Chapitre 9 Prisonnière

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 Enfermée dans une cellule de rétention du secteur 12 sans eau ni nourriture depuis la veille, Prya venait d'apprendre qu'elle ne passerait pas une année auprès du Cercle des femmes de son secteur comme le voulaient la tradition et les lois de Capolkan. Elle allait être directement envoyée auprès de son compagnon. Enfin, pas de celui qui avait été désigné lors de sa Cérémonie de la fécondation. Clare Dipens ne voulait plus entendre parler d'elle. Il préférait ne pas avoir de compagne du tout plutôt qu'une fille « insoumise et irréfléchie ». La Doshbat avait approuvé sa requête, car elle ne manquait pas de candidats.

 On l'avait donc attribuée à un autre homme qui avait accepté de l'accueillir malgré ses antécédents. Un homme du secteur 10. Rien que le secteur était une punition ! Bolder était venu lui annoncer personnellement la décision de la Doshbat. Prya avait vu dans le sourire sadique de son père que son nouveau compagnon serait pire que lui-même. Il y avait veillé personnellement. Pourtant, il n'était pas aussi satisfait qu'il aurait pu l'être. Si on l'avait laissé faire, il l'aurait enfermée dans un bordel sans autre cérémonie. Pour la mater.

 Croupissant seule dans l'obscurité de sa cellule, elle luttait contre le désespoir, contre l'envie de se résigner. Frappant brusquement du plat de la main le banc sur lequel elle avait passé la nuit, elle ravala ses larmes, et se jura de ne pas renoncer. Elle trouverait un moyen. Peu importait lequel. Peu importait le risque et les sanctions. Elle trouverait. Tout plutôt que de subir à jamais le joug d'un homme qu'on lui aurait imposé.

 Prya n'était pourtant pas amoureuse d'un autre homme. Non. Elle refusait juste d'être soumise. Elle aurait préféré être transférée dans le secteur-prison ou même bannie du dôme. Mais sa faute n'avait pas été assez grande, et son père s'en réjouissait. Elle se promit également de faire payer un jour à Bolder. D'une manière ou d'une autre.

 Plongée dans ses noires pensées, Prya ne réalisa pas immédiatement que la porte du couloir donnant sur les cellules s'était ouverte. Une petite lampe laissa jaillir un rayon de lumière. Darius était là. L'éclat de ses cheveux blonds, son visage bienveillant. Pommette droite rouge et gonflée. Prya ne savait pas qu'il avait gagné son droit de visite à coup de poing.

 Le jeune homme semblait gêné dans ce lieu. Il faut dire qu'avec sa taille, il n'y avait pas beaucoup d'endroits qui ne paraissent étriqués.

— Prya ? lança le jeune homme avec hésitation, car dans la pénombre, il la distinguait à peine.

— Mais oui ! C'est moi ! Qui veux-tu que ce soit !

 Un grognement fut la seule réponse du jeune homme à cette interjection. Il ne bougea plus et garda le silence comme tétanisé.

— C'est bon ! Je m'excuse, Darius ! J'ai de quoi être un peu énervée ! Tu vois, c'est pas le grand luxe ici ! Ton bras va mieux à ce que je vois, continua Prya sur la défensive alors que Darius regardait fugitivement le bandage sur son bras gauche en grimaçant un peu.

— Ça peut aller. Si tu m'avais laissé faire...

— Je suppose que tu n'es pas venu pour refaire notre attaque non coordonnée de ce fichu maldek ! Tu veux quoi ? le coupa-t-elle.

 Darius sembla de nouveau gêné, puis prenant son courage à deux mains, il se lança :

— Approche-toi des barreaux. Je t'ai apporté un truc. Un truc qui pourrait te servir, chuchota-t-il en lui glissant un petit paquet dans la main avant de continuer, ne l'ouvre pas ici... tu n'es jamais seule et ça risquerait de t'apporter des ennuis.

— Et à toi aussi, je suppose.

— C'est exact ! lança Darius avant de continuer, l'obtenir n'a pas été facile. Alors ne le perd pas.

 À la forme du paquet dans sa main, Prya devina qu'elle tenait un brouilleur joliment empaqueté dans une feuille de manguier. Stupéfaite, elle fixa le jeune homme.

— Tu … tu l'as eu comment ? chuchota-t-elle.

