Chapitre 43 Ris Terkoff

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 Juste après l'explosion, un silence incroyable s'abattit sur le théâtre de feu qui maintenant remplaçait le hangar. Puis vinrent les gémissements et les cris de fureur. La confusion et l'agitation balayèrent d'un souffle le tapis de cendre et de poudre grège qui se formait lentement au sol.

 Les panneaux de verre des serres avoisinant le bâtiment n'avaient pas résisté à la violence de la déflagration. Ils s'étaient descellés puis fracassés, éparpillant des éclats ternes et acérés dans toutes les directions. Ceux qui avaient eu la malchance de se trouver sur leur passage avaient été blessés ou tués. Le hangar, dont la partie supérieure avait été pulvérisée, était la proie des flammes. Le souffle de l'explosion avait propagé l'incendie aux alentours.

 Les frondaisons enflammées des arbres leurs donnaient de faux airs de torches géantes plantées pour illuminer un jour assombri par les fumées suffocantes.

 Tout le secteur 11 était en ébullition. La panique s'était emparée des prisonniers. Les responsables de serre semblaient déroutés, et les androïdes désorientés. Seuls les « éveillés » s'organisèrent rapidement. Le « Réseau Fantôme » étant inopérant sur de longues distances dans certaines zones du secteur, ils contournèrent la difficulté en se regroupant à des points stratégiques.

 SEITO avait abandonné son panier sur le chemin et s'était précipité vers le hangar. Depuis un moment déjà, il redoutait quelque chose de ce genre. Il avait revu Ris dans la matinée.

 Personne ne faisait attention aux allées et venues du vieil homme. Sa démarche claudicante, ses blessures apparentes lui donnaient un aspect vulnérable qui trompait ses geôliers, mais pas SEITO. L'androïde l'avait suivi alors qu'il poussait une carriole de récolte. Personne ne semblait remarquer qu'il la menait au mauvais endroit. Ce n'est que lorsqu'il avait déchargé son contenu derrière le hangar que SEITO avait compris ce que faisait l'humain.

 Il aurait pu l'arrêter. Il aurait pu, mais n'en avait rien fait. SEITO avait conscience de se servir de cet homme pour réaliser ce qu'il n'aurait pas eu le courage de faire lui-même. Il en avait conscience et l'assumait.

*

 DASHEL était furieux. L'explosion du hangar ne pouvait être fortuite. S'il ne parvenait pas à réprimer l'incendie rapidement, la Doshbat enverrait des renforts, et alors la situation pourrait devenir sérieusement dangereuse. La voix de leur chef n'allait sans doute pas tarder à retentir sur le réseau pour en savoir plus. Et cet arrogant Sven viendrait mettre le nez dans ses affaires une fois de plus.

 Ravalant sa rage, l'androïde guida les lances d'incendie vers les flammes les plus virulentes du brasier. L'eau se déversait avec violence et inondait les sous-bois. Deux androïdes émergèrent soudain des arbres trainant un corps entre eux. Ils le déposèrent sans ménagement aux pieds de DASHEL.

 Malgré la suie qui le recouvrait en partie, Ris Terkoff était parfaitement reconnaissable du fait de ses blessures. L'androïde attrapa par le haut de la tunique l'ancien serrocole à demi-inconscient pour mieux voir son visage, pendant que ses frères lui indiquaient où il avait été trouvé, sous-entendant qu'il était probablement l'auteur de l'attentat.

 DASHEL se rappela instantanément les paroles de Sven à propos du prisonnier qui « était plus coriace qu'il n'y paraissait ». Il enrageait de n'avoir pas surveillé l'humain plus assidûment, mais « plus coriace » ne voulait pas dire « dangereux ». Or, ce type était manifestement dangereux.

 Ris sembla se rendre compte que ses pieds ne touchaient pas le sol, car il commença à s'agiter en geignant. DASHEL le secoua en hurlant :

— Pourquoi t'as fait ça !

 Ris, étourdi, se fendit d'un sourire ensanglanté pour toute réponse. DASHEL le laissa choir brutalement à terre, puis s'écarta légèrement. Peu importait ce qu'avait dit leur chef au sujet de ce type, il devait payer. Tout de suite. Sa disparition serait associée à l'explosion.

 Un cercle d'androïdes se forma rapidement autour du vieil homme. L'animosité était palpable, et les premiers coups ne tardèrent pas à pleuvoir sur le corps déjà bien amoché de Ris. SEITO, qui s'était frayé un passage parmi ses frères, interpella DASHEL.

— Hé ! Je croyais qu'il fallait le garder en vie à cause de la fille ! lança-t-il en direction de DASHEL qui ne participait pas au lynchage, mais l'observait avec attention.

— On s'en fout ! cria un androïde du nom de GREER avant de décocher un nouveau coup de pied à Ris qui roula jusqu'aux pieds d'autres androïdes.

— On va juste lui donner une petite leçon. Il sera plus docile, et surtout il apprendra à tenir sa place docilement, répliqua DASHEL en foudroyant SEITO du regard.

 Ris était ballotté comme une bûche tout autour du cercle. Des prisonniers bien humains, eux, attisaient la hargne des androïdes en les haranguant. SEITO hésitait à se porter au secours du prisonnier, car il deviendrait immédiatement suspect aux yeux de ses frères.

 Pourquoi se préoccupait-il autant de cet humain ? N'avait-il pas accompli sa tâche ? Que lui importait qu'il vive, après tout ? Il ne le connaissait pas ! Pourtant, il ne pouvait pas non plus s'empêcher de penser que c'était justement pour lutter contre la violence de ses frères envers les humains qu'il n'avait pas arrêter Ris. Cet humain lui avait rendu service, il ne pouvait le laisser mourir de cette manière. Il avait une sorte de dette envers lui.

