Chapitre 32 Le pisteur

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 Aristolus Karpov n'en croyait pas ses yeux. Enfin, il tenait sa revanche ! Personne dans les bureaux de la sécurité intérieure ne faisait attention à lui. Il était juste venu récupérer un dossier sur le bureau du supra Taglione avant de rentrer. Son supérieur l'avait vertement tancé après sa dernière intervention devant le Commandeur. Il n'en avait cure, car il se savait protégé. Toutefois, pour le moment, Openwall ne pouvait montrer ouvertement son soutien.

 Le supra de l'ordre interne avait donc pris pour prétexte les informations peu significatives soutirées à Terkoff pour le mettre sur une autre affaire de moindre importance : une enquête en court sur un trafic de substances illicites. D'où sa présence à cette heure tardive. Il avait besoin de boucler l'affaire rapidement pour continuer à surveiller la chasse en cours. Mais ce qu'il tenait dans ses mains changeait la donne.

 Le bref message avait été envoyé directement au bureau de Brix Taglione sans transiter par le réseau général des communications de la sécurité intérieure, ce qui était en soi assez étonnant. Il n'y en avait donc aucune trace ailleurs que sur le communicateur de son supérieur. Toutefois, l'expéditeur était un novice en matière de chantage.

 En demandant des assurances contre l'information qu'il détenait concernant l'Élue, il n'avait pas pris la peine de masquer sa communication. Il fut donc facile à Karpov de localiser l'appareil émetteur. L'infra s'empressa de répondre pour mettre en confiance celui qui allait se faire flouer. Karpov n'avait pas l'intention de redonner son statut de citoyenne à cette Kala Dasalik. Il savait où était l'Élue désormais, et comptait bien l'attraper sans contrepartie. Jubilant, il en oublia le dossier pour lequel il était venu dans le bureau et sortit précipitamment. Il lui fallait un engin et quelques hommes. Il allait enfin pouvoir évincer Ward et moucher Taglione.

*

 Eupraxius Magne suivait le chemin sans précipitation. La nuit était son alliée. Il connaissait son gibier. Blessés, fatigués, les fugitifs avaient dû chercher un abri pour la nuit. Restait à le trouver, et c'était plutôt bien parti.

 Une fois débarrassé de Ward, il avait rejoint les bords du canal. Là-bas, pataugeant sur les berges boueuses, il avait rejoint les quelques hommes que l'infra avait envoyé à la recherche d'indices. Ils avaient trouvé quelque chose, mais n'étaient pas sûrs que cela ait un rapport avec les fugitifs.

 Sur le haut de la butte menant au pont, coté zone d'exploitation, des traces de lutte et du sang étaient nettement visibles malgré la boue. Rien ne reliait cette piste à l'Élue en fuite. Cela aurait tout aussi pu être les restes d'une bagarre entre recycleurs. Ils étaient réputés pour être agressifs et querelleurs.

 Faisant croire que Ward lui avait laissé les rênes de la chasse, Magne avait pris les choses en main. Il avait ordonné aux gardes de prélever des échantillons, tandis que lui tentait de remonter la piste seul.

 Le chemin boueux révélait de profondes empreintes à certains endroits. Impossible de déterminer à qui elles appartenaient pour le moment, mais son intuition l'incitait à persévérer dans cette voie. Certaines, peu nombreuses menaient à un champ de déchets. Il allait poursuivre sa route lorsqu'une voix pleine de rage s'éleva dans la nuit.

— Où est-ce que tu te caches ! Bakasse !

 Davrek arpentait le champ de déchets furieux. Il n'avait pas encore remarqué le pisteur debout dans l'obscurité en contrebas. Armé d'un bâton qu'il avait trouvé sur place, il fouillait les détritus.

 Davrek ressentait une rage peu commune pour un androïde. Il savait que c'était mal de se mettre dans cet état, c'est pourquoi il avait fermé son esprit à ses frères du « Réseau Fantôme ». Seul dans sa tête, il pouvait pester autant qu'il le souhaitait.

 Prya avait disparu ! Après avoir rejoint la bulle au moment du couvre-feu, Pullman avait demandé en rigolant à Davrek où était passé sa jolie petite compagne. Alors encore exalté par son acte de violence, il lui avait raconté, non sans fierté, ce qu'il avait fait. Pullman l'avait alors pris à part. Il lui avait brièvement fait comprendre que s'il la laissait crever dehors durant la nuit, il aurait de nombreux problèmes. Battre sa femme dans l'intimité n'avait rien à voir avec la laisser pour morte aux yeux de tous. D'autant qu'elle avait un bracelet de localisation.

