Partie 4

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Le soir venu, un pot avec ses collègues fut improvisé pour fêter leurs quatre premiers jours de travail, car les semaines comportaient cinq jours sur Titan et les mois, quinze jours. Les cultures se lançaient bien, les équipes étaient bien organisées. Tout le monde souhaitait relâcher un peu la pression de l’inconnu dans lequel ils s’étaient lancés en s’exilant sur Titan. Myriam n’eut pas d’autre choix que suivre le mouvement. Elle ne voulait pas se couper de la petite population, déjà qu’elle vivait à l’écart, elle n’allait pas aggraver sa distanciation. Tout le monde s’était cotisé et une grande table à boutures avait été libérée pour l’occasion. Les discussions allaient bon train, chacun partageant ses sentiments sur son exil. La jeune femme sirotait un jus de fruit quand son supérieur hiérarchique l’aborda.

— Alors, Myriam, comment ça se passe pour toi ? Tu es très discrète, dans ton genre, quoiqu’efficace. Mais ça va ?

— Merci de ta sollicitude, Martin, je suis juste fatiguée par une insomnie. Je te rassure, je suis ravie du travail que nous accomplissons ici. Le poste me plait beaucoup.

— Une insomnie ? Ma pauvre… C’est vrai qu’il faut s’habituer à ce changement d’environnement radical. Ce n’est pas parce que tu es mal dans ta bulle-quartier, au moins ? On m’a dit que tu étais loin de tout le monde.

— Oui, c’est un choix ! Je te rassure, cela me convient très bien. J’aime ma solitude…

— Tu ne l’auras plus très longtemps ! Une nouvelle fournée de colons débarquera dans les prochains jours, avec l’équipement complémentaire et les semences que nous avons demandé à Alfada Inc.

Une angoisse sourde s’empara de la jeune femme. Comment Geogio allait-il gérer l’afflue de nouvelles personnes dans leur quartier ?

— Oh, très bien. Nous avons besoin du matériel, fut tout ce qu’elle réussit à articuler, replongeant le nez dans son verre pour cacher son trouble.

Par chance, Martin salua de la main une autre personne et s’éloigna après un sourire chaleureux. Il était vraiment très gentil avec tout le monde, c’était un vrai plus de l’avoir comme chef d’équipe. Mais ni à lui ni à personne, elle ne pouvait expliquer qu’elle vivait avec un fantôme.

Lorsqu’elle put raisonnablement rentrer chez elle, elle se précipita. La soirée fut agréable, mais la présence de Georgio lui manquait. Myriam fut soulagée de découvrir la silhouette familière l’attendre près du bac de terre central. Il semblait mettre encore un peu plus de temps avant de disparaître.

— Parce que je sais que tu existes, tu deviens plus tangible ? Comme les légendes sur les dieux antiques terrestres qui n’existaient que parce les humains croyaient en eux ?

La comparaison la fit sourire. Elle prit le temps de s’arrêter pour vérifier si les premières pousses apparaissaient ; l’arrosage par vapeur d’eau semblait insuffisant, il faudrait voir le lendemain comment corriger cela depuis la console générale d’environnement, située sous le dôme. Elle sentit un regard sur elle et passa une mèche de cheveux derrière son oreille avec un petit sourire. Comment pouvait-elle ressentir la séduction qu’un fantôme exerçait sur elle ? C’était un mystère. Mais il est clair que leur lien se renforçait chaque jour.

— Et chaque nuit !

Son sourire s’effaça et elle fronça les sourcils en repensant au cauchemar de la veille. Quelle fin horrible ! Ses parents avaient dû être dévastés. Finalement, la perte des siens semblait tellement plus normale, dans l’ordre naturel des choses. Si son deuil fut douloureux, elle n’osait imaginer celui de monsieur et madame Lake. Mais elle n’allait pas les contacter pour raviver la blessure en leur expliquant que son fantôme allait très bien et que la jeune femme était en train de tomber sous son charme. « C’est ridicule ! » se sermonna-t-elle avant de rentrer chez elle.

Elle s’écroula de sommeil après la soirée dans les serres et la courte nuit précédente. Des rêves doux et tendres l’accompagnèrent durant tout son repos jusqu’au lendemain. Ils se promenaient, main dans la main, dans la ville-base où toutes les plantes étaient déjà hautes et les fleurs épanouies. Par moment, il entourait ses épaules de son bras, lui montrant l’architecture des constructions, à laquelle elle n’avait pas prêté attention jusque là. Ils s’arrêtaient pour s’asseoir sur un banc et elle se blottissait contre son torse, heureuse. Elle sentait les lèvres de Georgio embrasser les boucles épaisses de ses cheveux, alors que sa main blanche contrastait sur la peau foncée du bras de la jeune femme.

Elle se réveilla tranquillement dans la chaleur de ses bras. Les yeux encore fermés, elle profitait de ce jour de congé pour paresser au lit avec lui. Elle sentait son souffle régulier dans sa nuque et soupira d’aise. C’est alors que la réalité s’imposa peu à peu à son esprit. Les sensations s’évanouirent et les larmes lui montèrent aux yeux.

— Juste un fantôme…

Comment accepter cette situation ? Comme allait-elle pouvoir vivre pleinement cet amour naissant alors qu’ils ne partageaient pas le même plan d’existence ? C’était à la fois la plus belle chose qui lui était arrivée dans sa vie et à la fois la plus frustrante.

Jetant les draps au loin, elle s’assit sur son lit et saisit son pad. Que pouvait-elle chercher ? Aucune requête ne répondrait à la question de comment vivre une histoire d’amour avec un esprit. Et il était hors de question pour elle de l’exorciser.

— À moins que… Georgio, mon tendre Georgio, qu’attends-tu de ton état ? De notre relation ? Es-tu immortel et condamné à voir les générations de titaniens se succéder ? Vais-je vieillir alors que tu resteras beau et jeune comme maintenant ? Tu sembles bloqué à ce quartier-bulle, je ne t’ai jamais vu déambuler ailleurs, sauf dans mes rêves. Est-ce que tu attends quelque chose de ma part ?

Elle éclata en sanglots. C’était trop dur émotionnellement. Elle était en train de tomber amoureuse d’un fantôme, mais elle savait que c’était une relation impossible à vivre à long terme. Bien sûr, elle pourrait se contenter de profiter de leur complicité, de sa tendresse et des sensations agréables dans ses rêves. Mais était-ce aussi ce que lui voulait ? Elle ne savait plus que penser. Lâchant son pad sur les draps froissés, elle se leva péniblement pour aller se mettre sous le jet d’eau chaude. Il chasserait ses larmes, mais pas son tourment.

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