 Bien qu'ayant fait preuve de ténacité jusqu'à présent, le corps épuisé déjà vieux de Ris ne résisterait pas longtemps à ce dernier affrontement. Et aucun humain ne lui viendrait en aide. Pas ici. Et pas maintenant. Ce en quoi SEITO se trompait.

 L'androïde allait s'interposer une nouvelle fois, au risque de voir la colère de ses frères se tourner contre lui, quand la tête de GREER se détacha brutalement de son corps, et s'envola en décrivant une trajectoire courbe avant de retomber abruptement près du prisonnier à terre. Le visage de l'androïde était marqué par la surprise. Le corps décapité s'effondra lourdement sur le sol en soulevant un petit nuage de poussière et de cendre.

 Pendant un bref instant, il n'y eut plus que le crépitement des flammes et le chuintement de l'eau au contact du feu pour perturber le silence. Le cercle s'était ouvert pour faire face à l'homme qui venait de surgir de la végétation, l'arme au poing.

 Son uniforme ne laissait aucun doute sur son appartenance malgré l'état dans laquelle il se trouvait. Un filet de sang avait séché le long de sa tempe et de la suie lui maculait les mains et une partie du visage. Quant à ses cheveux encore plus en désordre qu'habituellement, ils fumaient par endroit.

 Marcus Ward avait approché le feu d'un peu trop près en voulant parvenir au plus vite au cœur de l'incendie. Et ce qu'il avait vu alors l'avait déconcerté. Le comportement de ces androïdes et de ces prisonniers manifestement livrés à eux-mêmes ne cadrait pas. Il se remémora les deux androïdes qu'il avait aperçu sur la vidéo du secteur 16 quelques jours auparavant. Il devait tirer cela au clair. Ça n'était sans doute pas le moment idéal, mais il n'avait plus le choix.

 DASHEL réfléchissait à toute allure. L'homme était seul. Il ne possédait qu'une arme. La raison de sa présence n'avait aucune espèce d'importance. Il devait mourir.

— Plus personne ne touche à ce type ! hurla Marcus Ward en brandissant toujours son arme, toi ! Relève-le ! continua-t-il en s'adressant à l'androïde le plus proche qui s'exécuta avec lenteur.

 Ris grimaça de douleur lorsque les bras puissants le soulevèrent sans ménagement pour le mettre debout. Il découvrit avec appréhension son sauveur. Seul. La partie n'était donc pas encore terminée.

 Marcus s'était avancé, tandis que les prisonniers s'écartaient, s'éloignant délibérément des androïdes, conscients qu'il valait mieux ne pas assister à ce qui allait suivre. DASHEL, légèrement en retrait par rapport à la première ligne de ses frères, transmettait ses pensées pour coordonner l'attaque.

 L'androïde qui portait Ris le projeta soudain brutalement vers l'infra qui ne put éviter la collision. Ward, déséquilibré, lâcha son arme qui glissa vers SEITO. C'était tout ce qu'attendaient les androïdes pour se jeter sur l'homme de la Doshbat.

 Parvenant tant bien que mal à se dépêtrer de Ris, Marcus sortit son couteau du fourreau collé à sa botte juste avant que le premier androïde ne l'atteigne vraiment. Il planta la lame dans la gorge de l'assaillant le plus proche, coupant net la transmission des ondes électriques vers la puce centrale.

 L'infra n'avait pas dit son dernier mot. Il ne se laisserait pas éliminer facilement. Les androïdes, furieux, virent tomber un autre frère. Acculant Ward contre le muret de l'enclos, ils étaient prêts à charger de nouveau pour l'atteindre. Peu leurs importait combien d'entre eux se sacrifierait. Il fallait éliminer la menace.

 La mâchoire crispée, les yeux rivés sur ses ennemis, Ward aidait Ris qui se redressait difficilement. SEITO avait profité de la confusion pour dissimuler l'arme de Ward dans son dos, et avait opéré un mouvement discret vers lui. Aussi, lorsque DASHEL s'avança vers l'infra et braqua sur lui son propre laser, SEITO put aisément sortir du rang et se placer devant les humains. Cette fois, il ne pourrait reculer. L'androïde songea à Coline et se dit qu'il faisait cela pour elle. Pour qu'elle vive. Même sans lui.

— Pousse-toi de là, SEITO ! hurla DASHEL.

— Non ! répondit simplement l'androïde en soulevant le dos de sa tunique de manière à permettre à Ward de récupérer son arme.

— T'es dingue ou quoi ? Qu'est-ce qui te prend ? On n‘a pas le temps de … Bouge de là ! Bordel ! continua DASHEL un tantinet déstabilisé par le comportement de ce frère dont il ne pouvait pénétrer les pensées. Il ne s'attendait pas à ce qu'il fasse partie de la mouvance dissidente. Il l'avait toujours pris pour un idiot. Après tout, il était défectueux.

— Je ne bougerai pas, continua SEITO.

— Alors tu grilleras avec eux ! hurla DASHEL à bout de patience en le mettant en joue.

 Le coup partit, mais n'atteignit pas sa cible. Ris dans un mouvement brusque était tombé sur l'androïde, libérant du même coup Ward de son fardeau. L'infra put alors tirer sans difficulté et engager le combat. Il n'était plus temps de protéger qui que ce soit, mais plutôt de sauver sa peau. Certaines machines s'étaient jetées sur Seito et Ris, tandis que d'autres tentaient d'atteindre l'infra plus combatif que jamais maintenant qu'il avait récupéré son arme.

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