Chapitre 8 Cobaye

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 La cellule d'Alma jouxtait celles des autres cobayes. Le mur latéral qui les séparait étaient en verre, tout comme la porte. Seul le mur du fond était opaque et percé d'une lucarne haute. Le sol noir contrastait avec la blancheur des quelques éléments dont elle disposait : une couchette et une cabine aux parois semi-opaques combinant douche et toilette. Ce qui ne lui laissait que peu d'intimité en somme. Elle avait bien tenté de communiquer avec ses voisines les plus proches, mais en vain. La plupart du temps, les jeunes femmes restaient sans réaction. Et quand elles réagissaient, elles paraissaient plus soumises à quelques courants électriques qu'à une volonté propre de mouvement.

 Alma passait donc son temps, perdue dans la contemplation du carré de ciel qu'elle apercevait par la lucarne de sa cellule. En se calant dans l'un des angles de la pièce, elle pouvait voir les deux soleils descendre sur un horizon qui lui échappait. Elle ne distinguait rien de la cité dans laquelle elle se trouvait. Pourtant, elle avait la conviction d'y être étrangère. Même si sa mémoire ne lui était pas revenue, et que son passé était toujours une nébuleuse laissant échapper parfois un détail sans pour autant révéler l'ensemble de son histoire, elle avait la certitude de n'avoir jamais connu qu'un soleil. Et elle s'accrochait à cette vérité ancrée dans le néant, comme si elle avait été la clé pour faire réapparaître un peu de logique dans sa vie. Dans ces moments-là, tout ce qui l'entourait n'était plus que mascarade et trouverait une explication en accord avec ce qu'elle ressentait, notamment la joie d'être vivante. En attendant que les brumes de son esprit se dissipent, il fallait prendre patience. Garder espoir.

 Pendant plusieurs jours, Alma avait été docile. Elle avait subi des analyses et des prélèvements. On l'avait radiographiée et scannée. Elle s'était contentée d'observer en silence chaque détail de son environnement. Rien ne lui échappait. Il y avait quelque chose dans cette obsédante vigilance qui lui paraissait vital. Car si aucune expérience n'avait été pratiquée sur elle, et qu'elle n'avait subi aucune souffrance inutile, le silence des hommes avec un tatouage bleu sur le front, qui avaient été ses seuls contacts depuis son réveil, lui paraissait suspect. Sans compter l'omniprésence des caméras et leur surveillance assidue.

 Toutefois, contre toute attente, au fil des heures, se préparant au pire sans jamais le voir arriver, elle avait fini par baisser la garde. La situation ne lui paraissait plus si inquiétante, et personne ne semblait lui vouloir de mal. Engranger des informations pour élaborer de possibles plans d'évasion n'avait plus la même importance désormais. Jusqu'à ce matin.

 Quelques heures plus tôt, l'un des infirmiers mutiques lui avait collé une simple pastille sur la tempe. D'abord, rien ne s'était passé. Puis un bourdonnement était né du silence. Un simple bourdonnement qui prenait de l'ampleur, tant et si bien qu'il en était devenu insupportable. Alma avait tenté d’ôter la pastille, mais l'infirmier le lui avait interdit en prononçant deux mots. Deux mots qu'elle avait compris : « pas maintenant ». Et le monde avait changé. D'un côté, elle redoutait un peu ce qu'elle allait apprendre. De l'autre, elle était heureuse de sentir qu'elle pourrait bientôt communiquer si on lui en laissait l'occasion. Elle avait alors abreuvé l'infirmier d'un milliard de questions qu'il s'était contenté d'ignorer royalement, comme si rien n'avait été différent.

 Elle avait trouvé cela injuste. Si on ne voulait pas lui parler, à quoi bon lui permettre de comprendre ? Et ce qui était arrivé ensuite ne l'avait pas plus éclairée. Quelques heures plus tard, la porte du corridor donnant sur les cellules s'était ouverte pour laisser passer une dizaine d'hommes vêtus de la même manière qu'elle, tunique à col droit et pantalon ample, chaussures ou bottes de cuir souple. Cependant si sa propre tenue était immaculée, celles de ses visiteurs arboraient différentes teintes : six étaient gris clair, tandis que les autres étaient noires avec des spires colorées au niveau du torse. Aucun des nouveaux arrivants n'arborait de tatouage sur le front. Elle en avait conclu que jusqu'à présent, elle avait eu à faire à des subalternes, et que ceux qui se tenaient devant elle, devaient être des supérieurs. Ils en avaient le comportement en tout cas.

 Ils se mirent à parler sans se préoccuper des jeunes femmes qui s'étaient agglutinées contre les portes des verres de leur cellule comme attirées par cette modification inattendue de leur routine quotidienne. Alma, seule restait en retrait. Les hommes semblaient satisfaits de quelque chose et complimentaient l'un des leurs. Le plus petit et le moins impressionnant. Puis dans un même mouvement, ils avaient parcouru le couloir s'arrêtant devant chaque porte pour scruter d'un air distrait le visage de la prisonnière qui s'y trouvait.

