Chapitre 1

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 La petite ville de Saint-Florus était située au Sud de l’Auvergne, entourée de vastes prairies dans lesquelles on pouvait voir les animaux paitre. Un environnement paisible et sécurisant. Rien ne semblait pouvoir atteindre ce petit bout de paradis envahi par la nature.

 Pourtant, les rayons du soleil levant dévoilèrent les vestiges du massacre de la nuit dernière. Une armée de barbares vêtus d’une longue tunique d’un noir effrayant avait franchi les frontières et les murs de la ville encore endormie. Ils avaient pillé les huttes des plus pauvres, avaient pénétré dans les demeures des plus riches pour y dérober les plus gros butins.

 Les quelques veilleurs de nuits avaient fait leur possible pour protéger les villageois des bandits. Malheureusement, rien ne semblait leur faire peur et ils s’en étaient pris à toute forme de vie qui se trouvait sur leur passage. Ils avaient égorgé trois des veilleurs et avaient violés les femmes qui avaient eu la mauvaise idée de faire une petite balade nocturne.

 Quelques villageois, qui étaient déjà éveillés, étaient tous affairés à nettoyer la place. Les vestiges du massacre s’éparpillaient sur le sol : des morceaux de bois, des tissus, des récoltes (qui étaient destinée à la vente) avaient été piétinées. Un jeune fermier d’à peine vingt an semblait dévasté lorsqu’il découvrit ses récoltes piétinées et inutilisable. Un long travail laborieux et fatiguant qui était réduit en miette. Une vieille dame épongeait le sang encore frais qui jonchait le sol, les yeux pleins de larmes et de détresse.

 Tous les villageois étaient solidaires et mettaient tout en œuvre pour remettre la place en ordre. Malgré cet évènement traumatisant et inhabituel, la vie devait continuer et les commerçants devaient gagner leur vie pour nourrir leur famille. Même s’ils avaient conscience qu’une chose aussi terrible allait les marquer à vie.

 Au beau milieu de ce tumulte de cri, d'excitation et de remue-ménage, se trouvait une jeune femme d'une bonne trentaine d'années — mais c'est encore jeune, se serait égosillé le doyen des lieux, persuadé que la jeunesse d'aujourd'hui pouvaient facilement atteindre son grand âge.

 Après avoir nettoyé rapidement la planche de bois qui lui servirait à exposer les productions de son beau-père, elle déballa les quelques miches qui n'avaient pas étaient détruites pendant l’attaque. Elle les disposa régulièrement, les unes à la suite des autres, trouvant le meilleur angle pour les rendre les plus appétissantes possible. Sa longue chevelure blonde les frôla. Un nuage de farine vola dans les airs et vint se loger dans les narines de la dame qui éternua. Après s’être rapidement essuyé le nez à l’aide de sa manche, elle arrangea les bords de son tablier et l’épousseta pour donner la meilleure image d’elle-même. L’image de la femme modèle et obéissante.

 Cette jeune femme, aux allures de dame parfaite, s’appelait Althéïs et vivait depuis qu’elle était né dans ce petit bout de paradis. Elle logeait chez son beau-père depuis que son mari, Harald, était mort à la suite d’une maladie qu’ils n’avaient su guérir. Elle avait une silhouette longiligne et élancée, sa longue chevelure d’or épousait les courbes de son dos et retombait sur sa poitrine développée. Ses yeux étaient d’ordinaire pleins de malices et de détermination mais il n’en était rien après les évènements de la veille. Elle se contentait d’appeler les gens à venir acheter du pain, espérant ne décevoir personne.

 Les animaux courraient dans les rues, les enfants les suivaient et essayaient, en vain, de les rattraper. Les bêtes et les humains vivaient dans un parfait équilibre de respect et de paix, même s'il n'était pas improbable de constater un conflit entre ces deux espèces. Dans toute cette agitation, un énorme porc entra en collision avec un habitant. Le gros bonhomme tomba la tête la première sur le sol. Celui-ci, furieux, se releva et poursuivi le porc, criant et jurant à tout-va.

 — Qu'on lui coupe la tête ! s'exclama-t-il en bougeant les bras dans tous les sens. Gargouilleux de porc !

 Les plaintes de ce monsieur arrivèrent rapidement aux oreilles d’Althéïs qui avait observé la scène du coin de l’œil. Un sourire se dessina sur ses fines lèvres rosées alors qu’elle se retenait de rire. Elle devait contenir ses émotions et ne pas commenter la scène. Comment serait-elle perçue si elle se permettait de faire une remarque désobligeante sur un homme ?

 Dans son monde, les femmes n'avaient qu'une infime place dans la société. Le but premier d’une femme était de trouver un mari et de lui fournir une progéniture. Elles étaient toujours sous la responsabilité d'un homme et vivaient à leurs dépens.

