Chapitre 41 La détonation

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 La matinée touchait à sa fin. Les rayons des deux soleils de Tuclander avaient du mal à percer l'épais manteau nuageux qui s'était installé au-dessus de la cité telle une chape de plomb. Pas un souffle ne venait perturber l'air. La journée promettait d'être encore étouffante. L'orage tardait à éclater.

 Marcus Ward avait pénétré profondément dans la zone d'exploitation du secteur 11. Manifestement, les fugitifs progressaient vers les mines. Conscient de contrevenir à la loi de confinement, l'infra était sur ses gardes et veillait à ne pas se faire repérer, ni par des prisonniers, ni par leurs gardiens. Tel une ombre fugace, sans un bruit, mais attentif à tout ce qui l'entourait, il traversait des zones bocagères, des étendues cultivées bordées de bois, passait près de serres où l'activité semblait plus intense qu'ailleurs sans jamais révéler sa présence.

 Il ne devait pas seulement se méfier des hommes et des machines, mais aussi des animaux. Les enclos du secteur recelaient des bêtes bien plus dangereuses que n'importe où ailleurs dans la cité. Les maldeks n'étaient rien comparés aux preliriens. Fort heureusement ces derniers étaient peu nombreux et ne chassaient que la nuit. Mais gare à celui qui aurait eu l'audace d'en déloger un de sa tanière en plein jour.

 Animal solitaire et troglodyte sorti tout droit d'un croisement raté entre les ADN félidé et insectoïde, le prélirien avait l'apparence d'un lion à six pattes. Quatre d'entre elles semblaient être normales, si on mettait de côté les griffes énormes dont elles étaient affublées. Les deux autres, placées juste après les pattes avant sur le poitrail tenaient plus du bras que de la patte. Elles se terminaient par une sorte de pince peu engageante qui tailladait n'importe quoi avec une facilité étonnante.

 Cependant le plus terrifiant était sans doute sa gueule lorsqu'elle s'ouvrait pour broyer sa proie. Les crocs latéraux étaient bien là, accompagnés d'une double rangée de dents plus petites aussi acérées que des lames de rasoir. Rien ne pouvait ressortir indemne de l'attaque d'une telle mâchoire. Ward en était bien conscient, et il n'avait pas envie de provoquer de rencontre malencontreuse. Il avait soigneusement évité toutes les zones susceptibles d'être à risque, et s'abstenait de trop s'éterniser dans les enclos.

 Un peu avant les mines, les interférences menèrent l'infra sur un petit sentier. Il le suivit, fourbu, et devant l'absence de nouveaux signaux, il s'arrêta bientôt face à une vaste étendue verdoyante. Ni homme, ni machine ici, juste une pente douce vers un ru à sec, bordé de grandes arbres parmi lesquels on pouvait distinguer l'arrière d'une grange peinte en rouge. Marcus s'octroya une courte pause, appuyé contre un tronc.

 Il espérait que les fugitifs soient en train d'en faire autant. Il préférait penser cela plutôt que d'imaginer le pire. Il se demanda si Kreutzer était conscient des dangers qui les environnaient en dessous. L'Élue avait déjà été en contact avec l'eau du fleuve dont la filtration n'était jamais assurée à cent pour cent, et maintenant elle cheminait dans un lieu dont personne ne savait vraiment s'il était protégé ou non. Sans compter les risques de chute ou simplement de perte d'orientation. La belle affaire si les fugitifs s'égaraient et ne ressortaient jamais. Ward frémit à cette idée et la chassa aussitôt, reportant son attention sur le communicateur qu'il portait au poignet.

 En fin de matinée, il avait bien reçu le message d'urgence de la Doshbat. Pourtant il ne s'était pas précipité pour retrouver Terkoff. Les fugitifs étaient encore en mouvement, et tant qu'il subsistait la moindre chance de les suivre, il ne s'écarterait pas de son objectif. Il prenait encore le risque d'être désapprouvé par son supérieur, mais il ne voyait comment faire autrement. Après tout, Moor pouvait aussi bien retrouver ce Terkoff sans lui.

 Le visage du sujet n°3 s'imposa encore à lui, tandis qu'il se voyait sanctionner, incapable d'aider la jeune fille d'aucune manière. Cette étrange poursuite lui laissait le temps de réfléchir. Beaucoup trop à son goût. Ça n'était pas bon, mais alors, pas bon du tout. À moins qu'au contraire cela lui soit indispensable pour parvenir à sortir du merdier dans lequel il était, car il n'y avait pas d'autre mot pour décrire sa situation.

 Il était dingue de cette fille. Ok. Mais qu'en était-il pour elle ? Comment réagirait-elle ? Elle avait dû voir qu'il lui avait sauvé la mise, mais lui en serait-elle reconnaissante ? Rien n'était moins sûr. Après tout, c'était lui le chasseur.

 Absorbé par ses pensées, Ward ne remarqua pas immédiatement la silhouette courbée à l'arrière de la grange, dont la tunique de couleur verte se détachait nettement sur le rouge du bois peint. Lorsqu'enfin il s'aperçut de sa présence, il attrapa ses jumelles pour voir ce que trafiquait ce prisonnier sans surveillance.

*

 Ris venait de mettre en place le catalyseur sur les bonbonnes quand il releva les yeux vers le pré. Un homme courait vers lui, traçant un sillon profond dans les hautes herbes. De sa position, Ris ne pouvait distinguer son visage, mais la couleur de son uniforme lui suffisait pour comprendre qu'il ne devait pas traîner ici. Il se précipita vers les bois, prenant soin de mettre en marche son engin. Le sort en était jeté. Rien ni personne ne pourrait arrêter la réaction. Il était temps d'avertir la tour de ce que tramaient les androïdes.

*

 Marcus sut qu'il était trop tard lorsqu'il vit le prisonnier se mettre à courir, et disparaître entre les arbres. Il eut à peine le temps de se tourner qu'une détonation fracassante déchirait l'air, créant un souffle puissant qui le projeta sur plusieurs mètres jusqu’aux arbres qu'il avait quitté quelques instants auparavant.

 Une longue vibration ébranla le sol en lui arrachant un gémissement lugubre, tandis qu'une nuée d'oiseaux s'envolait des arbres environnants dans un bruit d'ailes assourdissant. Puis une épaisse fumée noire s'éleva au-dessus des arbres. Une épaisse fumée noire mêlée à une pluie de résidus enflammés.

 Ward, gisait au pied d'un arbre, étourdi par l'impact de son corps contre le tronc, tandis que les flammes commençaient à engloutir le pré devant lui.

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