Quelques jours avec eux - 05

8 minutes de lecture

Nous préparâmes nos affaires pour nous rendre à la plage. Nous avions trouvé une petite crique du côté de Cavalaire, avec un coin près des rochers qui nous convenait parfaitement. Il nous tardait d’y retourner. La mer m’inquiétait toujours pour les enfants. Ce n’était pas les vagues de l’océan au Portugal. Aucune d’elles n’allait emporter mes garçons pour les emmener dans les abysses. Je gardais ce malaise en moi. Je ne le montrais pas aux enfants. Je me composais un visage plein d’assurance. Je pris avec moi de quoi noter le numéro pour rappeler mon frère et nous quittâmes la maison. Je m’arrêtai à la même cabine que la veille. Il faisait déjà très chaud et pendant que j’entendais la sonnerie à l’autre bout du fil, je laissai les portes ouvertes, histoire de faire rentrer un peu d’air tout en jetant un coup d’œil sur les enfants qui étaient restés dans la voiture, à l’ombre. J’écoutai à nouveau le message de Jean-Philippe et écrivis le numéro de téléphone où je pouvais le joindre ce matin. Je raccrochai et le composai immédiatement. Il ne me restait plus beaucoup d’unités. Il décrocha à la deuxième sonnerie.

- Hey JP, comment tu vas ?

- Pierrot, frérot, comment toi tu vas ? Les vacances se passent bien ?

J’étais vraiment heureux d’entendre sa voix. Il semblait si loin, il y avait un petit décalage entre nos réponses, mais c’était bien mon petit frère que j’entendais.

- Ouais, super ! Il fait beau et chaud. On profite. Je suis avec les garçons, donc c’est parfait !

- J’imagine ! Ils sont en forme eux ?

- Oui, carrément ! Un peu trop, des piles électriques. Ils m’épuisent… mais l’idée de les laisser déjà la semaine prochaine, ça me tue…

- Profitez bien alors ! Bon. J’ai appelé papa hier.

- Oui, il m’a dit. Tu vas rentrer alors ?

- Oui, je prends l’avion dans l’après-midi. Je serai en métropole dans la nuit et je file directement chez papa.

- Tout va bien pour toi ? Tu rentres parce que… ?

- Oui, oui, ne t’inquiète pas. Je rentre parce qu’il est temps. Parce que j’ai fait le tour de moi-même, de mon silence et qu’il faut que j’aille un peu vers les gens. Vers les vivants.

J’entendais tout ce qu’il ne disait pas dans ses mots avec, en leur cœur, la déflagration de la mort de notre mère. Il s’était retrouvé si désemparé, si vide soudainement. Il s’était enfermé dans son propre corps, dans une petite pièce sombre, protégé du monde et il avait tout quitté. Ces dernières années, il avait dû sortir parfois, jeter un coup d’œil à l’extérieur, mettre le nez dehors et il avait dû voir qu’il s’y passait des choses incroyables, que les gens pouvaient lui apporter beaucoup, l’aider à s’en sortir. Il avait peut-être même compris ce que j’avais moi-même beaucoup de mal à saisir aujourd’hui, que c’était sûrement au contact des autres êtres humains, à partager, vivre ensemble des expériences, qu’on réapprenait à vivre à peu près normalement.

- Ok, en tout cas, ça me fait bien plaisir que tu rentres. Dommage que je ne sois pas là pour t’accueillir.

- Pas de problème. Je me suis décidé il y a quelques jours seulement.

Dans la cabine, je suais à grosses gouttes. Les enfants me faisaient des signes derrière les vitres de la voiture. Damien sortit alors et ouvrit la porte à ses frères. Ils restèrent sous l’arbre, à l’ombre mais avec de l’air. J’eus alors une idée.

- Et si tu venais nous rejoindre ?

- Quoi ? Non… Ce sont vos vacances !

- Attends, ce serait super ! Tu passes du temps avec nous, tu reviens doucement avec quelques jours à la plage. Tu profites de tes neveux.

