Chapitre 22 Une vie cryptée

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 Taddeus Moor scrutait la cité qui s'étendait en contrebas depuis la baie de son bureau. Le Commandeur avait attendu la fin de la séance du Haut-Conseil pour lui parler plus sérieusement de la situation de l'Élue en fuite. Le supra ne comprenait pas pourquoi Openwall s'obstinait à prétendre que cette affaire était importante. Moor avait bien tenté de lui montrer que certains faits paraissaient bien plus inquiétants et nécessitaient toute leur attention. Rien n'y avait fait.

 Démétrius Openwall avait démontré, une fois de plus, qu'il était tout puissant, et qu'on ne le contredisait pas. Le supra s'était incliné. Il avait donc laissé à son second la prise en main du dossier concernant les incidents dans le secteur 16 et s'était de nouveau penché sur le cas de la fugitive.

 L'idée de Ward était intéressante. Surveiller et recenser les stocks de cell-trad pouvait leur donner un coupable. Mais qu'en était-il, si elle s'était procuré un traducteur d'une autre façon ? Et si Karpov avait raison, et qu'elle avait obtenu de l'aide des rebelles ?

 Le dossier constitué par les services de Johansen, la déclarait atteinte de folie, ce qui était faux visiblement. Il avait écouté le compte-rendu nocturne de Ward, et il était d'accord. Elle avait un comportement impulsif, certes, mais réfléchi. Néanmoins, folle ou non. Bénéficiant d'appuis ou non. La fille continuait de leur échapper.

 Pour endormir la méfiance de la fugitive, et celle, peut-être plus avisée, de ses protecteurs si elle en avait, Moor avait fait réduire la surveillance des secteurs en relevant certaines escouades et en allégeant les autres. La surveillance vidéo, elle, avait été accrue. Des équipes supplémentaires se concentraient sur les zones les plus sensibles. Il espérait maintenant qu'elle ferait un faux pas.

 Toutefois, conscient que le temps jouait contre eux, il avait écouté avec intérêt les suggestions de Taglione et Karpov. D'après eux, l'appui de la population pouvait faire la différence. Ils conseillaient de lancer un message d'alerte-contagion en décrivant le sujet. Ceux qui l'avaient aidée commenceraient à douter et la trahiraient probablement. Quant aux autres, ils la chercheraient avec assiduité, craignant pour leur vie.

 Un climat de suspicion était favorable à de telles recherches. Moor avait trouvé l'idée intéressante bien qu'elle recela de nombreux points négatifs. Son second avait fait remarquer, à juste titre, que ce plan mettait la vie du sujet en danger. Qui savait ce que pourrait lui faire une bande de capolkaniens en colère et mus par la peur ?

 Quoi qu'il en soit, la discussion était close pour le moment, puisque le Haut-Conseil n'avait rien approuvé. Plus tard peut-être. Quand le Commandeur trouverait moins important de retrouver la fugitive vivante.

 Pour le moment, il devait se concentrer sur les rares pistes lui paraissant intéressantes. La comparaison des chiffres du registre de fabrication des traducteurs simultané, et ceux des stocks réels avait révélé des manques. Le service de la sécurité intérieure s'activait à interroger plusieurs individus qui s'étaient rendus avant l'aube dans la réserve où se trouvaient les cell-trad.

 L'étalonnage récent des appareils de surveillance semblait porter ses fruits. Les suspects avaient évité soigneusement l'ancien champ de vision de la caméra de surveillance. Ils étaient bien informés, mais pas assez manifestement.

La porte de son bureau s'ouvrit et laissa apparaître un Brix Taglione satisfait qui s'écria aussitôt :

— Nous avons notre homme !

— Vraiment ?

— Karpov peut être très persuasif ! répondit Taglione avec une légère grimace avant de continuer, l'un des hommes qu'il a interrogés, un certain Bilal Minkovski, a reconnu avoir dérobé un cell-trad. Il soutient également qu'il ne savait pas pour quelle raison on le lui a demandé.

— Un intermédiaire ?

— Oui ! Le commanditaire, lui, s'appelle Ris Terkoff !

— Pourquoi ce nom ne m'est-il pas étranger ? murmura Moor en réfléchissant.

 Taglione lui tendit un cône de communication. Une fois dans le lecteur, le dossier apparut sur l'écran mural. La photo d'un homme plutôt jeune avoisinait des informations cryptées. Seuls les derniers paragraphes étaient lisibles. Y était transcrit son affectation comme serrocole et les derniers rapports du primus Piers sur les vols que Ris avait déclarés récemment. La dernière ligne faisait état de son absence injustifiée du matin.

