonne chance !

 Sur ces paroles la giedre et la xochilt s'enfoncèrent dans l'obscurité, laissant le jeune homme seul. Seul et totalement abasourdi.

Annotations

Vous aimez lire CTrebert ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0