Chapitre 3

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 Je répétais sa phrase dans ma tête : “Je ne te connais pas et toi non plus”, avait-il dit avant de retourner son regard devant lui et de continuer son chemin.

 Elle était étrangement tournée : il n’avait pas évoqué de réciprocité, non. Il avait juste dit : et toi non plus. “Et moi non plus” quoi, alors ? Aussi étrange que cela pût sembler, je ne pensais pas qu’il voulût dire que je ne le connaissais pas. Non. Il voulait dire que je ne me connaissais pas moi-même. Moi, Victoire Devanne, je n’étais pas qui j’espérais être.

 Je fixais le Taureau depuis une dizaine de minutes. Il était noir. Le regard froid, sombre, vide. Enfermé depuis on ne savait combien de temps, et pour l’éternité sûrement. Comme nous, au final.

 Ce Taureau était plein de haine, cela se voyait. Il obéissait à cette déesse, sûrement contre son gré. Il tuait des enfants pour elle. Il s’en voulait. Il ne pouvait qu'éprouver de la haine envers lui-même. Ne rien pouvoir faire ? Bien sûr, ce n’était pas son cas, il était si fort : il pouvait détruire cette barrière et s'échapper. Pourquoi ne pas le faire ? Maintenant, par exemple.

 Je le fixais toujours pendant que je réfléchissais. Il tourna la tête vers moi lorsque j’évoquai l’idée qu’il puisse s'échapper. Mais il ne bougea pas d’un poil.

 Peut-être était-il sous l’emprise de la Déesse. Une emprise plus forte que lui. Et cela l’empêcherait de briser cette foutue barrière…

 On se fixait. Je réfléchissais. Il avait toujours ce regard froid, sombre et vide. Est-ce que cet animal avait une conscience ? Est-ce qu’il s’en voulait comme je le prétendais ? Impossible de le dire, en réalité. J’avais beaucoup trop d’imagination.

 Je décidai de partir.

Au moment où je me retournai, je vis le garçon que j’avais croisé juste avant. C’était lui qui m’avait dit de venir ici, de me poser les bonnes questions. Ce n’était pas vraiment ce que j’avais fait, je l’avoue. Mon esprit n’avait fait que divaguer sur ce Taureau, et ça n’avait mené à rien. Soit j’étais trop idiote, soit ce Taureau n’avait rien à voir avec ce dont parlait le jeune homme.

 Il s’échappa dès l’instant où il me vit me retourner. Il ne dit rien, ne fit aucun signe. À moins qu’ouvrir un livre d’apprentissage du violon fût un signe, car c’est ce qu’il fit, en partant. Il avait ouvert ce livre et commencé à marcher en lisant — ou en faisant semblant, peut-être. Mais ce n’était pas un signe. Donc il partit, sans rien dire ni faire. Ni sans montrer aucune émotion.

 Je me rassis finalement. Quelles pouvaient bien être les bonnes questions ? Concernaient-elles le Taureau ? La Déesse, Taurus ? Simplement moi-même ?

 “Je ne te connais pas et toi non plus” ; autrement dit, je ne connaissais pas ma vraie identité. S’il disait vrai, si je n’étais pas la Victoire que je pensais. Alors qui est-ce que j’étais ?

 Je vis Céleste arriver près de l’arène. Il semblait pensif. J’hésitais à aller le voir. Il pensait peut-être encore au tournoi. Il fallait dire qu’il était vite parti. Il se tourna vers moi.

  • Encore debout ?

 Il était étrangement froid. Ça contrastait avec la bonne humeur qu’il m’avait laissée voir à mon arrivée.

  • Quelle heure est-il ?

 Il leva la tête vers le haut : il s’y trouvait une immense horloge accrochée au-dessus de l’arène. Elle indiquait vingt-deux heures cinquante.

  • Il y a encore un tournoi demain à neuf heures, tu devrais aller dormir.

 Je me demandais pourquoi il me conseillait d’aller dormir si lui restait debout. Mais je ne voulais pas chercher d'embrouille, alors je partis simplement.

 Le lit était toujours aussi moelleux, toujours aussi confortable. Je n’eus encore une fois aucun mal à m’endormir.

 Je me réveillai machinalement à huit heures. Il était huit heures pile. C’était plutôt étrange de se lever à une heure juste, mais je n’y portai pas plus d’attention que cela, et je partis m’habiller.

 Je me levai pour me préparer. Comme d’habitude : un haut noir, plutôt large, un jean et mes baskets blanches.

 Pendant que je mettais mon tee-shirt, je repensais à la veille : je n’avais rien mangé, et je n’avais pas eu faim. Ni ce matin, d’ailleurs. C’était sûrement dû au fait que je n’avais pas de corps, et donc pas non plus d’organisme.

 Puis, à neuf heures, il y eut de nouveau la même sonnerie. Ce “DING” qui n’en finissait pas. Et la même descente aux enfers débuta.

 Au moment où je passais la porte, les autres élèves se précipitaient déjà vers l’arène. Je les suivis.

 Le mouvement de foule nous mena de nouveau à l’arène. Machinalement. Encore une fois, j’avais cette fâcheuse impression de n’être qu’un automate réglé à obéir aux seuls ordres de sa Déesse.

 Mais je n’étais pas cet automate. Du moins, je ne le voulais pas. Comment pouvait-on prendre autant de plaisir à voir de si jeunes personnes mourir, devant nos yeux, sans rien faire ? J’aurais pu m’opposer à Taurus, évidemment. Mais si je refusais de monter sur ce foutu podium et de courir pour échapper au Taureau, je serais moi-même éliminée, et transportée vers la Boîte des Maux.

 La seule solution restait donc de courir, en espérant que personne ne se fasse rattraper par la bête.

 Hélas, avant même qu’arrive mon tour, plusieurs dizaines d’entre nous avaient déjà disparu. Emportés dans une dernière lueur, scintillant au milieu de la salle déjà illuminée à tel point d’aveugler n’importe qui y pénètrerait.

 À la fin du tournoi, Taurus fit son habituel discours, toujours accompagné de sarcasme et d’orgueil.

 Au moment de retourner vaquer à nos activités - bien qu’elles soient peu nombreuses - Taurus me prit, avec Céleste et l’autre garçon que j’avais croisé la veille, en aparté.

  • À treize heures, sans faute, dans mon bureau.

 Elle explicita ces quelques mots avant de se volatiliser, comme disparue dans la blancheur du lieu.

 Céleste regarda le petit.

  • Tu penses qu’elle nous veut quoi, cette fois, Onur ?
  • Je n’en ai aucune idée, mais ça sent pas bon… Oh, non ! Pas bon du tout !

 Je les fixais, béate. Je ne savais ni pourquoi elle nous voulait dans son bureau, ni ce à quoi m’attendre. Apparemment, ce n’était pas leur cas.

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