Chapitre 1

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 Sans vraiment savoir comment, je me réveillai dans une sorte de sphère transparente, légèrement orangée, qui me portait en lévitation. Elle se dirigeait vers un étrange arbre. Il était grand, haut, très haut. Il possédait de nombreuses branches dont deux se demarquaient, comme mises à part des autres. Elles formaient comme deux longs bras qui semblaient prêts à m’accueillir. J’avais presque l’impression que le tronc possédait deux yeux rouges qui me fixaient dans la calme noirceur de la nuit...

 Soudain, il y eut une forte lumière qui m’éblouit, et je sentis un effet de mouvement, me faisant basculer par un léger à coup vers la droite. Puis la blancheur de l’éblouissement laissa place à un noir profond, dans lequel on distinguait tout de même le bout lumineux d’un tunnel.

 J’avais froid, la bulle était recouverte d’une épaisse buée sur laquelle je dessinais du bout de mon doigt congelé et, de ce fait, peu agile.

 Je levai les yeux. Le Soleil s’était couché et il n’y avait même plus de Lune afin de se retrouver dans la pénombre d’un ciel inexistant.

 Quelque chose d'étrange était ici, avec moi. Je n’en connaissais pas l’origine ni l’identité. Ce pouvait être le Mal. Ou cette interminable noirceur. Ou le lieu où l’on me dirigeait, si jamais il était existant.

 Ou juste le froid.

 Ce fut long, mais j’arrivai enfin dans la lueur que je percevais depuis maintenant un certain temps.  Le blanc de la pièce reflétait une intense lumière venant du plafond. D’abord éblouie, je ne pus rien distinguer. Puis je vis cette femme brune, riant aux éclats dans sa robe rouge sang. Elle ouvrit ses bras en tendant ses paumes de mains vers le ciel pour m’accueillir. Elle me salua :

— Bonjour mademoiselle Devanne, on dirait que tu es enfin arrivée. Je t’attendais.

 Elle tapa délicatement dans ses mains une fois, et la bulle dans laquelle j’avais voyagé me laissa tomber au sol en disparaissant. Venait-elle d’éclater une bulle simplement en frappant des mains ?  Je m’essayai à la tâche pour voir ce qu’il se produirait, hélas même le vent ne se désigna pas. La femme eut un rire arrogant.

— Ah, ah ! si seulement il était aussi simple de sortir d’ici, tu n’y aurais jamais été emmenée et, moi, je ne serais jamais venue au monde. On m’a demandé de garder cet endroit digne de divertir un public des plus stricts. Je suis née et je vis afin de mener à bien ma mission… dans le plus grand des bonheurs ! C’est pourquoi tu n’en sortiras pas ainsi.

 Sa voix était aiguë. Elle parlait vite, beaucoup trop vite. Elle semblait être une personne dynamique et plutôt envahissante. Le genre d’ami que l’on ne souhaite voir qu’un soir par mois.

— Crois-tu que tu deviendras mon amie ? Ah, ah ! Tu n’es pas ici pour te faire ami-ami avec qui que ce soit. Surtout pas moi. Tu n’es pas à la hauteur, même pas à son centième.

 Je tournai les yeux vers elle alors que j’observais les alentours. Je la regardais fixement. Avais-je dit quelque chose sans m’en rendre compte ? J’étais perdue dans mes pensées, j’aurais pu maladroitement m’exprimer à voix haute. Elle rit encore une fois de bon cœur.

— Ne te rabaisse pas ainsi, voyons, tu ne ferais qu’alimenter mon image de toi. J’imagine que ce n’est pas ce que tu veux. Allons, ne vois-tu pas que je ne fais que lire dans tes pensées ?

 Lire dans mes pensées ? Mais je pensais cela impossible. Pourtant, comment aurait-elle pu me répondre sans que je ne dise rien ? Plus j’y pensais, et moins je comprenais ce qui m’arrivait. Tout était bizarre et s’enchaînait sans vraiment de logique.

 On parla derrière moi ; en me tournant, je vis une main, que je n’avais pas sentie, posée sur mon épaule.

— Bonjour Victoire. Veux-tu bien l’excuser ? Elle n’est pas toujours très commode avec les nouveaux arrivants… Permets-moi de me présenter : je suis Céleste. Je vis ici dans le Monde des Âmes Perdues depuis maintenant deux mois, sous l’autorité de notre chère Déesse Taurus ici présente.

 Une déesse ? C’était sûrement pour cela qu’elle pouvait éclater des bulles sans les toucher et lire dans les pensées.