— Comme si j'allais te le dire ici ! Bécasse ! murmura-t-il sur un ton ironique avec un charmant sourire en coin.

— Bécasse ! Dis-donc Darius Blackwell ! Qu'est-ce que c'est que ces manières ! Tu veux que je me batte avec toi dès ma sortie, ou quoi ?

— Il faudrait déjà que tu t'en sortes vivante ! Et avec ta sale habitude de n'en faire qu'à ta tête, rien n'est moins sûr ! lança-t-il avant de marquer une pause puis de reprendre, si tu parvenais à me rejoindre, déjà. Ce serait pas mal...

— Te rejoindre ?

 Prya était sans voix. Elle n'avait jamais vu Darius autrement que comme un grand frère. Un gars avec qui elle pouvait parler et se chamailler, voire se battre même. Cette camaraderie lui avait permis d'oublier sa condition jusqu'à ce qu'on la lui rappelle avec vigueur ces deux derniers jours.  

 Dans ce contexte, la proposition de Darius était étrange, pleine de sous-entendus. Que cherchait-il à lui faire comprendre ? Voulait-il réellement en faire sa maîtresse comme certains de ces amis avec des filles d'autres secteurs ? Elle ne se voyait pas dans ce rôle. Elle n'était pas amoureuse de Darius ! Ça non ! Et bien qu'il soit un ami, elle ne pouvait pas accepter sa proposition.

 Darius, qui cherchait à savoir ce qui se passait dans la tête de la jeune fille, rencontra son regard courroucé. Il leva aussitôt les bras en signe d'apaisement en s'exclamant :

— Attends avant de déduire n'importe quoi ! Ok ! Je te trouverai une cache sûre. On pourrait se voir en tout bien, tout honneur. Histoire de prendre des nouvelles. Et puis, je pourrais te présenter aux autres... Même si je suis pas sûr qu'ils t'acceptent dans la confrérie...

— La confrérie ? Darius Blackwell, soit tu en as trop dit, soit pas assez !

— J'en ai forcément trop dit avec toi ! la coupa-t-il, ennuyé d'avoir éveillé la curiosité dévorante de la jeune fille.

Ils se fixèrent un bref instant en silence avant que le jeune homme ne reprenne :

— Je te donne rendez-vous dans trois nuits à l'endroit habituel. Ça te laisse un peu de temps pour amadouer ton compagnon et te débrouiller pour sortir en douce sans qu'il s'en aperçoive.

 Sur ces paroles, il sortit sans se retourner. Abasourdie, Prya le regarda partir. Elle réalisa alors qu'il s'était introduit ici sans autorisation. Elle observa le paquet qu'elle tenait encore dans sa main et consciente de ce qu'il représentait, elle s'empressa de le dissimuler sous sa tunique.

 Et bien lui en prit, car quelques minutes après le départ de Darius, la porte s'ouvrit de nouveau. Sentant le brouilleur contre sa peau, Prya espérait qu'on ne venait pas la fouiller. Le primus du secteur 12 était accompagné d'un homme qu'elle ne connaissait pas. Petit, trapu, un œil scrutateur et un crâne lisse et brillant. Il portait la tunique du service de la sécurité intérieure : noir avec une spire rouge.

— C'est elle ? demanda l'inconnu au primus qui acquiesça en silence avant de quitter les lieux.

 Prya n'avait pas quitté le nouveau venu des yeux et envisageait le pire. Mais bravache comme elle était, elle vendrait chèrement sa peau. Elle espérait seulement être assez forte pour ne pas crier sous les coups.

— On m'a dit que tu avais tenté de tuer un maldek seule ? C'est vrai ? commença-t-il d'un ton sec.

— Si on vous l'a dit, c'est que ce doit être vrai, répondit-elle sur le même ton.

 Un bref instant, une lueur d'étonnement traversa le regard de son interlocuteur. Il n'avait pas l'habitude qu'une femme lui parle de cette manière. Et encore moins, une fille de cet âge.

— Sais-tu qui je suis ?

— Non, mais je sais pour qui vous travaillez, n'est-ce pas suffisant ?

— Je suis Aristolus Karpov, l'infra du supra Taglione.

 Prya garda de nouveau le silence. Pourquoi avait-on envoyé un type aussi important pour son transfert ? À moins qu'il ne soit pas là pour cela. Alors pourquoi ? Elle fixa Karpov avec intérêt.

