Saint-Louis, le mercredi 5 août 2020

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L’après-midi n’en finissait pas d’étirer ses heures dans une touffeur qui engluait les esprits. Cela faisait deux jours que la climatisation était en panne et, bien sûr au pire moment, en plein dans un pic de chaleur. L’activité de ce mois d’août était des plus réduites et Geneviève répugnait à quitter le souffle salvateur du ventilateur posé sur son bureau. En ouvrant la porte, elle constata que la pièce principale était encore plus étouffante. Jean Wolff suait à grosses gouttes sous le simple effort de taper sur son clavier. Il lui adressa un faible salut. Genève sentait son chemisier lui coller au dos. Elle se dirigea vers le planton d’accueil pour lui remettre une circulaire. Tous les bureaux étaient ouverts, cherchant à happer un minimum de courant d’air. Claire Letourneur, la secrétaire, frappait toujours aussi rapidement sur son clavier. Elle semblait insensible à la chaleur. Geneviève salua le jeune homme de faction qui avait déboutonné son col et s’épongeait le front. En l’apercevant, il se redressa, ce qui la fit sourire.

— Tu tiens le coup, Maxime ?

— Oui madame la commandante.

— Maxime ! je t’ai déjà dit que madame était suffisant.

— Entendu madame la…, madame.

— Normalement, on devrait avoir des orages dans la nuit, ça ira mieux demain. Tiens, voici la dernière directive concernant…

Elle fut interrompue par des éclats de voix dans l’entrée. Le brigadier-chef Éric Lefebvre et le gardien de la paix Bruno Zimmermann encadraient avec difficulté un curieux personnage qui gesticulait et ordonnait de le lâcher. Il portait un pantalon en velours et un chandail qui, encore plus étonnant, ne semblaient nullement lui peser. Le singulier équipage stoppa devant Geneviève.

— Ah bonjour commandante, on nous a signalé cet individu qui circulait dans les jardins entre la rue de la concorde et la rue de Paris. Les personnes qui ont appelé nous ont dit qu’il regardait par les fenêtres.

L’état des deux fonctionnaires, ruisselant de sueur, contrastait avec la fraîcheur apparente du « prévenu ». Geneviève dut faire un effort pour réprimer un fou rire.

— Bon, allez en salle 2, là, la clim marche. Voyez ça avec Jean pour l’interrogatoire.

Elle les suivit avant de rejoindre son bureau. Elle se replongea dans le dernier rapport sur l’accueil du public au sein du commissariat. Un audit interne venu d’en haut qui se révélait plutôt favorable pour « son » commissariat par rapport à d’autres, tel Mulhouse. Ceci dit il était certain que l’activité à Saint Louis n’était pas comparable à la grande ville, même si certaines dérives tendaient à la rejoindre comme le trafic de drogues. Elle se demandait s’il n’allait pas se retrouver en sous-effectif à la longue. Des coups à la porte de son bureau la tirèrent de ses réflexions. Jean passa la tête.

— Je peux ?

— Bien sûr, vas-y, explique. Singulier personnage qu’ils ont péché là.

Il s’assit en face.

— Oui, et ce gaillard les a fait courir.

— Qu’est-ce que ça donne alors ?

— Ce n’est pas trop facile de démêler ce qu’il dit, mais il y a quelque chose d’important, enfin, peut-être, quoi.

— Oui, je t’écoute.

— Il assure avoir vu, par une fenêtre de cuisine, un homme poignarder sa femme, ou du moins une femme. Voilà, quoi !

— Rien que ça ?

Elle recula son siège. Il lui fallait raisonner rapidement.

— Il est fiable ?

— Pas vraiment, il ne semble pas jouir de toutes ses facultés comme on dit. C’est un peu un marginal, quoi.

— Bon, pas le choix, faut vérifier. Tu renvoies Bruno et Éric sur place. Mais avant de faire quoi que ce soit, ils m’appellent.

— Bien commandante.

— Merci major, finit-elle avec un clin d’œil.

Il haussa les épaules en souriant. Il n’était pas encore habitué à son nouveau grade. Geneviève ferma son rapport et s’attela à remplir le dossier pour demander que lui soit affecté un gardien de la paix stagiaire. C’était sans doute trop tard à quelques semaines de la rentrée, mais elle était adepte des vieux adages et son préféré était sans doute « qui ne tente rien n’a rien ». Elle avala un, puis deux carrés de chocolat avant de chercher le formulaire adéquat. Elle en était arrivée au point crucial de justifier sa demande lorsque son portable lui fit cadeau d’un intermède bienvenu.

— Oui, alors ?

C’était Éric.

— Eh bien, on voit très bien à travers la fenêtre de la cuisine qui est large et on ne voit rien. Personne à terre et pas de traces apparentes. Pas de désordre non plus. J’ai pu interroger une voisine qui me dit ne rien avoir remarqué et qui semble très surprise par cette histoire. C’est un couple avec deux enfants qui semblent parfaitement tranquille.

— Oui, bon ça on est bien placés pour savoir que ça ne veut rien dire. Bon, restez sur place. Laura vient de rentrer, je vais la mettre là-dessus pour trouver les numéros de portables de ces gens-là et on va essayer de les joindre.

— OK, donc il s’agit de monsieur et madame Gerber Jean-Michel et Estelle.

— Je vous rappelle.

Elle trouva Laura qui rejoignait sa place. Elle salua Geneviève avec un geste las.

— Ça va ? Tiens voici les coordonnées téléphoniques à trouver avec une priorité pour Estelle Gerber.

La recherche ne prit pas beaucoup de temps. Geneviève venait tout juste de rejoindre sa table lorsque Laura l’appela.

— Je l’ai, madame, j’appelle ?

— Non, je vais le faire, vas-y envoie.

Elle composa le numéro. Une voix claire décrocha à la deuxième sonnerie.

— Oui, Gerber.

— Madame Estelle Gerber ?

Elle lui donna son adresse que confirma l’intéressée. Elle lui expliqua avec une certaine distance la raison de son appel et la femme éclata de rire.

— C’est insensé cette histoire, et ce gars nous matait par la fenêtre ?

— Oui tout à fait.

— C’est t’inquiétant quand même.

— Pour l’instant on le garde, on va voir ce qu’on fait avec lui, mais vous pouvez m’expliquer.

— Oui pardon. Eh bien tout simplement nous sommes acteurs de théâtre amateur et on répétait une scène avec mon mari. Non, mais quand j’y repense.

Geneviève du se retenir pour ne pas éclater de rire à son tour.

— Bien, écoutez, je vous remercie. Il y a deux fonctionnaires devant chez vous, je vais les rappeler. Bonne journée, madame.

Ce fut au tour de Jean et de Laura de piquer un bon fou rire.

— Une de plus à rajouter à nos annales et elle est belle celle-là, conclut Laura.

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