Chapitre 42 Infiltration

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 La porte de la cellule s'ouvrit brusquement laissant passer le supra Johansen, accompagné de deux gardes. Ces derniers se précipitant sur Caléus Fincher, renversèrent violemment la chaise sur laquelle il était assis, coupant ainsi le lien psychique avec sa victime.

 Johansen, lui, s'était approché de Moor pour lui porter secours. Le supra, adossé au mur, se tenait la tête à deux mains. Il savait maintenant où il avait vu Fincher. La douleur avait rafraichi sa mémoire, et la porte 9B3768 lui était apparu nettement.

— Moor, vous allez bien ? Je vous emmène au laboratoire central, dit Johansen en aidant le supra à se redresser.

 Mais contre toute attente, ce dernier repoussa le bras de Johansen, et s'approcha du prisonnier que les gardes étaient en train de rouer de coups.

— Vous ne devriez pas ! Cet homme est dangereux ! protesta Tork.

 Moor s'en voulait de s'être cru assez fort pour interroger cet homme tout seul. C'était une erreur de débutant. Cependant il ne capitulerait pas aussi facilement. Il ne s'était pas attendu à la première attaque. Il s'arma pour la seconde, même s’il était persuadé qu'il n'y aurait pas.

 Fincher gisait sur le sol. Le visage en sang, le bras droit douloureusement coincé entre le béton et la chaise, il avait du mal à rester conscient. Ce qu'il venait de faire était impardonnable. Et ce d'autant plus, qu'il n'avait obtenu que peu de choses en somme. C'était ridicule. En se servant de son esprit de cette manière et contre cet homme, il mettait en péril sa fonction et ses chances de trouver des alliés. Car il sentait que Moor n'était pas un ennemi. Enfin, il ne l'était pas avant qu'il lui fasse bouillir la cervelle. Le Conteur redoutait maintenant les représailles, même s'il s'était toujours préparé au pire.

— Vous êtes l'enfant de la cellule 9B368, ânonna Moor d'une voix qu'il espérait ferme, tandis que les deux gardes redressaient Caléus sans ménagement lui arrachant un gémissement sourd.

 Tork regarda successivement les deux hommes, interloqué. De quoi parlait Moor ?

— Je vois que vous vous souvenez. Vous avez donc une pièce du puzzle. Et moi, je n'ai rien. Miunuir ne vous a pas donné grand-chose, répondit difficilement Fincher la bouche sanglante.

 Moor observa, intrigué, le prisonnier. Il sentait que chaque détail de l'entretien pouvait revêtir des sens cachés. Encore fallait-il en trouver la clé.

— Que faisiez-vous dans cette cellule de confinement, à l'époque ? demanda le supra en s'asseyant en face du prisonnier.

— Du plus loin que je me souvienne, je n'ai connu que cela. Des cellules. J'étais un cobaye docile et manipulable.

— C'est votre don qui les intéressait ? continua Moor rapidement voyant que le prisonnier semblait vouloir coopérer.

— Mon don ? Ha ! Ha ! Ha ! C'est eux qui l'ont fait apparaître, avec leurs expériences ! Ils n'ont jamais soupçonné son existence ! Enfin, jusqu'à ce qu'un petit garçon s'arrête devant ma cellule de manière inexpliquée. Ils se sont alors doutés que quelque chose clochait, mais ils n'ont pas eu le temps d'approfondir leurs recherches. Je ne leur en ai pas laissé le temps, lança Fincher avec une voix rocailleuse.

— Vous vous en êtes servi pour fuir ?

— Bien sûr ! Qui ne l'aurait pas fait.

 Un bref silence s'installa dans la cellule. Les deux gardes s'étaient postés de chaque côté de la porte, tandis que Tork Johansen s'était adossé à un mur, intrigué par l'étrange dialogue qui venait de s'engager.

— Quel est votre lien avec l'Élue ? demanda Moor pour recentrer l'interrogatoire.

— L'Élue ? Quelle Élue ?

 Bien qu'amoché physiquement, Fincher avait l'esprit clair, et il ne se laisserait pas surprendre d'une manière aussi banale. Il avait encore besoin de temps. Moor fulminait.

— Je vais donc répéter mes premières questions : Qui êtes-vous Fincher ? Et que faisiez-vous dans le secteur 9 avec un brouilleur ?

— Je suis un maître tisseur. Et je trafiquais.

— Vous trafiquiez ? C'est étonnant ! Seul, et dans un enclos où les bêtes sauvages sont pléthore ? Et sortant d'un souterrain.

— Idéal pour dissimuler des marchandises, lança Fincher avec cynisme.

 Moor garda son calme et continua.

— Quel est votre lien avec Cyrus Kreutzer.

— Kreutzer ? Je n'ai pas de lien avec lui. Il est juste tisseur comme moi. Pourquoi me parlez-vous de lui ? demanda le Conteur ingénument.

— Ce serait une coïncidence ?

— Je ne comprends pas ?

— Vous ne comprenez pas... Bien ! dit Moor en s'appuyant sur la table pour se relever, écoutez, Fincher. Je n'aime pas particulièrement être pris pour un imbécile ! Et deux fois dans la même journée, c'est déjà trop ! Vous venez de m'agresser gravement. Je pourrais vous faire enfermer. Et votre don ne vous servirait à rien là où j'envisage de vous mettre, croyez-moi ! Alors je répète ma question encore une fois : Quels sont vos liens avec Kreutzer ?

