Naissance de la première lune

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Lorsque le monde était encore jeune et que le Soleil avait tous les droits sur le ciel, une jeune nymphe avait vu le jour au sein des profondeurs de deux lacs argentés qui se chevauchaient. Orpheline avant même d’ouvrir ses yeux au monde, elle fut recueillie par un humble pêcheur qui, navigant sur sa barque, fut appelé par les entrailles de l’étendue opaque.

L’enfant, qu’il nomma Priuma, devint petite fille puis une jeune femme, une beauté à la chevelure d’albâtre qu’on vantait aux côtes des lacs et plus loin encore. Un jour son père pêcheur, durant l’un de ses longs silences mélancoliques, lui demanda : « Beauté des eaux, pourquoi te tourmentes-tu, muant tes traits si apaisants en tristesse et chagrin chaque jour que le Soleil se lève ? Ne t’ai-je pas donné tout ce qu’un modeste pêcheur ait à offrir ?

— Arhidal, je me sens incomplète aujourd’hui plus que jamais. Il manque quelque chose à mon existence et cela me tue à petit feu. Je vois l’amour partout autour de moi, je vois l’amour dans les yeux des hommes et des femmes qui me convoitent et pourtant, aucune de leur étincelle n’éveilla un feu en mon foyer.

Le père, peiné de voir la vie et la gaieté quitter son enfant, tentait de la soulager par tous les moyens, mais aucun divertissement qu’il lui offrit ne vint à bout de sa mélancolie et solitude. Arhidal conclut que le mal qui rongeait Priuma était lié à sa nature même.

— As-tu tenté de rejoindre les abysses, cette nuit ?

— Oui, père et on me chassa, une énième fois. Je ne peux en supporter davantage. Ma lumière, ils ne l’acceptent pas. Ils prétendent qu’elle illumine bien trop leur habitat, qu’elle les fait souffrir et agite leurs eaux selon mes humeurs. Je ne puis rejoindre mon peuple, et malgré les tiens, bourdonnant dans mes alentours en essaim, je ne me suis jamais sentie aussi seule.

— Il existe un moyen, annonça Arhidal à contrecœur.

Les pâles iris de son enfant s’égaillèrent d’impatience, l’espoir renaissait en son cœur.

— Lequel ? s’empressa-t-elle de demander.

— Le jour de ta naissance, les deux lacs étaient fort agités et aucun pêcheur n’osa braver l’étendue déchaînée, à l’exception de moi-même.

— Et pourquoi vous ? Un élan de courage dont les autres manquaient ? questionna Priuma, fort intriguée.

— Une créature en haillon, vile et difforme, apparut alors que j’observais les lacs depuis la rive. « Un présent attend de récompenser le plus brave des hommes. Défiez les eaux noires.» Je me souviens encore de son horrible voix sèche et éraillée, comme si s’exprimer à voix haute lui était aussi douloureux que le sel sur une plaie à vif. Cette nuit-là je découvris l’existence des sorcières, des nymphes et d’un monde bien plus complexe que la vision limitée des Hommes et de leur conscience simple de ce qui les entoure. Ils t’ont rejetée, mon enfant, toi qui étais si belle et si lumineuse dans ces profondeurs ténébreuses. Je ne comprenais pas leur langage, mais le geste était éloquent.

— Pourquoi avoir insisté toutes ces années à vouloir me faire revenir à l’eau si vous saviez qu’ils n’avaient jamais voulu de moi ? Peut-être que vous aussi en aviez assez de moi...

— Jamais, tu entends ? Jamais ! Tu es l’unique raison pour laquelle je me lève tous les jours depuis vingt années déjà. Je gardai simplement espoir qu’un jour ils t’accueilleraient enfin en leur sein, que ton existence te pèserait moins et que tu partages notre monde et le leur.

— Cette sorcière, que peut-elle changer à ma solitude ? demanda amèrement Priuma, plus abattue que jamais.

— Elle fait partie de ton monde, cher enfant. Elle a sans doute le pouvoir, ou du moins le savoir qui pourrait te guider jusqu’à tes désirs. Prends ceci, et brise-le en haut de la colline chauve, elle t’apparaîtra. Elle me l’avait donné afin que je le transmette, m’assurant qu’un jour prochain tu aurais besoin de ses talents et je crois que c’est aujourd’hui.

La jeune femme aux cheveux blancs observa avec méfiance et répugnance l’objet que lui tendait son père : des phalanges desséchées, nouées en rond qu’on pouvait confondre avec un coquillage au premier regard. Il s’en dégageait une odeur pestilentielle mais cela n’empêcha Priuma de s’en emparer vivement. Sa pâleur habituelle s’était accentuée tandis qu’elle quittait la hutte du pêcheur, plus déterminée que jamais.

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