 Si j’avais bien compris, j’étais dans une sorte de monde parallèle. Les Âmes Perdues étaient donc les personnes qui, comme moi, s’étaient retrouvées ici sans raison apparente, sans explication. Nous demeurions des êtres dévêtus de corps physiques, ce qu’on pourrait donc nommer : des âmes.

— Viens donc, je vais te présenter les lieux et t’expliquer les règles de ce Monde, reprit Céleste.

 Il partit devant moi. On passa devant un immense bloc blanc. Ça semblait être de l’ivoire, mais il était étrangement imposant pour être dans un matériaux aussi noble.

— Nous voici devant le podium. Chaque jour, nous devons y monter par cette échelle, expliquait-il en désignant l’objet. C’est ainsi que commence chaque tournoi.

— Qu’est-ce qu’un tournoi ? demandai-je directement.

— C’est une course. En réalité, une course contre la mort. Après avoir grimpé sur le podium, nous devons sauter dans l’arène juste en dessous.

 Je jetai un bref coup d'œil à ma droite. Un parterre de sable se laissait voir à travers des barrières blanches. C’était l’arène.

— Tu devras, une fois à l’intérieur, courir aux côtés de deux autres personnes, continua-t-il. Mais ton adversaire n’est ni l’une ni l’autre d’elles-deux. C’est ce Taureau.

 Il pointa du doigt le Taureau noir qui se trouvait entre les barrières de l’arène. Il était gros et avait deux longues cornes. L’une d’entre elles avait le bout cassé, mais la cassure ne semblait pas récente.  Il me regarda un instant. Je pus apercevoir son regard. Il était noir, semblait plein de haine, et si vide à la fois. Céleste m’expliqua :

— Si cette bête te rattrape dans ta course, tu échoues. Tu deviens poussière. Ton être sera déporté vers la Boîte des Maux et tu ne pourras plus en sortir. Enfin, c’est ce qu’on dit…

 Il s’assura que j’avais bien compris, puis continua :

— Pour retourner d’où tu viens, tu n’as d’autre choix que de te vouer à la volonté de notre déesse. Ton destin n’est plus entre tes mains. Il nous faudra tous ensemble réussir le tournoi. En d’autres mots, si personne ne succombe au Taureau nous retrouverons notre liberté, notre vie. Autrement, le supplice continuera et nous recommencerons le lendemain.

 J’étais déjà déboussolée. Dans cet endroit étrange, ce lieu fermé dont il ne se dégageait qu’une ambiance morose, j’avais l’impression d’avoir perdu mes repères, après avoir perdu ma famille. Ce que venait de m’expliquer Céleste était très angoissant.

 J’étais perdue, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait si ce n’était le chaos. Et c’était sans mentionner l’étrangeté de Taurus, celle qui dirigeait ce monde. Elle semblait si renfermée et à la fois si orgueilleuse. Sa présence se faisait lourdement ressentir. J’avais l’impression d’être épiée, voire manipulée. Et ce même lorsqu’elle n’était pas là.

 Céleste m’accompagna ensuite jusqu’à mon appartement.

 Il était écrit mon nom sur la porte : Victoire Devanne. Tout était très précisément calculé, et c’était ici que j’allais passer les prochains jours — ou plutôt, les prochains mois, voire années.

 Il ouvrit grandement et chaleureusement la porte. Un studio très lumineux, aux couleurs peu variées, apparut devant moi. Du blanc. Du rouge. De l’orange. Je ne voyais que ces trois couleurs. Cependant, elles étaient bien arrangées et je trouvais l’ensemble agréable à regarder. Le lit avait une couette blanche et un drap orange qui était replié au niveau des oreillers. Je voyais certaines plantes çà et là, dans des vases ou des bocaux rouges et blancs. Cherchant une raison à ce choix de décoration, je pensai vulgairement que les plantes nous rappelaient la vie, et leurs pots, la mort. C’était une belle métaphore, malgré son ironie. Fascinée par la beauté du lieu, je lâchai un timide cri de surprise, puis remerciai Céleste de m’y avoir accompagnée.

 Il me fit vaguement visiter l’intérieur, puis décida d’aller dormir en me conseillant de faire de même. D’après lui, il était presque quatre heures du matin.

 Je décidai donc d’aller me coucher. Le lit était confortable. Le matelas : ni trop dur, ni trop moelleux. Les oreillers : assez souples. Tout était parfait dans cette chambre. Je m’y sentais bien et j’en oubliais presque que j’étais dans un monde sanguinaire.

 J’avais les paupières lourdes. Je les sentais se fermer petit à petit, jusqu’à ne voir plus que du noir, puis...

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