Chapitre 17 Parfaite

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 La grotte était particulièrement calme. Une ligne de morceaux de cospraw incrustés dans la paroi ouest permettait d'éviter de sombrer dans l'eau noire du lac souterrain qui occupait les trois quarts de l'espace au sol. Ainsi les points lumineux guidaient les pas des rares visiteurs qui brisaient parfois l'épais silence de ce refuge inconnu de tous, jusqu'à une forme oblongue encastrée dans la roche à l'opposé de l'entrée.

 Le supra Tork Johansen s'avançait tranquillement en prenant garde à ne pas glisser sur les pierres plates et humides qui bordaient le lac. Quelques mois auparavant, il avait découvert cet endroit grâce à un concours de circonstance. Enfermé dans une zone de stockage du 17ème sous-sol de la tour, il avait été pris de vertiges. Forcé de s'asseoir dans les plus brefs délais, il avait trouvé un coin à fleur de roche pour se reposer. Devant lui s'étendait des mètres linéaires de bocaux et de récipients en tout genre, contenant échantillons et prélèvements accumulés par le département médical et scientifique de la Doshbat. Ici, était préservée une trace de chaque capolkanien vivant ou mort.

 Une petite lumière vacillante l'avait intrigué. Dans ce lieu très peu éclairé et plutôt froid, cette petite flamme dansante était pour le moins étonnante. Il avait voulu s'en approcher, et c'est en la suivant qu'il avait découvert la faille. Étroite, obscure, à peine visible. Johansen, avec son corps de gamin maigrichon, avait pu s'y faufiler. Au fur et à mesure, le boyau s'était élargi pour finalement déboucher sur la grotte et son trésor : la carcasse d'un vaisseau d'origine terrienne.

 La surprise passée, Johansen avait réussi, non sans difficulté, à pénétrer dans le cockpit, dont les surfaces vitrées avaient été brisées par le choc de l'accident. Marchant sur les débris de métal et de verre, il s'était aventuré à l'arrière de l'engin avec une légère inquiétude. Les vaisseaux n'étaient pas sa spécialité. Cependant, il se souvenait parfaitement des mises en garde lancées par la Doshbat lorsqu'un engin propulsé s'écrasait dans la cité : ne rien toucher, s'éloigner au plus vite ou trouver un abri pour parer à tout risque d'explosion.

 Promenant le faisceau de sa lampe sur l'étrange cargaison du vaisseau, il avait découvert trois caissons de survie. Deux d'entre eux étaient intégrés dans la carlingue, et contenaient les pilotes, le troisième trônait au centre du compartiment arrière, tel un sarcophage de métal.

 Comprenant très vite l'importance de sa découverte, Johansen avait fait travailler des androïdes jour et nuit pour agrandir le boyau d'entrée de la grotte et le sécuriser en lui adjoignant une porte, dont il était le seul à posséder le code. Le vaisseau, quant à lui, avait subi des transformations afin d'accueillir un petit laboratoire.

 C'est là que Tork avait analysé les corps des deux pilotes. Il avait été ravi de constater qu'il s'agissait d'un couple, mais alarmé en observant les traces de multiples blessures, dont certaines leur avaient été fatales. En analysant quelques prélèvements, Tork avait été stupéfait en prenant connaissance des 734 ans affichés sur les instruments.

 Il avait placé les corps, à l'état de momies desséchées, dans des caissons de régénérations, sachant parfaitement que même s'il parvenait à leur rendre une physiologie viable, il ne pourrait jamais les réveiller. Cependant leur ADN, sans un soupçon de Getheimklak, avait une valeur inestimable. Sans compter leurs cellules reproductives qu'il faisait prélever régulièrement.

 Les causes de leur mort lui étaient encore obscures. N'ayant ni le temps, ni le matériel nécessaire dans la grotte pour les découvrir, Johansen s'était intéressé au troisième corps que contenait le vaisseau. Il avait d'abord examiné le caisson vraiment très différent des deux autres.

 Archaïque, voire vétuste, doté d'une alimentation autonome, dont la source d'énergie produisait juste assez pour le maintenir alimenté au minimum, il avait pu préserver une étincelle de vie dans le corps qu'il contenait. Tork avait pu en avoir un aperçu en jetant un œil par l'ouverture vitrée aménagée sur le haut du sarcophage de métal : rabougri, sec, presque à l'état de squelette tant la peau s'était attachée aux os après la disparition des muscles et des graisses. L'étude des prélèvements indiquait un âge avoisinant les 1500 ans, ce qui parut encore plus incroyable que le chiffre approximatif donné pour le couple.

 Vraisemblablement endommagés lors du crash de l'engin, les fichiers concernant l'historique du sarcophage et de son contenu demeuraient illisibles pour Johansen, qui entreprit de transférer le corps dans un caisson de régénération, non sans quelques inquiétudes.

