Chapitre 6

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 Les villageois commençaient à s’agiter, sentant l’arrivée imminente d’un orage qui ne manquerait pas d’être violent. Les silhouettes couraient devant elle, lui faisant perdre de vue ce jeune homme qu’elle voulait comme héritier. Quelques gouttes, qui devinrent rapidement des torrents d’eau, entrèrent en contact avec sa peau soyeuse alors qu’elle essayait, au milieu de ce fourmillement, de les retrouver.

 Elle plaçait ses bras au-dessus de son visage pour agrandir son champ de vision obstrué par les fortes averses, elle ne voulait, en aucun cas, passer à côté de cette opportunité. Althéïs avait besoin, quelles que soient les circonstances de son départ, d’un héritier pour la boulangerie. Elle se devait de perpétuer son savoir, en hommage à son défunt Harald qui avait pris énormément de son temps pour lui enseigner le métier. Son instinct maternel lui criait que ce jeune homme était celui qui remplacerait la descendance qu'elle n'avait pas eue.

 Après quelques minutes de recherches intenses, ses yeux croisèrent ceux de la grosse dame qui accompagnait le rouquin. Un sourire se logeait sur le visage grassouillet de celle-ci alors qu’elle lui faisait un signe de la main pour qu’elle vienne la rejoindre. Althéïs se hâta et, tout en essayant, tant bien que mal, de protéger sa tunique de la pluie diluvienne, se dirigea vers sa vieille amie qui s'était abritée sous un arbre.

 — Althéïs ! dit-elle dans un enthousiasme communicatif. Je suis heureuse de croiser votre route !

 — J’en suis heureuse également, Gersande.

 La rondelette penchait la tête sur le côté, comme un chien quémandant un peu de nourriture, dévoilant, derrière un large sourire, une rangée de dents irrégulières et toutes de couleurs différentes. Ses joues dodues étaient si imposantes que ses yeux peinaient à s'ouvrir entièrement. Malgré ses formes développées, elle avait un certain charme qui laissait peu d’hommes indifférents. Le rouquin, qui se trouvait à ses côtés, était très certainement le fruit d’un amour passager.

 Gersande était une femme très petite, mais avec un cœur et une générosité immense, ne manquant aucune occasion de venir en aide pour donner une belle image d'elle-même. Elle ne répandait que très rarement le bien par pure bonté, elle attendait toujours quelque chose en retour : un service ou une poignée de sel. C’était ce qui faisait d’elle un être si particulier et si singulier, aucune autre femme n’avait eu le cran de se comporter ainsi, elle imposait le respect et l’admiration de toutes.

 Althéïs la connaissait depuis son plus jeune âge, leurs parents habitaient dans des maisons voisines. Les deux fillettes avaient grandi l’une avec l’autre. Deux sœurs de cœur que la nature avait réuni. Deux petites filles avec un caractère bien trempé et affirmé, qui ne manquaient pas une occasion de se faire remarquer, que ce soit en bien ou en mal. Le plus souvent, on pouvait les observer en train d'aider les vieillards à porter les provisions et à ramasser les plantations. Althéïs se souvenait d'un jour où elles avaient passé plusieurs heures à chercher un poulet, qu'un vieux paysan avait égaré. Épuisées par les longues heures de recherches, elles avaient abandonné avant de se rendre compte que le volatile était revenu à son cabanon.

 Elles avaient été séparées à l'âge adultes, après leurs mariages avec des hommes du village. Les nouvelles responsabilités d'épouse ne leur laissait pas beaucoup de temps pour continuer de se fréquenter. Elles se croisaient plus souvent depuis que la boulangère avait remplacé son défunt époux sur les marchés.

 Le regard insistant et impénétrable du jeune homme sorti la boulangère de ses réflexions, elle le fixa d’un œil inquisiteur. Gersande remarqua rapidement leurs échanges de regards, quelle piètre mère et amie faisait-elle, sa joie lui avait fait oublier la présence du rouquin.

 — Pardonnez mon impolitesse ! s’exclama-t-elle en posant sa main sur l’épaule carrée du garçon. Je vous présente mon fils, Ysangrin.

 — Enchantée, Ysangrin, répondit-elle de sa voix mélodieuse en penchant le buste en avant. Je ne savais pas que vous aviez un fils.

 — Les mystères de la nature, mais, je suis très heureuse du cadeau que le ciel m'a fait en m'envoyant ce petit être dans le ventre.

 — Je suis heureuse pour vous, c'est la première fois que je vous vois ensemble.

 — Oui, d'habitude il préfère la compagnie d'une autre femme, rit Gersande.

 — Va-t-il suivre les pas de votre époux, demanda-t-elle subitement. Il est berger, me semble-t-il ?

 — Je suis là, fit-il remarquer d'un ton condescendant. Si vous avez une question à poser, vous pouvez directement vous adresser à moi. Je pense, tout de même, être le mieux placé pour vous donner des informations sur ma personne.

 Cette réponse laissa Althéïs, quelques instants, sans voix. Le ton qu'il avait employé ressemblait à celui de ses deux cagots qu'elle avait rencontré plus tôt, et il la fusillait du regard. Faisait-il parti de ces hommes qui se pensaient supérieurs aux femmes ? Sa réaction ne rassura pas le moins du monde la boulangère. Comment allait-elle lui faire accepter de devenir son apprenti s’il avait la même vision de la femme que le monde ? Allait-il accepter d’être dirigé par un être si simplet ?

 — Sinon, pour répondre à votre question, commença-t-il, le regard dans le vide. Oui, j’ai bien l’intention de reprendre les affaires de mon père. Je vais me marier, j’ai besoin d’avoir une bonne situation pour promettre un avenir radieux à Céleste, ma bien-aimée.

 Une certaine émotion s'était frayé un chemin au travers de ses paroles, il s'était épris d'un amour profond pour sa promise et voulait lui offrir la plus belle des vie en ayant un métier stable et qui lui permettrait de subvenir à tous ses besoins et envies. Il serait prêt à tout pour elle, jusqu’à sacrifier sa propre vie s’il le fallait. L’amour et la passion se lisaient facilement dans ses iris brillants, il transpirait et ne vivait que pour ça, aimer et être aimé. Ses yeux étaient couverts d’un léger voile humide, les quelques rayons du soleil, qui arrivaient à transpercer la pluie, exposaient les sentiments qu'ils contenaient.

 — Vous serez un époux parfait et dévoué, j'en suis persuadé, dit-elle.

 — Je ne souhaite pas atteindre la perfection, je veux juste que la vie de ma douce ne soit pas plate et morose.

 — Et si je vous proposais un avenir encore plus heureux ? se risqua-t-elle.

 Ysangrin regardait la boulangère en arquant un sourcil, ne comprenant pas où cette inconnue voulait en venir. Il croisait les bras tout en levant le menton, inspectant son interlocutrice, intrigué par ses mots. Il avait déjà un avenir tout tracé à la ferme de ses parents, il ne gagnerait pas énormément, mais assez pour vivre convenablement. La curiosité le titillait et il voulait en savoir plus.

 — Je suis tout ouï, rétorqua-t-il.

 — Devenez mon apprenti, apprenez le métier de boulanger et succédez-moi.

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