Chapitre 27 Interrogatoires

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 La salle de surveillance bruissait de conversations et de chuchotements, tandis que sur le mur incurvé couvert d'écrans, des images provenant de toute la cité défilaient sans discontinuer.

 Sur l'écran principal au centre, s'imposaient deux images bien distinctes. À droite, le fleuve, impétueux, mouvant, sur lequel filaient des navettes de recherche malmenées par le vent. Des bourrasques violentes projetant d'immenses gerbes d'eau qui inondaient les ponts.

 À gauche, une petite salle sans mobilier, si ce n'est la chaise où un homme subissait un interrogatoire plutôt musclé. Deux gardes tournaient autour du prisonnier attaché dans une clarté aveuglante. Chacun leur tour, ils semblaient poser des questions, et chacun leur tour, ils frappaient inlassablement. La multitude d'images provenant du réseau de surveillance de la cité ne parvenait pas à en estomper la violence. Aristolus Karpov s'en donnait à cœur joie.

 L'équipe de jour, une dizaine d'hommes, avait du mal à se focaliser sur son travail. Témoins privilégiés d'une partie des exactions de leurs concitoyens, ils n'étaient pourtant pas habitués à être les spectateurs involontaires d'interrogatoires de ce type. Ils redoutaient de voir celui de la femme commencer. Ce genre d'images ne passait jamais par ici habituellement. Mais les circonstances étaient exceptionnelles. Et Moor avait quasiment transféré son bureau dans la pièce.

 Debout près d'un communicateur, le supra ne cillait pas devant les traitements infligés à Ris Terkoff. Le prisonnier accusait les coups tout en s'obstinant à garder le silence. Ce qui n'avait rien d'étonnant au regard du rapport transmis par Van Stiers. Moor y avait appris que cet ancien kansiker avait subi bien pire. Sans compter les brimades inhérentes à l'Ordre Externe et les batailles contre les ytualanis, Ris avait surtout survécu à 15 ans d'emprisonnement dans les mines du secteur 11.

 Il y avait été envoyé pour désobéissance à un ordre direct et acharnement physique contre un supérieur. Une faute aussi grave aurait normalement valu une sanction plus lourde comme un bannissement sans procès. Or, dans le cas du serrocole, l'Ordre externe avait préféré le maintenir sous sa férule plutôt que de le lâcher dans la grande prairie.

 Ce détail avait intrigué Moor qui avait cherché plus avant dans le dossier. Il avait fini par comprendre. Au milieu d'un affrontement avec des ytualanis, Ris Terkoff avait décidé de défendre l'un de ses ennemis contre son chef d'escouade qu'il avait finalement tué.

 Le kansiker avait été condamné à être enfermé 15 ans plutôt que bannis pour éviter qu'il ne rejoigne les ytualanis. Soupçonné de renseigner l'ennemi, il avait dû faire face à l'animosité des prisonniers durant tout ce laps de temps.

 Contre toutes attentes, Ris avait survécu à sa condamnation. Ce que n'envisageait manifestement pas ceux qui l'avaient emprisonné puisqu'il avait dû faire presque un an de plus dans l'attente de son transfert. Les autorités lui avaient finalement trouvé une place dans la cité. Puis l'avaient oublié.

 Quoi qu'il en soit, aux yeux du supra, sa survie révélait un certain tempérament et une grande capacité d'endurance. Certes, Ris avait vieilli. Mais un coriace restait un coriace, et vu son âge, il n'avait rien à perdre. Peut-être espérait-il même s'éteindre dans cette cellule ? Il aurait ainsi ridiculisé jusqu'au bout la Doshbat et son système. Il était temps de passer à des méthodes moins brutales et plus efficientes contre ce genre d'individu.

 Cependant, si Moor était convaincu que Tork Johansen ne verrait aucune objection à l'utilisation de certaines substances comme le Prectis pour interroger efficacement le prisonnier, il savait aussi que le supra responsable du département médical s'opposerait à employer de tels procédés dans le cas de sa sœur.

 Moor reporta son attention sur un petit écran montrant Selma Park-Johansen, ligotée à une chaise dans une petite cellule fortement éclairée. Elle était seule. Elle avait, bien entendu, refusé de répondre aux questions, mais personne ne l'avait encore touchée pour le moment.