 Contrairement aux autres jeunes femmes, Alma avait soutenu les regards qui s'étaient posés sur elle sans en accrocher aucun cependant, hormis celui d'un homme qui se tenait en seconde ligne et dont les yeux couleur d'orage contenaient une animosité à peine réprimée. Alma avait senti la colère monter en elle. Elle en avait assez d'être traitée comme si elle n'était qu'un objet. Elle s'était laissée submerger par toute la rage qu'elle réprimait depuis son réveil et avait interpellé le groupe pour obtenir des réponses. La vivacité de son ton et la virulence de ses mots n'eurent pas les résultats escomptés. Quoiqu'elle aurait été incapable de décrire ce à quoi elle s'attendait. Néanmoins lorsque tous les yeux s'étaient tournés vers elle avec, cette fois, un intérêt manifeste, elle avait presque aussitôt regretté d'avoir ouvert la bouche.

 Une discussion animée s'était engagée devant elle, vite arrêtée par un grand type au cheveux blancs dont le visage contrarié ne laissait rien présager de bon. Et ce d'autant plus qu'il semblait lié à celui dont l'hostilité avait déclenché sa colère. À la manière avec laquelle ils s’adressaient l'un à l'autre, elle aurait parié sur cheveux blancs comme chef, et yeux d'orage comme subalterne. Proche subalterne, car elle avait noté un certain respect de part et d'autre. Elle avait alors fixé un regard rempli de mépris et de dégoût sur le sous-fifre pour lui montrer qu'elle n'avait pas peur de lui. Et étrangement ce simple regard avait porté ses fruits. Le type à la carrure de guerrier avait fourragé dans ses cheveux noirs mal disciplinés l'air surpris et avait reculé pour se mettre hors de portée de ses yeux.

 Le groupe s'était ensuite éloigné sans répondre à sa question et l'avait laissé seule avec sa frustration grandissante. Elle avait observé les autres cobayes retourner à leur comportement habituel et brusquement cela l'avait mise hors d'elle. Elle s'était déchaînée sur sa couchette et les parois de la cabine jusqu'à épuisement. Puis elle s'était laissé glisser contre une paroi de verre. Décontenancée. Pourquoi tous ces mystères ? Pourquoi la maintenait-on dans l'ignorance ? Qu'avait-on l'intention de faire d'elle ?

 Alma ignorait que les quelques mots qu'elle avait émis donnaient du poids aux arguments de ceux qui voulaient rendre le projet Katartia public immédiatement en réactivant son côté solennel, notamment en organisant la cérémonie des Bois Sacrés. C'était l'occasion de redonner de l'espoir à la population qui manifestement avait besoin de se focaliser sur un événement majeur. Un événement qui lui permettrait de croire encore en l'avenir de la cité. Capolkan avait besoin d'un objectif fédérateur.

 Taddeus Moor n'était pas de cet avis. Il préférait une maîtrise totale des sujets plutôt qu'une insémination naturelle aléatoire, et la discrétion d'un laboratoire plutôt que le côté ostentatoire d'une cérémonie. D'après lui, le programme ne gagnerait rien à être dévoilé trop tôt. Au contraire. En cas d'échec, les conséquences seraient plus graves et les résultats peu probants, si le dossier n'avait pas été suffisamment mûri. Le Projet Katartia était important à bien des égards, et le risque de le voir échouer pour des raisons purement politiques le mécontentait fortement.

 Moor savait pourtant qu'il devrait se plier aux décisions du Commandeur suprême de la cité : Démétrius Openwall. Toutefois, même si ce dernier aurait le dernier mot, il n'en prendrait pas moins les avis du Haut-conseil. Rien n'empêchait donc Moor d'argumenter pour influencer les six anciens qui présenteraient leur proposition au Commandeur.

 Les anciens Basiléus Dengen et Arash Dongala étaient déjà acquis à son opinion. Moor connaissait Silas Christophorus qui, malgré ses hésitations présentes, se rangerait sans doute derrière Dengen, dont il partageait la plupart des idées. Kaito Tanaka et Jabr Volk seraient plus difficiles à convaincre. Les deux anciens voulaient du spectaculaire pour impressionner le peuple et le faire taire en le détournant de la vindicte grandissante qui semblait se propager. Quant à Ambrose Dashilester, son regard concupiscent posé sur le sujet montrait que la conversation ne l'intéressait aucunement. Comme pour tout, il prendrait sa décision en fonction de ce que lui demanderait le Commandeur, dont il était le plus fervent soutien. Il faudrait donc être persuasif et efficace.

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