Chapitre 2

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 Je me réveillai doucement en remarquant qu’une nuit était déjà passée dans ce nouveau monde. C’était déjà un jour de survécu.

 J’aurais voulu rêver, ou au moins tout oublier, et repartir à zéro. Mais je vis ces murs blancs. Je vis cette chambre, ces plantes… J’avais passé une merveilleuse nuit. Hélas, en me levant, tout me rappela que je n’étais plus chez moi, que je n’avais plus la même vie qu’avant… Si j’avais encore une vie.

 Je partis m’habiller sans même me demander comment. Je n’avais pas pris d’affaire, puisque je n’étais pas censée partir de chez moi. Mais, à ma plus grande surprise, tout mon dressing se trouvait dans les commodes de cet appartement.

 Je choisis rapidement un jean noir et un vieux tee-shirt que m’avait offerts ma sœur lorsqu'elle était encore digne de l’être.

 Ma sœur...

 J’avais rêvé d’elle, pendant la nuit. Elle nous avait quittés trois ans plus tôt, dans un accident de moto. Je pensais pourtant l'avoir oubliée, elle et toutes ses méchancetés de lèche-bottes agaçante. Je pensais qu'elle avait enfin fini de hanter mes cauchemars, mais quelle utopie... Dans ce rêve, comme dans les autres, elle me frappait jusqu'à la souffrance, puis je finis par en mourir.

 Je partais me changer dans la salle de bain avant de sortir de l'appartement, quand une alarme retentit ; je criai paniquée :

— C’est quoi ça ?

 Mais réellement, peu m’importait de savoir ce qu’était cet assourdissant grondement, je sortis instinctivement de mon appartement et me mis à courir, suivant le mouvement de masse qui m’emportait sans même que j’eusse eu le temps de m’y opposer. Celui-ci s’arrêta là où j’avais fait mon arrivée, et sûrement où se fut l’arrivée de toutes les autres personnes dans ce monde. Je compris alors : l’arène. Cette alarme, c’était le signal qu’un tournoi allait commencer ; la déesse intervint.

— ... quatre-vingt-neuf, quatre-vingt-dix, quatre-vingt-onze, quatre-vingt-douze... bien, vous êtes tous là...

 Elle cita le dernier nombre avec un brin d’ironie dans la voix, comme si, au fond d’elle, elle n’en voulait plus un seul. Mais il était évident qu’elle ne le voulait pas qu’en son fond. Elle continua.

— Je crois que vous avez enfin compris que, si vous arriviez en retard, vous seriez transportés dans cette fameuse Boîte des Maux.

 Décidément, il semblait que l’ironie alimentait sans cesse sa manière de parler. C’était agaçant !

— Enfin, peu m’importe, que vous soyez là ou non, vivants ou morts, je m’en tape ! Continuons... veuillez vous rapprocher du podium.

 Malgré tout, elle savait rester sérieuse... elle ne perdait pas une pointe de crédibilité, fidèle à son rôle. Tous s’avancèrent jusqu’au podium, puis y montèrent deux à deux. On crut voir un troupeau d’automates, réglé à asservir la soif de pouvoir d’un chef, au dépend de leur vie. Tous se fichaient de l’importance de celle-ci, et ils répondaient à des ordres, machinalement, indépendamment de toute volonté.

 Soudain, je vis à ma droite Céleste m’approcher et je l’entendis :

— On monte ensemble, si tu veux, je vois que tu es assez angoissée. Sérieux, détends-toi !

— Oui, après tout, on se demande pourquoi j’ai l’impression que je vais mourir, ce n’est pas comme si j’étais là pour ça ! rétorquai-je avec absurdité.

— Oh ! Là, là, madame est susceptible...

 Je ne répondis pas, je préférais marquer la fin de cette discussion et me concentrer sur la course dont le départ était déjà décompté par Taurus...

— ... quatre... trois... deux…

 Elle marqua un arrêt. Un énorme bruit de pistolet retentit. Les deux premiers sautèrent. On commença à se hisser là-haut par des marches étroites et hautes. La course continuait. On pouvait voir des bancs arrangés en gradins en face de l’arène. Y était assis un public, sans doute constitué de nobles. Ça ressemblait fortement à un jeu médiéval, où le peuple se faisait tuer pendant que la cour du roi s’alimentait en joie et en divertissement.