 Moor avait relevé deux faits intéressants dans le mince dossier qu'il détenait sur la guérisseuse. Elle avait vécu dans le même secteur que Ris avant qu'il n'intègre les escouades de l'Ordre externe. Elle était alors la jeune et fraîche compagne d'un herboriste. Deux ans plus tard, veuve prématurément, elle avait disparu des listes des femmes à attribuer ce qui était pour le moins étonnant, car elle n'avait que 18 ans. Moor soupçonnait Johansen d'avoir interféré pour une raison qu'il ignorait encore. Le supra creuserait cette piste plus tard.

 Pour le moment ce qui importait, c'était la relation de cette femme avec Ris Terkoff. Rien ne révélait qu'elle ait eu un quelconque contact avec Ris dans sa jeunesse. Pourtant leurs chemins avaient dû forcément se croiser pour qu'elle l'aide ainsi. Amis ? Amants ?

— Qu'est-ce qui t'a poussé à venir voir cette femme après tant d'années ? Pourquoi elle... murmura Moor pour lui-même en fixant les écrans.

 Derrière le supra, les anciens Dengen et Christophorus avaient relevé la tête pour voir à qui s'adressaient ses paroles énigmatiques. Malgré le camouflet du Commandeur, les deux anciens n'avaient pas quitté la salle de surveillance. Au contraire, ils avaient décidé de superviser les opérations de près.

 Moor ne pouvait pas dire que cela l'enchanta, mais il ne les voyait pas non plus comme des charges. Avoir deux membres du Haut-Conseil sous la main, pouvait s'avérer utile lorsque l'on était pressé par le temps. Les deux hommes s'étaient attablés devant une série d'écrans et de communicateur. Ils envisageaient d'infléchir le pouvoir du Commandeur et secrètement tentaient de réunir les membres de leurs clans pour réfléchir à un moyen d'action.

— Supra Moor ? J'ai plusieurs regroupements inhabituels aux abords de bulles d'habitations.

— Quels secteurs ? demanda l'intéressé qui sortant de ses pensées, s'approcha de l'homme qui venait de s'adresser à lui avec une pointe d'inquiétude dans la voix.

— 5 et 12...

— Il fallait s'en douter ! Toujours les premiers à réagir ! Ce doit être le message ... Envoyez quelques escouades au secours des primus, et informez Barandoué de la situation !

 À peine eut-il achevé sa phrase que Taglione franchit le sas, essoufflé.

— Je viens d'intercepter un message intéressant ! Deux personnes correspondant au signalement des fugitifs ont été repérées à la limite de la zone d'exploitation du secteur 9.

— Si bas... murmura Moor pour lui-même, ils auraient donc passé le fleuve...

— Oui, ils se sont laissés emporter par le fleuve. Ce qui n'a rien d'étonnant quand on sait que l'homme est blessé. Ils ont eu beaucoup de chance de s'en sortir vivants. Ils ont échappé de peu à la noyade. Les rafales de vent ont dû commencer juste après qu'ils se soient échoués sur les berges est.

 Taglione était fier de lui. Sans sa présence dans les bureaux de Barandoué au moment de la réception du message embrouillé du primus du secteur 9- Section est, il n'aurait sans doute pas su que les fugitifs s'en étaient sortis. Les serre-berges qui les avaient trouvés, étaient furieux. Selon leurs dires, la fille avait incendié leur cabane et menacé leurs enfants. Ce sujet n°3 réservait décidément bien des surprises. L'ancien Dengen s'était levé pour s'approcher des supras.

— Vous avez bien dit que l'homme était blessé ? demanda-t-il avant de continuer, il lui faut donc des soins. Et comme ils n'ont plus de guérisseuse conciliante et discrète sous la main...

— Il faut mettre sous surveillance tous les centres de guérisons et les Cercles de femmes aussi. Faites en sorte qu'une communication directe soit établie avec Barandoué !

 Moor donna ses ordres d'un ton sec. Et le visage de Barandoué remplaça bientôt la carte de la cité sur l'écran central. Le supra chargé de la coordination avec les secteurs fut mis au courant des évolutions de la situation et prit les mesures qui s'imposaient, tandis que Brix Taglione établissait un contact avec l'infra Ward qui cherchait des réponses du mauvais côté de la rivière.

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