 Le passage du gel bleuté, dans lequel il flottait depuis si longtemps, à la chaleur ouatée du caisson capolkanien endommagea légèrement la peau. L'opération de régénération fut délicate, mais ô combien gratifiante. Bien qu'ayant assisté maintes fois au processus, jamais Tork n'avait ressenti une telle joie à la vue du nouveau corps qui reprenait vie sous ses yeux.

 Il s'agissait d'une jeune fille. Ravissante de surcroît. Johansen avait stoppé le processus de reconstitution avant que les cellules n'atteignent l'âge que le sujet avait atteint lors de son enfermement. Il lui avait ainsi donné un corps de 16 ans, pensant pouvoir l'insérer plus facilement dans la société capolkanienne de cette manière. À cet âge-là, les jeunes filles étaient souvent obligées d'intégrer une nouvelle vie dans un nouveau lieu. Personne ne la remarquerait si elle apparaissait brusquement dans la tour. Et il avait bien l’intention de l’intégrer à la cité en secret.

 Toutefois, bien que parfaitement régénérée, la jeune fille n'avait pas présenté plus d'activité cérébrale que le couple de pilotes. Déçu et un peu frustré, Tork Johansen avait donc décidé d'inclure les deux femmes au projet Kartatia sur lequel il travaillait depuis un moment déjà.

 Falsifiant les données, éloignant le personnel ou remplaçant les équipes, il était parvenu à ses fins sans trop de difficultés. Il avait commencé par cloner la femme-pilote pour obtenir un corps de seize ans. Puis, il avait substitué les corps des sujets 7 et 3 avec ceux de la pilote et de la jeune fille, puis s'était débarrassé des corps originels. De cette manière, il avait pu faire des analyses plus poussées en utilisant un matériel plus sophistiqué que celui de la grotte, sans pour autant éveiller les soupçons.

 Jusqu'à ce qu'elle s'enfuie, Johansen n'avait pas pris la mesure de ce que représentait le sujet n°3. Il n'avait pas réalisé que son esprit s'était réellement éveillé et qu'il fonctionnait parfaitement. L'échec de l'insémination traditionnel avec la cérémonie l'inquiétait moins que la perte irrémédiable d'une matrice aussi réussie.

 Contrairement au Commandeur, qui voyait là un moyen de reconquérir le peuple de Capolkan, Johansen ne croyait pas au projet Katartia qu'il trouvait vain et inutile. Les Élues étaient issues d'ADN prélevés sur des corps morts au moment de l'arrivée des colons sur Tuclander. Avant leur infection par le Getheimklak. Des corps enterrés dans la grande prairie, dont les sépultures avaient été oubliées des capolkaniens, mais pas des ytualanis qui les préservaient jalousement. Comment les kansikers avaient-ils mis la main sur ces ADN ? Johansen n'en avait pas la moindre idée.

 Ce qu'il savait en revanche, c'est qu'ils provenaient tous de cadavres de sexe féminin, et que sans un mâle reproducteur exempt de toute trace de Getheimklak, inséminer des matrices aussi pures soient-elle, ne servait à rien. Bien sûr, il avait en sa possession du sperme non modifié qu'il avait prélevé sur le pilote du vaisseau, mais il ne pouvait l'utiliser pour Katartia sans révéler son petit secret. Et il avait d'autres projets.

 Car, si Johansen n'avait pas pris la précaution d'insérer des puces de localisation sur les sujets du projet, il avait cependant réalisé des prélèvements de cellules reproductives sur chacun d'entre eux, et notamment sur le n°3. Il s'était, cependant, bien gardé d'en parler à qui que ce soit, car il menait une petite expérience dans son laboratoire secret, dont il attendait impatiemment les résultats.

 Il avait tenté avec succès une fécondation entre les cellules du sujet n°3 et celles du pilote. Et depuis quelques heures, le fruit de ces expérimentations montrait des signes vitaux stables.

 Tork se pencha sur un petit container de moins d'un mètre installé dans le vaisseau. La fécondeuse était plongée dans l'obscurité. Néanmoins il pouvait discerner une forme immobile dans l'ombre de ce cocon artificiel. Autour de lui, deux androïdes programmés spécialement par ses soins, surveillaient les paramètres vitaux de l'enfant en devenir. Ce bébé chaque jour plus grand serait la 1ère femme née naturellement vierge de toute dégénérescence due au Getheimklak. Elle n'était ni issue d'un clonage, ni issue d'une régénération comme sa mère.

 Saine de corps et d'esprit, elle pourrait non seulement se reproduire naturellement, et engendrer des enfants qui seraient l'avenir de l'espèce humaine, mais aussi potentiellement occuper une place privilégiée en haut de l'échelle du pouvoir. Elle serait parfaite. Et Tork Johansen serait à ses côtés pour la guider.

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