 Paniqué, Davrek avait alors enfreint pour la première fois le couvre-feu pour récupérer sa compagne. Seulement, elle n'était plus là où il l'avait laissée. Il avait alors suivi la piste du localisateur jusqu'au champ de déchets, mais elle ne s'y trouvait pas non plus. Il était furieux contre lui-même. Comment avait-il pu commettre une erreur aussi grossière ! Il avait sous-estimé cette femelle ! Et maintenant, elle tentait de lui échapper ! Il fallait pourtant qu'il la retrouve. C'était vital. Il n'envisageait même pas ce que lui feraient ses frères s'il compromettait le soulèvement de manière aussi ridicule.

 Magne remarqua quelque chose qui brillait sur la pente du monticule de déchets. Il ramassa l'objet en souriant. Pas folle la p'tite, pensa-t-il.

— Inutile de t'énerver, elle n'est plus là ! lança-t-il à l'intention de l'homme en colère qui braqua immédiatement sa lampe sur lui.

— Qui êtes-vous ? lança Davrek d'un ton plein de hargne.

— Quelqu'un qui cherche, répondit tranquillement Magne

— Et vous cherchez quoi ?

 Davrek identifiait parfaitement la tunique de l'inconnu, et il n'appréciait pas particulièrement la tournure des événements. Que faisait un kansiker, ici ?

— Qui, serait plus juste.

— Alors, vous cherchez qui ? s'énerva Davrek.

— Mes proies.

 Ces quelques mots glacèrent l'androïde qui garda le silence, laissant le kansiker reprendre d'un ton calme :

— Comme je te le disais, elle doit être loin maintenant, inutile de la chercher.

— Loin, ça m'étonnerait ! Son bracelet de localisation la situe ici ! Et puis, elle n'était pas en état d'aller loin quand je l'ai laissée ! Croyez-moi.

 Et le sourire sardonique de Davrek en disait plus long que sa phrase sur ce qu'il avait fait à celle qui lui avait échappé. Magne, toujours aussi calme, reconnut en son interlocuteur, un frère de sang. Cet homme-là aurait été plus à sa place dans les kansikers qu'ici, c'était évident. Il en toucherait un mot à Van Stiers après avoir achevé sa mission. Un homme cruel était toujours utile en mission dans la grande prairie.

— Son bracelet de localisation est bien ici, dit Magne en montrant l'objet qu'il avait ramassé quelques instants plus tôt, mais pas elle... Et puis, elle n'est plus seule. Et cela change tout pour toi.

— Comment...

— Désormais, elle fait partie de mes proies, le coupa Magne.

 Davrek sembla réfléchir un instant, puis un nouveau sourire empreint de cruauté s'afficha sur son visage.

— Est-ce que cela veut dire qu'elle mourra ?

— C'est probable.

— Alors ça me va... lâcha l'androïde en maîtrisant sa descente le long de la pente instable du champ de déchets.

 Arrivé à la hauteur du chasseur, il tendit la main vers le bracelet. Magne le lui donna. Mais au moment où Davrek refermait sa main dessus, Magne le retint par le bras.

— J'ai besoin de son nom.

— Prya. Prya Fitzpatrick, répondit Davrek conscient qu'il venait de sceller le destin de sa compagne.

 Le pisteur le lâcha et, lui tournant le dos sans un mot de plus, il s'éloigna. Davrek ne regrettait qu'une chose : de n'avoir pas profité de Prya lorsqu'il en avait eu l'occasion. Finalement, il ne serait pas le premier androïde non-avéré à posséder une compagne et à coucher avec en toute légalité. D'un autre côté, la tournure que prenait cette affaire l'arrangeait. Prya ne serait bientôt plus qu'un mauvais souvenir.

*

 Ne parvenant pas à dormir, le supra Brix Taglione rejoignit son bureau. Il remarqua immédiatement les documents laissés en travers de l'espace de travail. Karpov était venu et avait oublié le dossier. Soupirant, il allait envoyer un message sur le communicateur de son second lorsqu'il vit la communication en attente. Il activa l'appareil et lut attentivement la réponse que n'avait pas attendu Karpov, trop sûr de lui. Brix Taglione était stupéfait, mais n'avait pas de temps à perdre.

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