 Une des choses les plus difficiles pour elles était de parler de leurs problèmes féminins et génitaux. C’était un sujet tabou qui ne méritait pas qu’on s’y intéresse. Les jeunes filles qui voyaient leur corps changer devaient se débrouiller toute seule.

 À ces souvenirs, elle leva les yeux vers le ciel pour remercier la grande Trotula, qui l’avait beaucoup aidé lors de son passage à l’âge adulte. Trotula de Salerne était une médecienne et chirurgienne qui avait écrit plusieurs livres sur la gynécologie et l’esthétique des femmes. Ses ouvrages avaient pour but d’aider ses consœurs à vivre pleinement leur féminité. Ses ouvrages étaient devenus extrêmement populaires malgré la détermination qu’avaient les hommes à vouloir faire taire son travail.  Ils avaient même réussi à rendre certains de ses ouvrages inaccessibles.

 Althéïs avait eu la chance d’avoir un exemplaire entre ses mains, un vieil ouvrage qui suivait les générations et qui l’avait énormément aidé. Elle l’avait beaucoup consulté et feuilleté. Tout ça dans la plus grande des discrétions. Elle n’osait imaginer la réaction qu’aurait eu son mari s’il l’avait découvert avec un tel ouvrage entre les mains.

 Elle fut mariée à l'âge de douze ans à un jeune villageois qui avait deux ans de plus. Harald était le fils du boulanger du village. Lorsqu’il eut atteint l’âge requis, il avait repris l'affaire de son père, souhaitant perpétuer l'héritage. Ils avaient vécu une relation à sens unique : Harald aimait profondément et éperdument sa femme alors qu’elle n’arrivait pas à éprouver une simple sympathie pour lui. Malgré tout l’amour qu’il avait pour elle, il ne savait pas s’occuper et ménager sa femme. Plusieurs fois il en était venu aux mains sans se rendre compte du mal qu’il faisait. Elle fut libérée de son emprise lorsqu’elle eut atteint vingt-huit ans, lors du décès de son mari.

 Une voix familière sortit la jeune femme de ses pensées et elle revint immédiatement dans le monde des vivants. Ses yeux se levèrent vers la personne qui venait de mettre fin à ses réflexions. Un grand homme au visage aussi rond qu’un ballon et aussi rouge qu’une tomate lui sourirait, dévoilant une belle rangée de dents jaunis et à moitié cassées.

 — Bonjour ma très chère Althéïs, commença-t-il. Comment allez-vous ce matin ? Après tout ce qui s’est abattu sur la ville ?

 — Bonjour, Barthélémy. Merci de vous inquiéter pour moi. Je vais bien, merci. 

 Barthélémy était le consul de la ville et il venait s’assurer que tout allait au mieux après les évènements de la veille. Il sembla immédiatement rassuré et indiqua à Althéïs qu’il voulait une tranche de pain. Elle prit le plus beau qui se trouvait sur son étal et en trancha une part bien généreuse. Les craquements de la croute bien cuite résonnaient sur la place. Il prit le morceau de pain entre ses doigts boudinés et le porta à ses lèvres. Lorsqu'il croqua dedans, un nouveau sourire se dessina sur son visage rond et il la regarda, satisfait et émerveillé.

 — C'est délicieux ! Dit-il en reprenant une bouchée.

 — Merci.

 — Votre beau-père, le vieux Éstève, et son apprenti ne sont pas avec vous ce matin ?

 — Malheureusement non, ils ont eu un problème avec le four cette nuit et ils doivent le réparer avant demain. Sinon les villageois n’auront pas de pain et vous imaginez la catastrophe que ce serait ? Pire que le massacre de la nuit passée.

 Barthélémy rit de bon cœur à la remarque d’Althéïs et finit le bout de pain qu’il lui restait entre ses doigts boudinés.

 — J’entends bien ! Vous êtes donc chargé de la vente ?

 — Oui, ils m’ont laissé ce rôle à contre-cœur mais il fallait qu’ils soient deux et vous savez, une femme n’a pas assez de force pour ce genre de travaux...

 — Les hommes peuvent dire ce qu’ils veulent, vous êtes la femme la plus forte qu’il m’ait été permis de rencontrer. Et je remercie le ciel de vous avoir mis sur ma route !

 Althéïs n'eut pas le temps de remercier Barthélémy pour ces belles paroles. Un jeune garçon, d’une dizaine d’années à peine, venait de faire irruption devant eux. Il semblait essoufflé et se tenait penché en avant, les mains posées sur ses genoux. Son visage était aussi rouge qu’une tomate bien mûre. Depuis combien de temps courrait il pour se retrouver dans un tel état ?

 Barthélémy l’interrogea du regard, impatient de savoir la raison pour laquelle il venait l’interrompre. Le garçon leva les yeux vers le consul et pris une grande inspiration avant d’annoncer la terrible nouvelle.

  — Le reclus est mort !

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