Ce silence n'avait rien de normal. C'était comme si le monde entier s'était tu. Pourtant, elle le sentait vibrer autour d'elle. Elle se sentait au centre de la toile sans pouvoir intervenir sur le fil.

 Elle se souvenait de l'accident. Vaguement. Il aurait dû s'estomper pour laisser place à des souvenirs plus récents. Or, ça n'était pas le cas. Après l'accident, il n'y avait rien eu, si ce n'est une alternance involontaire et déroutante entre sommeil profond et conscience anophtalme.

 Peut-être n'était-elle qu'un esprit ? Les esprits étaient-ils aveugles et sourds ? Non ? Non ! Ça n'était pas envisageable. Un flux d'énergie ? Elle devait être un flux d'énergie dont la conscience émergeait de temps à autre. Une erreur de connexion !

 Elle aurait aimé secouer la tête, mais elle ne la sentait pas. Pas plus que le reste de son corps. Conscience d'un corps inexistant. Elle avait entendu parler de ces personnes qui avaient perdu un membre et le sentaient encore. Elle ne devait plus être qu'atomes diffus ! C'était sans doute ça la mort. Un état ambivalent entre conscience et inconscience sans sensation, si ce n'est le frémissement de la vie autour de soi. L'éternité allait lui paraître longue.

 Parfois une vibration plus forte lui fait croire qu'elle est encore en vie, juste endormie, et que ce rêve interminable va enfin trouver sa fin. Mais rien de semblable ne se produit. En réalité, rien ne se produit jamais.