Partie I

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C'était trop beau.


Comme l'arc en ciel pointé du doigt par des enfants qui tirent la manche de maman, en s'écriant tout heureux : « Regarde, y'a plein de couleurs dans le ciel ! ».

Comme l'éclair illumine la nuit, traçant dans l'obscurité une zébrure particulièrement difficile à capter.

Comme le coucher de soleil disparaît derrière l'horizon orangé, et se noie dans l'océan.

Comme l'alchimie se produit, unissant une âme à une autre lors d'un regard échangé, une première impression, qui dit tout et rien aussi. Un mystère que l'on meurt d'envie de percer à jour.

Le coup de foudre. Braoum !

C'est exactement de cette manière que le sentiment s'imposa dans la poitrine d'une célibataire, un jour de printemps pluvieux qui ne laissait pas imaginer la rencontre qu'elle allait faire. Comme dans un de ces films à l'eau de rose que tout le monde déteste, la jeune femme sut d'un regard qu'il était l'homme de sa vie.

Il lui servit le café qu'elle avait commandé, il lui sourit, elle le lui rendit.

Ce fut le début d'une belle histoire.

Ils discutèrent banalités : le temps n'était pas à leur goût.

Ils échangèrent leurs prénoms : Aurore et Newt.

Ils parlèrent de leur parcours de vie : elle était fille unique, il avait un frère.

Ils dialoguèrent de leurs motivations : elle travaillait à temps plein dans une petite entreprise de téléphonie mobile, il avait décroché un petit boulot dans ce café pour financer ses études de chirurgie.

Ils ne se ressemblaient pas, mais il n'y avait pas besoin de cela pour que l'alchimie opère.


C'était trop beau.


Ils se promenaient main dans la main, souriants. Ils étaient heureux, personne ne pouvait en douter. Un petit couple modèle, admiré et jalousé. Des amoureux dans la fleur de l'âge : deux adultes qui ne se prennent pas encore vraiment au sérieux, deux adolescents qui profitent de chaque instant, et deux enfants qui rient à gorge déployée en public.

Bien sûr il y avait des hauts et des bas, mais cela les rapprochait davantage à chaque réconciliation.

Il venait d'obtenir son diplôme, après des années d'acharnement. Il était fier, et le méritait cent fois. Il allait sauver des vies, ce qu'il désirait plus que tout au monde. Près de lui elle se sentait minable, mais l'amour triomphe de tout, les sourires de Newt l'éblouissaient et lui faisaient oublier ses appréhensions.

Ils étaient allés au restaurant pour fêter la nouvelle, ils avaient bu quelques verres, s'étaient laissés doucement gagner par l'euphorie du moment.

Ils avaient pris un taxi pour rentrer à la maison, et finir cette splendide journée par un feu d'artifices. Haut en couleurs, bruyant.

Les années avaient passé depuis cette rencontre hasardeuse et chanceuse à la fois, véritable coup du destin. Se revoir, timides comme des adolescents à leur premier rendez-vous, les faisait immanquablement sourire.


C'était trop beau.


Ils se vouaient une confiance sans faille. Il lui accordait tout. Rien n'était dans ses moyens qu'il ne put lui offrir. D'un simple baiser à un voyage, il était prêt à tout pour elle. Malgré cela s'il y avait une chose que leur entourage commun passait son temps à lui reprocher, c'était sa passion à se mettre inutilement en danger. Il rentrait souvent à la maison couvert de bleus, le visage tuméfié. La boxe est un bon défouloir, celui d'en face pense la même chose, disait-il.

Un soir, en l'honneur de son anniversaire, Aurore avait décidé de lui faire une surprise en l'emmenant passer une bonne soirée. Leurs deux familles étaient subjuguées par la force de leur relation qui vieillissait tout en s'intensifiant. De plus, Newt s'était récemment violemment disputé avec son frère, et cette sortie allait lui permettre de se vider la tête et se changer les idées. Ils avaient donc pris la voiture, avec un léger retard par rapport à ce qui était initialement prévu.


C'était beaucoup trop beau.

Freinage brusque.

J'ai l'impression de tomber. C'est une chute sans fin. Nom de Dieu comment je peux survivre à ça, c'est pas possible.

Crissements de pneus.

Le téléphone me saute au visage une fraction de seconde, remontant la pente que je suis en train de descendre. Je la revois, qui hurle, qui prend rageusement son portable, et je tombe.

Impact violent.

J'essaie de la calmer, mais rien. C'est pas la peine, je pourrai pas. Sortez-moi de là bon sang, je veux que ça s'arrête. Je tombe plus vite, plus fort, dans ce terrier sans fond. Je m'en sortirai pas, et elle non plus.

Des tonneaux.

On va y rester, comme ça, horriblement. Je veux l'aider, mais je peux pas. Je ne la vois plus, je suis trop loin d'elle. Je tombe encore, mais je sens que je lâche prise. Je regarde autour de moi, mais c'est vide. Elle n'est plus là.

Le silence. Deux corps inertes. Les sirènes.

Je n'ai pas pu la sauver.

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