7. Mortelle découverte.

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En début de soirée, l’effervescence est à son comble. Les tables s’alignent, les estrades sont terminées, les costumes sont sortis des housses de protection. Le sommelier de la Station, en compagnie de son homologue navigant ont arrêté leur choix sur un bon vin pétillant : un jéroboam de blanc de blancs (contenance de 5 l) sera précipité sur le navire attaché aux docks… Il est briqué de fond en comble pour la traditionnelle visite des gradés.

Normalement, c’est l’Amirauté qui se charge de cette formalité honorifique. Pour l’occasion, le Général Alvéradis, accompagné du Capitaine et du Stratège ainsi que d’Anubis, feront les honneurs de la visite. Et le Général aura ainsi la chance de le visiter entièrement. Il ne sait rien du nouveau fleuron expérimental de La Flotte. Le Stratège, pour l’heure, court dans tous les sens pour superviser l’avancement des travaux de préparation, tout en apprenant son discours et en pensant à sa tenue. Être une déesse, pour une fois n’a pas que des désavantages.

- Personne n’a vu Anubis ? demande Sébeknefer vaguement inquiète de ne pas l’avoir aperçu de la journée.

- Je l’ai croisé ce matin. Il m’a dit se rendre au temple de Dionysos. Après, je ne sais pas, lui répond le Général Alvéradis.

- Je l’ai vu dans l’arboretum de la Station, affirme Rose Laplume, l'une des responsables de la boutique de fleurs. (Elle s’empresse d’ajouter) Vers midi, mais je ne puis le garantir.

Sébeknefer hausse finalement les épaules. Ne pas l’avoir sur le dos n’est pas plus mal. Elle se promène donc en début de soirée dans le Parc pour retrouver ses esprits et souffler un peu après avoir couru, parcouru en long, en large et en travers leur vaisseau pour vérifier si tout est propre et convenable, après avoir supervisé tous les détails. Ses pas la conduisent au Temple. Puisqu’elle y est, autant aller prendre des nouvelles de son ami. Elle entre dans le temple qui se trouve dans la pénombre. C’est assez inhabituel, le dieu aimant particulièrement la lumière et les rires. Les servants chuchotent. En l’apercevant, ils se figent.

- Non, Princesse, tu ne peux y aller. C’est interdit, pour le moment.

- Quelque chose est arrivé, hein ?

- Oui, Seigneur. C’est terrible. Tu devrais demander l’assistance du Second et de Pema. Ils t’aideront.

Elle se laisse tomber sur une grosse pierre pendant que le réceptionniste appelle Pema au téléphone. Exceptionnellement, elle est autorisée à venir avec le téléporteur. Rien qu’à l’attitude du Stratège, elle comprend que quelque chose a mal tourné. Elle se doute… mais pas à ce point.

Le Second, Lee Chan, arrive au pas de course. Elle a compris aussi qu’une issue fatale est survenue. Elle en ignore les détails. Elles se retrouvent toutes les trois. Sans avoir vu, le Stratège sait et pleure en silence. « Il est parti tout seul » répète-t-elle inlassablement. L’une et l’autre prenne ses mains pour la réconforter. Il faut y aller.

Le corps est installé dans le Saint des Saints, auprès de Dionysos, en marbre polychrome. Le silence est pesant. La pénombre et les ténèbres sont repoussées par de très longs candélabres rappelant des pieds de vignes portant de lourdes grappes. Les cierges piqués dessus, sont dorés et côtelés. Des torches plantées dans leurs socles aux murs éclairent la scène. Divers moines sont agenouillés et prient. Sébeknefer entend un couinement. Le Gardien des Tombeaux pleure lui aussi. Pourquoi ?

Il quitte sa place et reprend forme humaine. Il a la mine sombre et sinistre. Ciel ! Il a pleuré ! Autant que quand la Douce Edwige a fait le grand voyage. La fille comprend soudain que son père était là pour le Capitaine. C’est-il frotté les pattes quand il a su que la fin était imminente ?

- Non, ma fille. Je ne me suis pas réjoui. Il souffrait le martyre. Il te l’a caché pour que tu ne t’inquiètes pas. IL A INSISTé ! Beaucoup. Il m’a supplié de le prendre par la main. Il m’a juré qu’il était prêt. Que ses affaires étaient en ordre. Qu’il ne voulait pas que tu sois présente. Il… il m’a demandé de t’épargner une autre perte. Il sentait que tu t’attachais chaque jour un peu plus. Il a préféré partir AVANT que tu ne souffres une nouvelle fois comme une damnée. Sache seulement qu’il a laissé une lettre, qu’il me laisse juge de te la remettre au bon moment. Et ce n’est pas le lieu.

- Alors, souffle-t-elle doucement, il n’est pas…

- Non, il n’est pas parti seul. Il était serein. Il m’a demandé d’être rapide. Je l’ai vêtu de son bel habit de guerrier.

- Où est son arme ?