 Caléus Fincher ne répondit pas immédiatement. Ne pouvant toucher Moor sans danger, il était parvenu à fouiller l'esprit des trois autres occupants de la pièce. Les gardes ne savaient pas grand-chose d'intéressant, mais Johansen était une vraie mine, même si une partie des informations qu'il lui avait livrées étaient confuses. Il ne doutait pas une minute qu'elles lui seraient utiles en temps voulus.

 Devant le silence de son prisonnier, Taddeus Moor sembla prendre conscience brusquement qu'il n'était pas seul dans la cellule. Il se tourna brusquement vers Johansen et les gardes, et leur intima de sortir. Malgré l'agression dont ils avaient été témoins, aucun d'eux n'émit d'objection. La proximité de Fincher les mettait mal à l'aise. Même Johansen, pourtant curieux, sembla soulagé de s'éloigner. Caléus prit la parole au moment où le supra se retournait vers lui.

— Je ne suis qu'un tisseur, et Kreutzer en est un autre. Je ne comprends pas pourquoi je suis là.

— C'est moi qui ne comprends pas pourquoi je suis là. Il me semble que c'est vous qui avez demandé à me parler, et non le contraire.

 Caléus se rappela ce détail et se mordit la joue. Finalement, ça n'avait pas été une si bonne idée vu les aptitudes de Moor pour détecter son don.

— Je voulais gagner du temps.

— Vous en avez gagné en m'en faisant perdre. Reste à savoir pourquoi vous aviez besoin d'en gagner.

— Miunuir. Je ne savais rien de mes origines.

— Vous auriez juste saisi une opportunité ? À d'autres ! Prendre autant de risques avec aussi peu d'assurance face aux résultats, ce serait pure inconscience. Je ne crois pas que vous soyez capable d'une telle erreur, dit Moor en se dirigeant d'un pas résolu sur le prisonnier.

 Le supra venait de se souvenir d'un détail. Un infime détail. Dans sa jeunesse, il avait été le témoin involontaire d'une autopsie. Il s'agissait du corps d'un homme de plus de 50 ans, soupçonné d'être le Conteur. Moor se souvenait avoir remarqué quelque chose d'inhabituel pour un homme qui se prétendait un simple céréalier.

 Fincher ferma les yeux, s'attendant à être frappé. Mais rien ne se passa. Il rouvrit un œil, puis le deuxième, surpris. Moor venait de sortir un petit couteau de l'une de ses poches et se penchait sur lui.

— Je sais qui vous êtes, Fincher. Et vous allez me le confirmer avec ou sans votre consentement.

 Moor attrapa la manche gauche du prisonnier et incisa le tissu au niveau de l'épaule, découvrant ainsi un tatouage. Mais pas n'importe lequel. Le même que celui qu'il avait vu dans sa jeunesse : Un rectangle marqué de deux lettres en son centre.

— Je le savais, murmura Moor en rangeant le couteau, vous êtes le Conteur, et Kreutzer est votre disciple ! Vous étiez là-bas pour lui. La question suivante est : Pourquoi désiriez-vous récupérer une Élue ? Ou peut-être pour qui ?

 Moor fixait Fincher avec intensité. La découverte du tatouage ne permettait plus au prisonnier de feindre. Il lui restait deux solutions : garder le silence ou parler. Cyrus étant toujours libre, Caléus choisit de parler.

— Pour qui ? Mais je me fous complètement de votre Élue ! Il aurait mieux valu qu'elle n'existe pas pour moi, éructa Fincher.

— Ah, oui ! Et pourquoi ? Le Conteur ne veut-il plus libérer le peuple de l'oppression ? Elle est la clé de la liberté, non ?

— Elle ne libèrera personne si elle et sa progéniture sont aux mains de la Doshbat.

— Nous y voilà ! Vous souhaitiez donc la récupérer ! Mais pour qui ? Les rebelles ?

 Caléus garda le silence. Moor, toujours debout près de lui, se pencha vers son oreille.

— Je vous invite à coopérer, Fincher. Je suis à bout de patience. Si vous persistez à ne rien me dire d'intéressant, je serai obligé d'utiliser des moyens beaucoup moins sympathiques. Et Capolkan risque de perdre son légendaire Conteur.

 Caléus redressa la tête et fixa Moor avec un petit sourire au coin des lèvres.

— Peu m'importe, je ne suis déjà plus le Conteur ! À l'instant même où j'ai mis les pieds dans la tour, j'ai perdu ma fonction. Vous n'obtiendrez rien de moi, et vous ne capturerez jamais Cyrus. Il sait disparaître. Bientôt, il se trouvera un disciple, et l'histoire se perpétuera.

— Il ne pourra pas disparaître aussi facilement cette fois. Nous savons pour les souterrains. Et nous avons un moyen de localiser l'Élue. Et si nous la trouvons. Nous le trouverons aussi, répliqua Moor froidement.

— Alors pourquoi êtes-vous encore là ! s'écria Fincher, vous n'avez qu'à les attraper puisque vous savez où ils se trouvent ! À moins que vous ne bluffiez !

— Ce n'est qu'une question de temps. J'aurais cru que …

 Taddeus Moor n'acheva pas sa phrase. Un bruit sourd accompagné d'une vibration étonnante le déstabilisa un court instant. Il regarda le prisonnier tout aussi interloqué que lui avant de se ruer vers la porte.

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