- Je rentre pour repartir, c’est ça ? Et puis papa, qu’est-ce qu’il va dire ?

- Tu vas avoir 36 ans, JP ! T’es libre de faire ce que tu veux. Tu l’as fait pendant quatre ans, tu peux le faire encore une petite semaine.

Il garda le silence. Il semblait réfléchir, pesait le pour et le contre de ma proposition. Je me demandais si je n’avais pas été un peu trop direct. Plus j’y pensais, plus l’inviter à venir nous rejoindre me paraissait une idée géniale. Je le voyais très bien avec nous.

- Bon, tu es sûr que ça ne te dérange pas ?

- C’est moi qui te le propose ! Allez, viens !

- Ok, je peux prendre un train dimanche ou lundi matin. C’est vrai que ça me ferait plaisir de vous voir tous. Surtout que les enfants ont dû bien grandir !

- Ils sont immenses. Par contre, je te préviens, ils bougent, ils crient, ils s’engueulent, ils vivent à fond ! Ça ne va pas être très reposant en fait !

- Oui, j’imagine bien. J’ai passé assez de temps dans un silence total. Un peu de bruit ne me fera pas de mal.

- Et, j’y pense tout d’un coup, il n’y pas de lit supplémentaire.

- J’apporterai mon lit de camp. Il est presque devenu confortable à force.

- Comment tu vas faire pour me prévenir de ton arrivée ? On viendra te chercher à la gare.

- Non, ne t’embête pas. Fais ta vie avec les enfants. Donne-moi juste l’adresse et je me débrouille. Je serai là lundi.

- Tu es sûr ? Ça ne me dérange pas de venir te chercher, au contraire.

- Non, non, c’est bon. Merci pour ton invitation. Tu as raison, c’est une bonne idée.

Il ne restait que très peu d’unités. La communication allait couper d’un instant à l’autre. Je lui dictai l’adresse de notre maison de vacances. Je ne savais pas par quelle gare il allait arriver, ni à quelle heure.

- JP, ça va bientôt couper. À lundi alors, c’est bon pour toi ?

- Oui, à lundi.

- Bon vol. Embrasse papa pour moi.

- Pas de soucis.

La communication se coupa toute seule à cet instant. Nous n’étions pas au milieu d’une phrase. Nous avions réussi à nous dire l’essentiel.

Je rejoignis les enfants qui montèrent dans la voiture.

- Bah c’est pas trop tôt ! râla Gabriel.

- Tonton va bien ? me demanda Damien.

J’attendis qu’ils aient bien tous attachés leur ceinture pour démarrer et m’engager sur la route en direction de Cavalaire-sur-Mer.

- Oui, il va bien. Il rentre ce soir et sera chez pépé demain matin. Et aussi, je lui ai proposé de passer quelques jours avec nous cette semaine.

La nouvelle reçut un accueil mitigé. Je ne m’attendais pas à une explosion de joie mais au moins à un accueil enthousiaste.

- Et il a accepté ? interrogea Damien.

- Oui. Il est super content à l’idée de passer du temps avec vous. Je crois qu’il a besoin de renouer un peu avec sa famille.

- Cool, commenta Gabriel. Et il va dormir où ?

- Il apporte son lit de camp. Il s’installera à côté de vous en bas. Tu sais, ce n’est pas un problème pour lui, il s’adapte.

- Et comment on va faire avec Damien pour notre histoire ? On ne pourra pas continuer ! Je veux connaitre la fin de Jack à la hache.

Gabriel avait une voix vraiment inquiète. Son histoire du soir était devenue sacrée. Damien l’avait enjolivée au fil des jours. Il pensait à des idées, les notait sur un carnet et les réutilisait la nuit pour intégrer des rebondissements et de nouveaux personnages.

- J’ai bientôt terminé, je pense, ajouta Damien. Et puis, si ça trouve Tonton aura lui aussi des histoires à nous raconter, des trucs qu’il a vécus quand il était en Afrique par exemple, des aventures avec des animaux peut-être.