 Les deux dernières personnes avant moi sautèrent. J'étais juste après...

 J’avais la sensation qu’on m’étranglait, mais réellement c’était impossible, je n’avais pas de gorge, je ne respirais même pas... Je devais encore m’habituer à ce nouveau mode de vie, en quelque sorte, tout ce que je pensais comme avant, ce n’était qu’une illusion.

 Je voyais ces si jeunes gens fuir le Taureau, ils criaient, ils courraient après leur vie. Mais, sans doute, elle s’était déjà envolée.

 C’était mon tour : je sautais aux côtés de Céleste, il me criait de courir, le plus vite que je le pouvais, aussi loin que possible, d’imaginer atteindre le Soleil... J’obéis, j’atteignais la barrière si vite que je déboulai sur le sol après être passée par dessus. J’étais fière. Seulement, en me retournant, je vis derrière moi, derrière cette barrière qui symbolisait tout, une lueur qui scintilla brièvement dans la lumière déjà éblouissante de l’immense pièce. Je compris que quelqu’un ne faisait déjà plus partie des nôtres, s’en était allé dans la Boîte des Maux, si impuissant...

 Malgré la scène, je ne pus pas pleurer, je n’éprouvais presque aucun sentiment, aucune émotion... Cette personne, je ne la connaissais pas... Pourtant c’était peut-être elle qui avait causé le prolongement de ce voyage ; si elle n’avait pas perdu à ce jeu, nous serions déjà dehors, dans notre monde, dans notre corps... Mais je voyais tant de jeunes personnes subir le même sort... À chaque fois qu’elles sautaient, à chaque fois qu’elles couraient, elles voyaient leur vie s’envoler. Leur avenir se desceller d’elles-mêmes. Même si, en quelque sorte, nous n’avions déjà plus d’avenir, nous n’avions plus de vie. Ni plus de personnalité, ni plus d’humanité. Nous n’étions que de pauvres... Non, en fait, nous n’étions rien. Poussière.

 Taurus s’avança en haut du podium. Même si nous ne voulions pas la voir, nous la voyions. Elle s’exclama haut et fort :

— Vous êtes géniaux ! Vous êtes forts ! Vous êtes merveilleux ! Vous avez encore réussi à me satisfaire !

 Encore, son ton vaniteux se laissait entendre...

— Maintenant, vous êtes encore moins ; encore moins de petites âmes d’agneaux pour me satisfaire... J’espère que vous ne manquerez pas de me surprendre...

 Elle s’éclipsa.

— Et... maintenant ? Que fait-on ? lançai-je à Céleste. Il ne répondit pas, il regardait ailleurs. Il pensait à autre chose.

— Céleste ? Ça ne va pas ?

 J’avais toujours eu une assez bonne intuition, autant que quand j’étais petite. Je me souviens de cette soirée où mes parents, aussi amoureux qu’ils étaient, étaient partis de la maison sans se soucier de ma soeur et moi. Sans raison. J’ai pensé qu’ils n’allaient pas revenir. Non pas parce que je connaissais leur non-intérêt pour moi – un peu moins en ce qui concernait ma grande sœur –, mais parce que je savais, à ce moment précis, ce qu’il allait se passer. C’était une sorte de don que j’avais. Et en effet, ils n’étaient pas revenus. Ma soeur les avait retrouvés deux jours plus tard, endormis près d’une benne à ordure...

 J’attendais toujours une réponse de Céleste.

— Hum.. euh...

 J’hésitais à lui tirer la manche.

— Céleste ?

— Ne m’parle pas !

 Il cria, au milieu de la foule, il pleurait. Je n’étais même pas vexée de son ton, il y avait quelque chose d’anormal, je compris que quelque chose n’allait réellement pas. Je ne le suivis pas dans sa course, le laisser seul était le meilleur des choix possibles. Je retournai dans ma chambre, mais avant même d’y entrer, le décor changea de couleur.

