Chapitre 49 Sous contrôle

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 Le visage contusionné, un œil poché, la lèvre inférieure fendue, et les bras en compote, son corps n'était que douleurs diffuses et lancinantes. Mais la souffrance physique n'était rien face à la satisfaction qu'il avait d'avoir appris quelque chose de son passé. Même minimes, les renseignements qu'il avait obtenus de Taddeus Moor représentaient un bien si précieux qu'il ne cessait de se les répéter à la manière d'une litanie, comme il avait fait autrefois avec l'histoire de Capolkan pour ne rien oublier.

 Il ne s'appelait pas Kreine Stakhos. Il était Caléus Fincher. Caléus Fincher de Miunuir. Il avait été enlevé à ses parents. Il avait été arraché à un monde d'amour et de douceur pour les cellules froides d'une autre cité. Qui étaient Ren et Brajda Fincher ? Qu'avaient-ils donc fait pour qu'on leur enlève leur enfant ?

 Caléus ne connaissait rien ou presque des règles et des lois de sa cité d'origine. Et il n'en saurait rien tant qu'il serait enfermé ici. Il ignorait si sa capture avait eu une quelconque incidence sur la fuite de son disciple. Ce qu'il savait, en revanche, c'est qu'il ne lui serait d'aucune utilité s'il ne retrouvait pas une certaine liberté de mouvement. Il observa la cellule et fit le point sur sa situation.

 Il était seul. Depuis la détonation, aucun être humain n'avait approché sa cellule d'interrogatoire. Personne ne s'était inquiété de lui, ni de ce qu'il aurait pu avoir à dire. Aucun gaz n'était venu le neutraliser. Il se doutait bien qu'il continuait à être filmé, mais y avait-il quelqu'un derrière l'écran de surveillance ? Rien n'était moins sûr. L'explosion avait dû focaliser les attentions ailleurs, et ses poignets ensanglantés ne lui paraissaient plus aussi à l'étroit depuis que les gardes l'avaient frappé. Une occasion pareille ne se présenterait sans doute pas de sitôt.

*

 Moor réceptionnait les rapports, satisfait de l'évolution de la situation. Hirsh reprenait le contrôle du secteur 6 avec maestria. Prétextant des problèmes d'approvisionnement en énergie, le supra avait avancé la fermeture des portes de ses usines. Ce subterfuge avait permis de n'informer personne de la cause réelle de son intervention et de regrouper facilement les androïdes. Une fois dans leur zone de stockage, Hirsh avait attendu la mise en veille des machines pour en couper l'alimentation générale. Simple, efficace et rapide. Cependant, si les androïdes « éveillés » du secteur 6 avaient été pris au piège, les non-avérés, eux, couraient toujours. Et il ne savait pas combien ils pouvaient être.

 En explorant la puce de SEITO, le fils de Dengen, Linus, avait réussi à intercepter des messages échangés par le « Réseau Fantôme ». Manifestement, les « éveillés » ne semblaient pas encore informés de ce que tramait la Doshbat. Leur comportement ne supposait aucune animosité pour le moment. Cependant, la capture d'une jeune femme au courant des agissements androïdes inquiétait Moor. Comment avait-elle pu en savoir autant ? Et avait-elle raconté à quelqu'un ce qu'elle savait ? Et la jeune fille qui s'était enfuie ? Qu'avait-elle l'intention de faire ? Autant de question que seule la prisonnière pourrait éclaircir. Hirsh la ramènerait dès que possible.

 En attendant, Moor devait préparer la nuit avec Barandoué et Taglione. Les mouvements de mécontentements qui avaient éclatés la veille s'étaient calmés spontanément. Toutefois, Barandoué avait maintenu ses hommes en état d'alerte maximale. Il se méfiait d'autant plus, maintenant que cette histoire d'androïdes était apparue. Taglione avait redoublé les escouades de surveillance qui sillonnaient la cité. Quant au secteur 11, quadrillé par de nombreux hommes en armes, il semblait avoir retrouvé son calme. Les kansikers de Van Stiers n'avaient pas été d'un grand secours. Ils s'étaient concentrés sur le rapatriement des stocks. Et encore, pas dans leur intégralité. Juste ceux de certains hangars.

 Moor soupçonnait un trafic, mais n'avait ni le temps, ni les hommes pour s'en occuper pour le moment. Ward devait garder les yeux ouverts pour lui signaler toute anomalie trop voyante, même s’il avait sans doute des préoccupations plus impérieuses.

 Alors que le supra réceptionnait un nouveau rapport, des éclats de voix s’élevèrent dans son dos. Il se tourna vers les bureaux que s'étaient octroyés les anciens Christophorus et Dengen. Les deux hommes étaient furieux. Contrairement à ce qu'il avait dit, le Commandeur n'avait pas l'intention de convoquer le Haut-Conseil.

 Dengen animé d'une nouvelle ferveur avait pris sur lui de contacter Dashilester, Tanaka et Dongala. Aucun des trois n'était joignable. Le premier était toujours dans le secteur 11 à superviser les hommes de Van Stiers. Et les deux autres ne daignaient pas répondre tout simplement.

 Bien qu'ils n'aient pas encore reçu les résultats des recherches faites par Johansen, les deux anciens étaient convaincus de la culpabilité de Volk. Ils auraient souhaité le confondre devant le Haut-Conseil de manière à l'empêcher de nuire le plus rapidement possible. Mais tout semblait se lier contre eux. Ils étaient isolés pas plus de cent ans de manipulation politique consacrée à faire du Haut-Conseil et des anciens des pantins sans pouvoir.

 Moor constatait avec amertume la faillite d'un système qu'il croyait solide. La question était de savoir si leurs ennemis en étaient conscients également. Il espérait que non.

 Linus Dengen s'activait sur un ordinateur dans un coin de la salle, à l'écart. Le front plissé et le nez sur l'écran, le jeune garçon semblait préoccupé. Il continuait à explorer la puce de SEITO. Il tentait d'isoler la fréquence utilisée par le « Réseau Fantôme » afin de l'espionner à son insu. Jusqu'à présent, il n'était parvenu qu'à en capter quelques bribes. Il craignait surtout de se faire repérer.

 Moor aurait pu confier cette mission à un homme plus expérimenté. Mais, Linus semblait tout à fait capable de résoudre ce problème seul. Dans sa solitude d'adolescent, il avait réussi à développer des compétences spécifiques que peu de capolkaniens possédaient. Intelligent, il n'était animé que par un seul objectif : Prouver que sa mère adoptive n'avait rien à voir avec le soulèvement prévu. Une motivation inébranlable qui le mènerait sans doute à son objectif plus rapidement qu'aucun autre.

 Le supra reporta son attention sur les écrans de surveillance. Noyé dans la masse d'images, l'un d'eux affichait une salle vide. Une salle qui n'aurait pas dû l'être.

— Nom d'un Prax ! jura Moor en se penchant pour afficher sur l'écran central la cellule où aurait dû se trouver Caléus Fincher.

— Taglione ! Envoyez immédiatement des hommes à la salle d'interrogatoire n° 27 ! Le Conteur a disparu !

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