- Dans le coffre du Temple. J’ai décidé que le Cousin Mars la conserverait sous clé. Il te la remettra le moment venu. Personne ne veut de bavure. Écoute-moi, c’est important. Il m’a convoqué. Il m’a sommé de le délivrer. Prends sa demande comme un suicide rituel. Mais pas pour son échec. Pour que sa mort, offerte en sacrifice, vous apporte la victoire. Arès m’a dit que c’est ainsi qu’il le prendrait. Il a promis sa coopération pour compenser la perte qui te frappe.

Sébeknefer renifle ; Pema lui offre un mouchoir de fine baptiste. Elle sourit au travers de ses larmes.

- Il ne verra pas l’inauguration, sanglote-telle.

- Mais la victoire aura le dernier mot !

- Lee Chan, elle aura une terrible amertume.

- Les dieux sont exigeants. Il faut obéir. C’est le seul cadavre que nous ayons à déplorer.

- Au fait, Second Lee Chan, fait tranquillement Anubis, voici un document écrit de sa main. L’avant-dernier. L’ultime écrit est pour ma fille. VOUS DEVEZ en prendre connaissance. Maintenant. Sans discuter.

Elle prend l’enveloppe épaisse cachetée à la cire dorée. Ce n’est pas le sceau du Capitaine. Pourtant elle porte son écriture. En tremblant, elle rompt le cachet. La lettre se déplie violemment comme un diable à ressort bondissant de sa boîte. Une plaque de laiton en tombe dans sa paume. Il n’y a rien dessus… Bizarre. À voix haute, entre coupée de hoquets, elle lit, peu assurée.

Le Capitaine donne son salut à son Second Lee Chan.

Lee Chan, quand tu liras cette missive, je serai parvenu au bord du Fleuve Sacré pour grimper dans la Barque Divine et franchir les épreuves. Au bout du long chemin, je trouverai mon Juge et sa Balance Blanche. Je le souhaite clément. J’ai toujours suivi la loi des Ancêtres, j’ai toujours veillé farouchement sur Sébeknefer. Un peu trop peut-être au goût de certains. Elle n’a jamais su que je l’aimais plus qu’un frère.

Je n’étais qu’un petit frère, à ses yeux, à qui elle se confiait, dans ses découragements. Plus souvent que tu ne le crois, Lee Chan, je l’ai remise en selle.

Arès l’a exigé, voilà bien longtemps, alors le temps de l’exécution est venu. À ma mort, c’est toi qui hérites du lourd fardeau de lui prêter ton épaule pour pleurer. Essaie de lui trouver un compagnon digne d’elle. Il ne devra pas supplanter Lewis, seulement lui succéder.

Donc à présent, tu es le Capitaine de l’Indékuzas. Il te reviendra. Tu devras en prendre soin, comme la prunelle de tes yeux.

Ma mort n’est pas un échec. Pense à un sacrifice offert pour obtenir la victoire.

J’ai d’autres choses à dire, mais je suis trop fatigué. Anubis s’impatiente. Je dois écrire encore à sa fille. J’ignore comment adoucir sa peine.

Vale ! Prends soin de toi et de Sébeknefer.

La plaquette, soudain, lui brûle la paume. Elle l’observe. Maintenant est gravé un nom

           Lee Chan,

           Capitaine du vaisseau

Le nom ne figure pas sur la tablette de cuivre, pas plus grande qu’une carte de crédit. Elle ira parfaitement dans son portefeuille entre sa carte d’identité et son permis de voler. Le vaisseau n’est pas encore nommé. C’est pour cela que son nom ne figure pas. Encore une tracasserie des dieux qui sont pointilleux sur la tradition. Leur magie fonctionne mais n’est pas complète sans la cérémonie du nom !

Elle se retrouve aux manettes, sans avoir rien demandé. Comment faire ? Le Capitaine était son modèle. Elle devra l’imiter du mieux qu’elle peut et se souvenir de son enseignement. Elle s’adresse au mort et aux vivants présents :

- Je vous jure que je ne le décevrai pas. Il comptait beaucoup pour moi. J’ai longtemps hésité entre le Penthésilée et le Capitaine. J’ai préféré le seconder… Ai-je eu tort ? J’ai tout appris sur le Penthésilée, mais lui m’a ouvert les yeux sur la responsabilité. Sébeknefer, tu ne regretteras pas d’avoir donné ton accord, une fois mise devant le fait accompli.

- Et maintenant, que fait-on ? demande cette dernière, indécise.

- La terrible nouvelle doit être publiée. Et la fête du Nom sera dédiée au Capitaine. Il refusait son nom puisque le vaisseau n’avait pas de nom. Santander était son nom, capitaine du Dernier Vaisseau de la Flotte. Nous rendrons un suprême hommage au Capitaine Santander quand nous aurons nommé son ultime vaisseau. Une fête que personne n’oubliera de sitôt.

- J’y compte bien, gronde alors Anubis. Je ne vous permettrai jamais de l’oublier. Il me fit confiance jusqu’au bout. Il n’a pas eu peur au moment crucial. Il était courageux dans la bagarre. Je puis vous affirmer qu’il à gagné haut la main son dernier combat. Ce n’était pas un baroud d’honneur. Je suis fier de lui. C’est moi qui parlerai à vos hommes, Capitaine Lee Chan. Ce soir, avant la prière vespérale.

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