— Si je suis là, c'est pour te faire une proposition. Une d'alternative à ta condamnation en quelque sorte.

— Une alternative à ma condamnation ? répéta-t-elle incrédule.

— Oui. Je ne crois pas que tu sois une insoumise. Tu refuses juste le sort qui est le tien. Je te propose donc une autre voie.

 L'homme semblait la jauger au fur et à mesure de son petit discours.

— Nos services ont besoin d'éléments dans ton genre. Des personnes de caractère, mais suffisamment intelligentes pour comprendre où se trouve leur intérêt. Tu serais chargée de missions. Pour nous.

— Des missions ? Quels genres de missions ?

— Infiltration. Recueillement d'information. Filature.

— Hum, je vois.

 Karpov fixa de nouveau Prya avec intensité. Cette fille était plus coriace que prévu. Il pensait trouver une petite chose tremblante à l'idée de se retrouver avec un type violent dans un secteur réputé très difficile, et au lieu de cela, il avait un redsherpal rétif. Elle n'avait pas peur. Elle fulminait. Il s'empressa de changer de tactique.

— En gros, oui. En contrepartie, tu auras un appartement dans la tour, et certains avantages, notamment celui de ne pas être attribuée à qui que ce soit. Tu auras un statut de privilégiée. Tu seras intouchable. Prya baissa la tête. Elle réfléchissait intensément.

— Ces missions, comment ça se passe ? demanda-t-elle aussi calmement que possible.

 Karpov était coincé. Elle n'avait pas peur et était plus maline qu'il n'y paraissait. Généralement ses victimes étaient trop contentes d'échapper à leur châtiment pour se poser plus de questions. Pas elle. Il allait devoir ruser.

— Pour les filatures, on te donnera des cibles, les contacts et le matériel nécessaire à la transmission sécurisée des données.

— Et pour les infiltrations ?

— Tu le verras en temps voulu ! Acceptes-tu ? lança Karpov d'un ton sec pour couper court à la discussion.

— Et si je refuse ?

— Si tu refuses ? répéta l'infra abasourdi avant de se reprendre et de lâcher d'un ton énervé, tu seras transférée auprès de ton nouveau compagnon dès que possible, et tu subiras le châtiment qui doit être le tien.

 Un silence pesant tomba entre eux. Prya gardait obstinément les yeux baissés. Karpov n'appréciait pas qu'une gamine de 15 ans lui résiste de cette manière.

— Alors je refuse, lâcha Prya d'un ton neutre, mais en fixant de nouveau Karpov.

— Tu refuses ? Tu sais ce qui t'attend dans le secteur 10 ?

— Je le sais, mais je tente ma chance.

— Tu n'es pas aussi intelligente que je le croyais, finalement, riposta Karpov d'un ton tranchant presque déçu.

— Peut-être. Peut-être pas. Qui sait ?

— Là où tu vas, tu vivras un enfer et tu regretteras ta bêtise ! s'exclama Karpov avec un air méprisant.

 Non, définitivement, la recruter aurait été une erreur. Elle faisait bien partie des insoumis, de ceux qui n'avaient pas peur du pouvoir, de ces têtes brûlées prêtes à se battre pour des idéaux surfaits. Il la mettrait sur la liste des sujets à risque dès son transfert effectué.

 Se détournant de la jeune fille sans un mot de plus, il quitta l'étroit couloir. Prya le suivit des yeux avec une certaine appréhension. Mais il ne se passa rien de plus. Juste le chuintement du sas qui se referme et le silence des cellules vides.

 De nouveau seule, Prya souffla enfin. Avait-elle fait le bon choix ? N'aurait-elle pas pu s'enfuir plus facilement en échappant au secteur 10 ? Non, elle le savait. Personne n'échappait au contrôle de la sécurité intérieure. Elle se souvint d'Érik. Érik l'informateur. Celui qui avait une puce de localisation dans l'épaule gauche. Celui qui n'avait pas eu de vie avant de mourir sous les coups de ceux qui l'avaient démasqué. Elle ne pourrait jamais faire ce qu'il faisait : trahir la confiance de ceux qui l'avaient accueilli, les dénoncer. Et puis comment infiltrer un secteur quand on est une jeune fille, sinon en étant attribuée à un homme du cru. Elle serait sans doute passé de bras en bras. Tout ça pour un appartement dans la tour ? Non, décidément, suivre Karpov aurait été le pire des choix.

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