— J'ai fait envoyer deux hommes à son appartement. Personne. Le primus ne sait pas où il a pu aller. Il est passé à la serre et en est reparti presque aussitôt. Nous avons trouvé deux fois sa trace grâce à deux contrôles d'identité, mais il était seul à chaque fois. La première fois, dans le secteur 3, non loin de sa serre de rattachement. Il a affirmé aller au Cercle des femmes. Destination suffisamment inattendue pour que le chef d'escouade ait un doute et le fasse accompagner. Mais manifestement, c'était la vérité puisque la guérisseuse l'a accepté sans rechigner. Au second contrôle, les hommes ne lui ont pas demandé sa destination. À leur décharge, ils cherchaient une femme ou deux personnes. Pas un homme d'un certain âge et seul.

— D'un certain âge ? Moor fixait la photo où Ris devait avoir 30 ans tout au plus.

— Le dossier n'a pas été réactualisé à cause du cryptage.

— Je vois, répondit Moor d'un ton évasif en composant un code d'appel sur son communicateur.

 L'Ordre Externe n'avait pas changé ses méthodes. Depuis toujours, tout n'y était que secrets et complots. Le cryptage était là pour éviter le piratage des dossiers sensibles. Tout en attendant que la communication aboutisse, Moor posa une dernière question :

— Où se trouvait-il lors du deuxième contrôle ?

— Dans le secteur 16, répondit Taglione en vérifiant sur son dossier.

— Un long chemin pour... Moor n'acheva pas sa phrase car une voix autoritaire s'éleva soudain dans la pièce.

— Moor ! J'espère que c'est important !

 Le supra Helmut Van Stiers, parce qu'il était sous les ordres directs du Commandeur de la cité, avait tendance à se croire supérieur aux autres supras qui dépendaient du Haut-Conseil et de ses représentants. Il n'avait donc que mépris et arrogance pour ses collègues. Aveuglé par sa morgue, il ne remarquait pas que les autres en avait autant pour lui.

— Van Stiers ! Ne doute pas de l'importance de mon appel. Entendre le son de ta voix n'a jamais été un plaisir pour moi ! répliqua l'interpellé sur un ton tranquille, mais teinté de dédain.

Devant le silence circonspect de son interlocuteur, Taddeus Moor poursuivit :

— J'ai sous les yeux un dossier dont 90 % sont cryptés. Je souhaiterais avoir les informations qui manquent. Immédiatement.

— Et puis quoi encore ! Si tu n'as pas la clé de cryptage, il y a bien une raison ! Non ? hurla presque Van Stiers imbus de son pouvoir.

— Van Stiers ? Écoute-moi bien, parce que je ne vais pas le répéter. Le Haut-Conseil et le Commandeur m'ont donné carte blanche pour gérer un problème, et j'entends bien aller jusqu'au bout de mes investigations ! Quitte à aller chercher moi-même la clé de cryptage dans ton bureau ! Est-ce clair ? Sans compter que je ne manquerai pas de signaler ta réticence manifeste à me faciliter la tâche.

 Un silence lourd de menace s'installa entre les deux hommes. Taglione connaissait suffisamment Moor pour savoir que malgré le ton employé, il ne plaisantait pas. Il était telle une mer calme avant l'arrivée de la tempête : prêt à s'abattre sur quiconque se placerait en travers de son chemin. Cette affaire le mettait en rogne, c'était évident. Il ne l'aurait pas admis devant lui, mais Taglione savait que cette chasse à l'homme l'indifférait complètement, qu'il aurait préféré se consacrer à autre chose.

— De qui s'agit-il ? demanda sèchement Van Stiers.

— Ris Terkoff.

— Ris Terkoff... répéta Van Stiers en cherchant dans ses fichiers, je le tiens. Pas glorieux. Dans quoi s'est-il encore fourré ?

— Tu as tes petits secrets, je vais donc garder les miens, répondit calmement Moor avec un sourire en coin.

 Un bref silence accueillit ce second camouflet. Van Stiers n'avait pas l'habitude de ce genre de traitement et ne l'appréciait guère. Cependant, il jugea que le dossier qu'il avait entre les mains ne valait pas une bataille rangée avec Moor. Il connaissait ses appuis, et si le Commandeur avait approuvé sa mission, mieux valait ne pas se mettre en travers. Pour le moment.

— Envoyé ! lança-t-il avant de couper la communication sans attendre la réponse de Moor.

— Bien, voyons maintenant ce que ce Ris Terkoff a bien pu faire pour mériter toute une vie cryptée par les services de l'Ordre Externe. À qui avons-nous à faire ! s'exclama Moor en s'adressant à Taglione dont le regard était admiratif. Lui qui croyait perdre une demi-journée à tenter de récupérer ce dossier.

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