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Je monte dans ma chambre sans dire un mot et claque la porte aussi fort que je peux sur mon passage. Je sais que cela est inutile mais j'ai besoin de faire sortir toute cette colère et cette frustration qui bouillonne en moi.
J'entends des coups discrets frappés à ma porte, puis je l'entends s'entre ouvrir. Seuls maman et Georges prennent cette liberté et je doute que le second soit d'humeur à venir discuter.
- Madeleine...? Est ce que ça va?
Je préfère ne pas répondre.
- Il ne faut pas que la conduite de Georges t'affecte autant. Il a tellement souffert, il ne sait plus vraiment ce qu'il dit ni qui il est. Il n'est pas fâché contre toi mais contre le monde entier. Ce n'est pas personnel.
- Je comprends maintenant ce que tu essayait de me dire... Mais il y a juste une chose que je n'avais pas compris: c'est que mon frère était bien mort à la guerre.
- Non non non, il faut juste que tu lui accorde un peu de temps, je suis sur que tout rentrera dans l'ordre tu verras.
Je l'écoute mais je ne l'entends pas vraiment. Je n'ai qu'une envie c'est qu'elle s'en aille, qu'on me laisse seule à cuver ma peine.

Je sors en prenant grand soin de ne pas croiser Georges, mais c'est une fois de plus sur ma mère que je tombe.
- Madeleine, on a un problème, le Commandant ayant réquisitionné la chambre de ton frère nous n'avons nul part ou le faire dormir...
Je comprends ou elle veut en venir et cela ne me fâche pas. Georges mérite au moins ça.
- Ne t'inquiète pas je vais lui laisser ma chambre.
- Mais ou comptes-tu dormir?
Je hausse les épaules.
- Je vais me débrouiller ne t'en fais pas.
- C'est gentil Madeleine.
Nous restons là, sans savoir quoi nous dire. Je me demande depuis combien de temps le dialogue à été rompu avec ma mère. Je me souviens d'une époque où nous bavardions de tout et de rien. Mais les choses ont changés, la guerre, l'installation des Allemands, la mort de papa. Nous ne retrouverons jamais la vie normal d'avant la guerre, c'est impossible.
- Je...Je dois y aller.
- Oui vas-y.
Je crois qu'elle est aussi soulagée que moi à l'idée de mettre fin à ce long silence.

A peine en ai-je terminé avec les volailles qu'une petite pose s'impose. Je m'asseois sur un seau retourné, les coudes sur les genoux, le menton dans les paumes. Je penses sans cesse à Georges, à comment me comporter avec lui.
- À quoi tu penses?
Je sursaute au son de la voix de Ludwig. Je devrais être habituée pourtant, mais j'ai remarqué qu'il aime se déplacer sans bruits, sûrement pour mieux me surprendre.
- Je penses à Georges.
- Et moi qui pensais que tu rêvais de moi.
Je lui lance un regard de travers.
- Je plaisante bien sûr.
Il enfonce ses mains dans ses poches de pantalons et se balance d'avant en arrière prenant appuis sur ses talons.
- Je suis vraiment désolé pour ton frère Madeleine. Je sais que ça te fais mal de voir ce que la guerre lui a fait. Mais dis toi qu'il fait parti de ceux qui ont eu la chance de rester en vie.
- À dire vrai je ne sais pas vraiment si le Georges que j'ai connu est toujours vivant...
- La guerre laisse des traces pas seulement sur le corps mais aussi sur l'esprit. Il faut parfois beaucoup de temps pour guérir ce genre de blessures.
- Mais je ne sais pas comment faire.
Ma voix se brise sur les dernières notes.
- Reste celle que tu étais, ne change pas d'attitude, fais comme si de rien était.
Je hoche imperceptiblement la tête. J'appréhende le dîner de ce soir, pourtant je sais que Georges dînera en haut et que cela lui sera tout excusé.

Je pousse, avec le bout de ma fourchette, les quelques légumes restants au fond de mon assiette. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je suis las, je n'ai même pas le courage de terminer mon repas, qui me semble d'un coup répugnant.

- Il devrait se remettre au travail au plus vite. Rester végétatif ne va pas lui rendre vraiment service. Qu'en pensez-vous Fraulin?

Je continue à charier la nourriture visqueuse avant que Ludwig toussotte dans son poing. Ho, c'est à moi que parle de Colonel?

- Et bien je penses Colonel qu'il vaut mieux que je m'abstienne de répondre à cette question.

- Et moi je vous ordonne de répondre à ma question.

Sa voix est posée, le calme avant la tempête.

- Je te tiens pas à me disputer avec vous ce soir Colonel, après tout peut-être que cela vous amuse, je commence à me poser la question parce qu'il faut sans cesse que vous abordiez les sujets qui fâchent.

Il se lève d'un bond et j'en fais autant.

- Veuillez m'excuser je vais me reposer.


Allongée dans la paille, les bras sous la tête je songe à tout cela. La journée à été plutôt atroce et mes nerfs ont été mis à rudes épreuves. J'aime mon frère, énormément, mais le voir de cette façon me déchire. Je vais suivre le conseil de Ludwig, être patiente et rester celle que j'ai toujours été.

Ludwig, le pauvre, lui aussi a eu sa part aujourd'hui. Je serais bien montée le voir mais sa chambre est en face de celle qu'occupe maintenant Georges. Zut je n'ai pas pensé à prendre de livre!

Je me lève, enfile mes chaussures sans même mettre de chaussettes, descends l'échelle et après slalomé entre les tentes j'entre dans la maison. Il n'est pas très tard mais je n'entends pas de bruit.

Au moment de pousser la porte je me rends compte qu'un filet de lumière passe par dessous. Peut être est-ce Ludwig ? Au souvenir que nous avons en commun dans la bibliothèque, mon coeur se réchauffe. Je pousse doucement la porte et avance d'un pas. Dans la coin, devant le bar des Allemands, me tournant le dos, Georges se sert un verre. Je m'arrête et recule sans un bruit.

- Prends ton livre et vas t'en.

Je décide d'ignorer son ton cinglant.

- Comment sais tu que c'est moi?

- Qui d'autre lit des livres dans cette maison ? Papa est mort, il ne reste donc plus que toi. Et si c'est un Allemand qui lit des livres français alors je me méfirais à ta place.

Je garde pour moi que Ludwig, lui, se cultive par des lectures, françaises notamment.

- Toi aussi tu lis beaucoup !

Il lance un rire sarcastique.

- Ha oui? Ce que je peux te dire c'est qu'il est difficile de tenir un livre et d'en tourner les pages quand on a un bras en moins!

Je ferme les yeux, il a mis le doigt sur ma bêtise.

- Excuses-moi. Je n'y pensais plus.

- C'est là tout le problème, tu ne penses pas Madeleine!

Devant les éclats de voix je vois Ludwig déboucher dans l'entrebâillement de la porte. Je lui fais signe de la main de ne surtout pas intervenir, Georges, ayant le dos tourné,ne sait même pas qu'il est là.

- Bonne nuit Georges.

Il ne prend pas la peine de me répondre et je ne m'attends pas à ce qu'il le fasse. Je le laisse seul avec sa douleur.

A peine la porte fermée Ludwig me prend dans ses bras, c'est la toute première fois qu'il le fait. Ce geste spontané, destiné à me réconforter, m'émeut aux larmes. Nous sortons, ses bras toujours autours de mes épaules.

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