- Avec des guépards ? ou des éléphants ? demanda Thomas.

- Oui, peut-être, répondit Damien en se tournant vers lui.

- En tout cas, il arrive lundi. On lui montrera notre plage et on lui offrira une bonne glace sur le port.

Quelques minutes plus tard, je me garai dans Cavalaire. Avant de sortir de la voiture, je vis dans le rétro le visage de Thomas. Il semblait vouloir dire quelque chose et hésitait. Il croisa mon regard. Cela sembla lui donner un peu de courage.

- Mais au fait, c’est qui Tonton ?

Je baissai les yeux pendant que Damien et Gabriel ricanaient discrètement.

- C’est mon petit frère, mon grand. Tu sais Tonton JP.

- Oui, je sais que c’est ton frère mais je ne me souviens plus de lui, de son visage je veux dire.

- Il est parti il y a longtemps, précisa Damien.

- Tu vas sûrement le reconnaître quand tu le verras. Il arrive lundi. Allez, les enfants, on va se baigner ?

Je n’étais pas sûr que Thomas parvienne à le reconnaitre. La dernière fois qu’il l’avait vu c’était il y a quatre ans. C’était la parfaite occasion pour se retrouver, renouer des liens ou en créer de nouveaux.

Le lundi arriva très vite. Damien avait en effet réussi à terminer son histoire. Il s’attelait désormais à essayer de l’écrire mais il ne retrouvait pas exactement les mêmes impressions que lors de son récit à voix haute, dans la nuit moite, allongé dans le lit, détendu. Il buttait sur les mots, sur les expressions, sur la langue française en général. Et son petit frère, qui avait eu le fin mot de l’histoire, n’était pas vraiment intéressé par le fait de la mettre sur le papier. Damien était tout seul avec ses phrases qui ne s’arrangeaient pas exactement comme il le voulait. Il reprenait parfois le roman qu’il était en train de lire, Charlie de Stephen King, pour découvrir un secret, une clé, mais le miracle ne venait pas.

J’avais rangé un peu la maison avant l’arrivée de Jean-Philippe. En une semaine, nous avions pris nos aises, laissant des vêtements et des jouets un peu partout. Mon frère était un solitaire. Se retrouver au milieu de nous, avec mes trois sauvages pour compagnons et moi, pas totalement au fond du trou mais presque, je n’étais plus très sûr que cela fut une si bonne idée. Les garçons m’aidèrent un peu mais en faisant la tronche. Ce rangement sonnait déjà, en avance, la fin des vacances.

Dimanche matin, j’avais racheté une carte téléphonique, de nouvelles cartes postales pour les enfants et fait quelques courses en prévision de l’arrivée de mon petit frère. Il ne mangeait pas beaucoup mais il nous fallait tout de même quelques produits frais.

Dans la journée, j’avais appelé mon père. JP était bien arrivé et se reposait dans sa chambre. Il semblait m’en vouloir un peu de lui enlever si vite son fils mais ne me dit rien. Je ne réussis pas à en savoir davantage sur la gare ou les horaires d’arrivées de Jean-Philippe. Il allait sûrement avoir pour terminus Toulon et se débrouiller avec un bus ou un taxi pour venir nous rejoindre. Je n’avais pas à m’inquiéter.

- Il est parvenu à retrouver son chemin au fin fond de la brousse ou de la jungle ou je ne sais quoi encore, quand il était au Burkina-Faso, il va y arriver, me fit remarquer mon père.

J’acquiesçai. Il n’avait pas tort pour une fois. Je raccrochai en lui demandant de bien rappeler à JP que la maison était sur les hauteurs reculées du Lavandou, en allant vers Cavalaire.

Nous étions donc ce lundi dans l’attente de son arrivée. Je n’osais pas sortir de peur de le rater. Les enfants réussirent quand même à me convaincre. Le trajet était long depuis Paris. Nous avions sûrement le temps de retourner à la plage.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Romain Marchais ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0