Qingdao

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Mon premier grand voyage à l’intérieur des terres chinoises fut également le plus intense. Pourtant, Qingdao ne présageait rien d’insurmontable. Durant le mois qui suivit la rentrée, nos passeports avaient été laissés à l’administration dans l’attente de notre titre de séjour. Pour faire office de visa, le bureau nous avait refilé une feuille A4, à peine complète, censée être acceptée par les hôtels.

Plutôt serein, le séjour s’annonçait pour le mieux. Face à face, les deux sœurs ennemies, Dalian et Qingdao, possédaient toutes les deux des ports dynamiques semblables et un accent charmant. À peine une heure de trajet en avion (même pas le temps d’une petite sieste) et nous voilà à la recherche de notre nid douillet.

Manque de bol, Na avait tout réservé avec son téléphone et ce dernier n’avait plus de batterie. Bien entendu, aucun d’entre nous n’avait mémorisé le nom du bâtiment (des sinogrammes à coucher dehors pour un novice comme moi, à cette époque). Nous errâmes donc dans les rues, valises à la main, en quête d’une issue de secours. Les allées étaient bondées (fête nationale oblige, chacun rentrait chez soi, aussi tous les natifs de la région retrouvaient le bercail). Nous arpentions les marchés divers, sorte de souk, à l’exception près que les commerçants ne vous harcelaient pas et respectaient votre périmètre de sécurité. Une galette aux pommes de terre plus tard, toujours pas de toit pour la nuit.

Grâce au téléphone de Ryu, Na réussit à dégoter une adresse proche de nous. Mais la gérante de l’accueil souhaitait vérifier nos passeports et nos titres de séjour. Nous lui présentâmes nos bouts de papier et celle-ci s’esclaffa :

— Ça ne fonctionne pas ici.

— Mais l’université nous a donné ça en attendant de récupérer nos titres, rétorqua Na.

— Désolé, c’est le passeport, ou rien.

Merci la rigidité chinoise. Impossible de la faire flancher, un vrai mur de béton. Résignés, nous affrontâmes à nouveau la rudesse des pavés. La douleur de mes muscles m’attira au sol, j’avais l’impression de trainer une valise cabine de quinze tonnes.

Quelques minutes suffirent à Na pour dénicher un autre coin. Cependant, le quartier ne nous inspira guère. Au fin fond d’une ruelle étroite, abrité sous un néon rose, l’édifice sonnait comme un repaire du Parrain qui aurait confondu ses spaghettis avec des nouilles.

La porte poussée, une vieille dame nous accueillit, quatre-vingt-dix ans bien entamés, et nous offrit la dernière chambre de libre, pour une poignée de yuans chacun. En y pénétrant, je compris mieux le prix : à peine de quoi respirer, et surtout, un lit unique trônait en plein milieu.

Ce fut la première fois que je testais le sommeil horizontal, seul moyen pour nous trois de tenir sur les draps (évidemment, personne n’avait tenté dessous). À l’approche de la nuit, la véritable nature du lieu se dévoilait. Des secousses répétées mêlées aux cris de femmes brisaient la tapisserie qui nous entourait, nous permettant un accès Haute Définition Dolby Surround aux va-et-vient des chambres voisines.

De plus, les toilettes, au bout d’un long couloir rempli de portes, étaient communes. L’urine matinale aux côtés de ces couples d’un soir ne m’avait jamais fourni autant de malaise que ce jour-là.

Quittée avec hâte mais non moins remerciée, la vieille dame nous indiqua de « repasser » quand on voulait. Sourires gênés dans les deux camps.

Son portable rechargé, Na nous conduisit à l’hôtel réservé, avec l’impossibilité, bien entendu, de nous rembourser cette première nuit. Une fois à l’étage, la délivrance : trois lits simples séparés d’un espace vital, une vue magistrale sur le centre-ville et une salle de bain aussi grande que la chambre de fortune de la nuit précédente. Le voyage démarrait enfin. À quelques détails près.

Quand on parle de bière en Chine, il s’agit de TsingTao. Tsingtao est l’écriture alternative de Qingdao, « l’île verdoyante ». La raison est simple : durant les guerres d’opium au XIXème siècle, les Européens occupèrent une partie de la Chine. C’est pour cela qu’il existe des concessions françaises à Shanghai (et que ces bâtiments ressemblent étrangement aux pavillons de Seine Saint-Denis de mon enfance).

Les Allemands s’installèrent à Qingdao. Ils y amenèrent leur savoir-faire et leur architecture. Les édifices de certains quartiers, telle que la cathédrale Saint Michael, témoignent de cet héritage catholique et germanique. Ses immenses côtes, hôtesses des épreuves aquatiques des Jeux Olympiques de Pékin en 2008, abritent un joyau admiré de tous : le musée de la bière. Celui-ci décrit l’évolution de la ville depuis l’arrivée des Allemands et la progression de la marque éponyme. Clou du spectacle, une dégustation du grand cru brassé sur place, dont la saveur est incomparable à ces litres de bouteilles insipides servies dans le reste du pays.

Deux autres incidents perturbèrent cet idyllique séjour, et je ne suis étranger à aucun des deux.

Le premier se déroula à la suite d’un poulet rôti bien conséquent. Mes intestins sont assez fragiles et capricieux, couplés à une tuyauterie chinoise trop étroite pour supporter le fruit de la nature. Malgré plusieurs essais avec une bouteille d’eau vide en guise de ventouse, aucun succès.

Le technicien nous accorda un coup d’œil dédaigneux après avoir contemplé notre chantier, mais nous régla le problème en quelques secondes. Ma gêne fut double quand je songeai que je ne connaissais Na et Ryu que depuis un mois, qu’ils m’avaient accueilli dans leur chambre et accompagné jusqu’ici.

Le second problème n’était qu’un moindre mal, et clôt parfaitement ce voyage démarré en trombe. Tout allait bien sur le chemin du retour, chacun retrouva son dortoir. Puis, au moment de défaire ma valise, un détail m’alerta : l’un de mes pantalons était resté sur le tapis de la chambre d’hôtel.

L’employé en charge du ménage ce jour-là dut sauter de joie. Un jean gratuit.

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