Partie 5 (fin)

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Elle profita de son cinqdi pour ranger un peu chez elle, faire du ménage et s’occuper l’esprit avec des séries téléchargées sur sa console. Plus d’une fois, elle sentit la présence et les caresses de son fantôme, dont elle profita pleinement malgré ses doutes du matin au réveil. Après tout, elle n’avait aucune prise sur son état ni sur ses sentiments naissants.

— Oh, Georgio, j’ai appris hier que nous ne serons plus seuls à partir de quatredi prochain : des colons arrivent de la Terre et viennent s’installer, y compris dans notre quartier. Comment vas-tu faire ? Les autres verront-ils ta silhouette comme moi chaque soir que je rentre ?

Bien sûr, Myriam n’attendait aucune réponse. Mais parler à haute voix lui donnait à chaque fois le sentiment qu’il l’écoutait et qu’il comprenait. Les mains plongées dans la terre du petit bac sur la fenêtre de son salon, elle se surprit à sourire. Elle sentait distinctement ses mains à lui se mêler aux siennes et y prenait beaucoup de plaisir. Peut-être qu’elle réfléchissait trop ? Pourquoi ne pas profiter des sensations agréables que Georgio lui procurait sans penser à l’avenir ?

— Je dois avoir un bouquin sur le lâcher-prise qui traîne quelque part dans ma bibliothèque numérique…

Riant à sa propre réplique, elle passa la journée avec plus de légèreté qu’elle ne l’aurait cru. Le soir venu, mettant de la musique dans son appartement, elle invita Georgio à danser un slow avec elle. L’impression du corps contre le sien était fugace, presque imperceptible, mais la jeune femme savait qu’il était bien là.

La nuit fut délicieuse. Était-ce parce qu’elle s’était abandonnée à l’idée de cette situation incongrue ? Toujours est-il qu’elle partageait tendresse et complicité avec lui, plus encore les nuits que les jours. Elle aimait cette impression de se réveiller à ses côtés.

Martin fut ravi de la voir aussi souriante lorsqu’elle arriva pour travailler. Le Undi et les jours suivants furent bien remplis, mais ce que Myriam appréciait par-dessus tout malgré toute l’appréciation qu’elle avait pour son travail, c’était bien sûr ses soirées et ses nuits. Georgio semblait de plus en plus concret et les rêves qu’elle faisait à son sujet lui permettaient de mieux le connaître. Elle ne s’était plus connectée à ses profils sur les réseaux : elle préférait ce qu’elle découvrait de lui dans leurs échanges immatériels. Ses sentiments pour lui s’affirmaient et il lui semblait que c’était réciproque. Ils prenaient la vie au jour le jour, tout simplement.

Mais le soir du troisdi, Myriam fut reprise d’une crise de doutes. Par moment, elle voulait plus que leurs retrouvailles nocturnes. Déambuler dans la ville-base avec lui pour de vrai, entendre son rire autrement que dans ses rêves, voir son regard pétiller quand elle lui racontait des anecdotes sur sa journée, ne plus fixer une assiette désespérément vide et tant d’autres choses encore qui lui rappelait qu’elle était amoureuse d’un fantôme. Succombant à quelques larmes alors qu’elle souhaitait au départ lui cacher son état, elle s’abandonna finalement à sa détresse.

— Je veux ENTENDRE TA VOIX ! C’est dur, tu sais. Tu es là sans être vraiment présent. Nous partageons des choses merveilleuses, bien sûr ! Mais…

Elle n’acheva pas son propos. De toute façon, il ne savait que trop bien toutes ses craintes sur leur relation. Parfois dans ses rêves, il exprimait dans un souffle certains propos : plus souvent pour lui dire ce qu’il ressentait pour elle, plutôt que sur la situation. Parler lui coûtait plus encore que d’apparaître en plein jour. Il était donc avare en paroles et ces dernières ressemblaient la plupart du temps à des murmures. Elle acceptait la situation, car il pouvait bien être muet qu’elle l’aimerait quand même. Sauf que c’était sa condition qui voulait cela, comme il le lui avait expliqué une fois dans son sommeil : « Parler… difficile… effort important. Pardonne-moi… »

Elle avait bien sûr pardonné, acceptant cet état de fait, comme tout le reste.