~

 Il faisait noir, froid. Le lieu me rappelait le couloir par lequel j’étais arrivée. Néanmoins, je n’y voyais aucune issue. Aucune lumière ne se distinguait du noir profond qui m’aveuglait presque. Je n’entendais rien, il n'y avait même pas de courant d’air. Il faisait seulement froid. Je me levai Je me sentais étrangement étourdie, comme si j’étais sous l’effet d’une drogue qui m’aurait endormie quelques minutes... ou quelques heures. Je ne savais pas. Toute cette histoire était de plus en plus mystérieuse... Soudain, une lueur violette se met à voltiger autour de moi. Tiens, elle était violette ? Cela changeait de l’orange si habituel dans ce monde. La lumière semblait me guider ; je me mis à la suivre. C’était comme si elle m’hypnotisait. Je ne pouvais pas lui désobéir.

 Elle me guida jusqu’à un arbre avant de disparaître. La lumière du jour fit son retour. Un arbre se dressa alors devant moi. On aurait dit celui par lequel j’étais passé pour entrer dans le monde des Âmes Perdues.

 Autour de moi se trouvaient des tas de fleurs et de buissons... Quelques petits rochers et de l’herbe fraîche formaient un semblant de chemin.

 Un cri se fit entendre, je sentis quelque chose courir furtivement dans une haie de myrtilliers. Il y avait quelque chose de vivant, juste là.

 J’avançais prudemment, silencieusement, entre les fraises et les myrtilles — ce qui paraissait d’ailleurs étrange, puisque ces deux fruits ne poussaient pas dans un même lieu à la même saison. Plus j’avançais, plus j’avais l’impression d’être suivie. Soudain, je trébuchai. En relevant les yeux, je vis une minuscule boule de poil violette, avec deux petits yeux noirs qui me fixaient innocemment. Mais le décor se plongea de nouveau dans un noir profond, avant de laisser place à une lumière d’une extrême blancheur.

~

 Je… Est-ce que j’avais dormi ? Non… Enfin, je ne savais pas. Tout était si bizarre ! Je pensais pourtant être sur le seuil de la porte, mais je me trouvais dans mon lit, à plusieurs mètres de là. J’étais si perdue. Déboussolée.

 J’avais un peu de mal à respirer, et l’impression d’avoir couru plusieurs kilomètres semblait si réelle. Pourtant je n’avais fait que trois mètres, dans mon subconscient. Je me levai et me dirigeai vers le couloir. Il n’y avait personne. Je toquai à la porte de Céleste, juste en face de mon appartement : personne ne répondit. Je commençai alors à parcourir le couloir afin de trouver quelqu’un, afin d’être sûre que je n’étais pas seule.

 Enfin, quelqu’un se présenta devant moi. Je ne le connaissais pas : c’était un petit brun, il ne dépassait pas le mètre soixante, c'était certain. Il était sûrement très jeune. Son style était un peu gothique, avec des cheveux mi-longs, descendant jusqu’au bas de la nuque et avec une frange sur le front. En les regardant plus intensément, je me demandai si c’était une couleur ou si ce brun était naturel… Quoi qu’il en soit, il semblait chercher quelque chose, mais je n’aurais pas su pas dire quoi. J’essayai de l’interpeller :

— Salut ! Lançai-je avec un grand sourire.

 Pas de réponse.

— Eh, tu pourrais répondre !

 Je m’étais emportée contre mon gré. J’étais dépassée par les événements étranges qui avaient lieu. Il faut dire, beaucoup trop de choses que je pensais impossibles auparavant se produisaient et, pourtant, tout était bien réel.

 Le jeune homme sur lequel j’avais haussé le ton tourna sa tête vers moi et me cria avec un air arrogant :

— Je ne te réponds pas car je n’y trouve aucun intérêt. Je ne te connais pas et toi non plus. Si tu crois être le centre du monde, va voir un peu du côté de l’arène, et regarde bien autour de toi. Poses-toi les bonnes questions, et ensuite reviens me parler.

 Il avait une voix rauque, je le sentais fermé. On ressentait tout son passé dans sa manière de parler. Son lourd passé.

 Mais je préférais réfléchir à ce qu’il venait de me dire plutôt que de m’attarder sur ce détail. L’arène… le Taureau se trouvait là-bas. Il s’y déroulait les tournois, et il y avait des gradins. Nous étions comme les pions d’un jeu. Était-ce ce qu’il voulait dire ? Je ne pouvais qu’aller voir, observer, et me poser les bonnes questions.

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