Se sentant un peu fiévreuse, elle passa au cabinet médical après diner par acquit de conscience. Les procédures d’Alfada Inc étaient très claires là-dessus : il ne fallait prendre aucun risque lorsqu’on vivait si loin de la Terre. L’IA l’ausculta et, confirmant son impression, lui donna un arrêt de travail pour le lendemain. Ce n’était qu’un peu de surmenage et un léger coup de froid. Elle pourrait reprendre la semaine suivante sans problème.

Elle se coucha aussitôt rentrée, rassérénée par le verdict tout autant que par le fait d’avoir marché un peu. Cela lui avait fait du bien. La nuit fut douce et pleine de tendresse, Georgio veillant sur elle comme sur un petit animal blessé. Les rêves de Myriam, cependant, lui donnèrent l’impression qu’il était préoccupé. Plus que par la simple petite poussée de fièvre. Était-ce parce que les nouveaux habitants du quartier arrivaient le lendemain ?


Myriam se réveilla cotonneuse. Elle allait cependant mieux que la veille au soir, c’était déjà ça. Se levant péniblement en s’extirpant des bras de Georgio, elle passa sous la douche pour se rafraîchir. Soulagée d’être en arrêt de travail, elle s’accorda de trainer enroulée dans sa serviette pour prendre son petit-déjeuner. Elle envisageait très sérieusement de retourner se coucher après l’avoir avalé.

— J’ai le droit à ta présence dans mes rêves diurnes aussi ? lança-t-elle à haute voix.

Son humeur était meilleure malgré son état et sa question s’était voulue tentante. En guise de réponse, elle sentit des mains se poser sur ses épaules nues. Elle poussa un soupir de contentement et, après avoir rangé sa vaisselle, retourna s’allonger.

Elle se réveilla plusieurs heures plus tard avec un étrange sentiment de solitude. Plus du tout fiévreuse, elle se redressa et attrapa son pad pour voir l’heure. Le début de l’après-midi était déjà bien entamé. Mais surtout, elle ne sentait plus Georgio avec elle. Ni sur la fin de son sommeil ni dans la pièce. Prise de panique, elle sauta dans ses vêtements et vérifia chaque pièce de son appartement. La même absence se faisait sentir partout où elle allait.

— Georgio ? Où es-tu ? Georgio ?

L’angoisse lui serrait la gorge. Elle s’était tellement habituée à lui que ne plus le sentir était effrayant. Toute la puissance de ce qu’ils partageaient s’imposait violemment à elle, justement à cause de son manque.

Soudain, quelque chose de ténu se manifesta, venant de l’extérieur, et Myriam se précipita vers la fenêtre de son salon. Elle n’eut que le temps d’entrapercevoir la silhouette familière près du bac de terre central, avant que cette dernière ne se rue littéralement sur une personne qui venait d’entrer dans la bulle-quartier. La jeune femme vit très clairement le fantôme foncer puis rentrer dans le corps du nouveau venu, qui chuta lourdement en arrière, comme projeté par l’impact. Elle se précipita dehors aussi vite qu’elle le put.

— Monsieur ? Tout va bien ?

Se relevant en s’époussetant machinalement, il fronça les sourcils avant de lui répondre, pendant qu’elle arrivait à sa hauteur.

— Oui, je crois… C’était très bizarre. Merci.

— Il y a des bancs, si vous voulez…

— Non, non, ça a l’air d’aller. Je me sens juste… Bref, laissez tomber. Vous devez être ma nouvelle voisine ?

— Oui, Myriam ! Enchantée. Et bienvenue. Vous êtes sûr que ça va aller ?

— Je vous assure, merci. Moi c’est Geor… Jérôme. Houla, si je n’arrive plus à articuler mon prénom, c’est que ça doit être plus grave que prévu, finalement !

Il ria à sa propre blague. Mais la jeune femme s’était figée en entendant le lapsus. Elle leva les yeux vers lui avec étonnement. Leurs regards se croisèrent et il lui fit un grand sourire bienveillant. Il ne ressemblait absolument pas à celui qui était mort sur Titan et dont elle connaissant par cœur les traits. Mais elle reconnut, sans aucun doute possible, la lueur qui animait son regard.

C’était lui.

Son fantôme.

Il avait trouvé un moyen.

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