Chapitre 7 : Sri Lanka

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Le Surprise s’échoua en catastrophe sur la plage de Palk bay, à l’extrémité nord du Sri Lanka. Les matelots anglais peinèrent à éteindre les derniers foyers d’incendie qui sévissaient toujours à bord et ce ne fut qu’à la nuit tombée que les volutes de fumée noirâtres qui s’échappaient de la coque finirent par se dissiper. Ils montèrent le campement pour la nuit, et la plupart des hommes dormirent sur la plage.

Le lendemain matin, Calloway fut réveillé à la porte de sa cabine, épargnée par les flammes.

— N’entrez-pas, une minute, je m’habille.

Il se leva, enfila ses bas de chausses blancs, sa chemise et redingote rouge d’officier. Il jeta sur Rosemary le drap de sa couche afin qu’elle cache sa nudité. Depuis sa trahison au monastère de Bois-Court, la novice était devenue la favorite de l’Amiral. Il avait vite mis de côté l’idée qu’elle avait l’âge d’être sa fille, et l’avait couverte de bijoux, et de robes des plus élégantes contre la compagnie qu’elle lui offrait, le soir venu.

— Entrez.

Son second s’introduisit dans la cabine richement décorée de l’amiral, et darda un regard dédaigneux vers la sœur. Calloway lui demanda de dresser le bilan des pertes et l’étendue des dégâts sur la frégate. Les conclusions de ce dernier furent déplorables.

— Capitaine, nous avons perdu quarante-neuf des deux cent quarante hommes d’équipage dans la bataille, et le moral des troupes est au plus bas. Il y a dans la coque une voie d’eau haute de six pieds de haut qu’il nous faudra des semaines à réparer, même avec l’aide des meilleurs charpentiers de marine du monde. Enfin, le feu a ravagé nos réserves de nourriture ainsi que certaines de nos voiles. Si la civadière est récupérable, la misaine, le petit perroquet et le petit hunier ont été détruit par les flammes, ainsi que la plupart des haubans, des étais et des drisses du mât de misaine.

— Voilà qui est fâcheux, pesta l’amiral. Combien de temps estimez-vous que cela prendra ?

— C’est difficile à dire, mais je doute que nous soyons sur flot avant au moins une lune.

— Impossible. Les pitreries de ce maudit français ont assez duré. Il est temps de l’envoyer par le fond une bonne fois pour toutes, ainsi qu’il le mérite.

Sur les ordres de l’amiral l’équipage fut divisé en trois groupes. Le premier avait pour rôle de se rendre dans la forêt bordant la plage et de débiter des arbres afin de fournir le bois nécessaire aux charpentiers pour réparer la coque. Un second groupe était missionné pour chasser du menu gibier et ramasser fruits et tubercules dans le but de reconstituer leurs réserves de vivres. Enfin, le dernier groupe était chargé de réaliser les réparations à bord de la frégate. Bien que démoralisés, les hommes n’en mettaient pas moins de cœur à l’ouvrage, et les réparations avançaient plus vite que prévu. Cependant, deux problèmes majeurs persistaient. Ils n’avaient pas assez de toile en réserve pour reconstituer les voiles du mât de misaine, et les lianes que les hommes avaient rapporté de la jungle en remplacement des haubans se révélèrent bien trop lourdes et trop peu résistantes pour supplanter les cordages. Calloway ordonna donc que les canots soient mis à l’eau et postés dans le détroit afin d’arraisonner tout navire britannique ou français qui croiserait dans ces eaux.

Une semaine à peine après leur échouage forcé, une division de deux frégates et un navire de ligne britannique entrèrent dans le détroit par sa pointe Sud-Ouest. Le commandant du HMS Zealous, un certain Nelson, était de retour en Inde où il avait fait ses premières armes. Calloway étant son supérieur hiérarchique, il ne rechigna pas lorsque ce dernier réquisitionna ses hommes, les voiles de ses frégates ainsi qu’une partie de son gréement. La division Nelson avait été missionnée par la couronne pour renforcer les navires de la East India Company, qui rencontrait à Madras une forte résistance depuis la chute de l’empereur Moghol. Ils transportaient principalement des troupes terrestres et pourraient se passer d’une partie du gréement pour rejoindre la ville à une centaine de lieu seulement au nord du Sri Lanka. Ils partagèrent même une partie de leurs vivres avec l’équipage du Surprise.

— Calloway, j’y songe, justement, le roi m’a remis une lettre d’Elizabeth à votre égard.

L’amiral décacheta le sceau royal et lut la lettre. Elizabeth lui demandait, outre ramener Surcouf, de mettre fin à la rébellion française à Pondichéry, le comptoir ayant refusé de lui prêter allégeance.

— Commandant Nelson, je vais devoir vous demander une énième faveur. Avant de remonter sur Madras, pourriez-vous, vous et vos hommes, me fournir le renfort nécessaire au muselage de Pondichéry ?

Il lui fit lire la lettre et l’Anglais accepta.

Une dizaine de jours plus tard, le Surprise était réparé, de nouveau prêt à appareiller. La veille de leur départ, ils croisèrent la route d’un brick français qui entrait dans le détroit par le Nord. Les frégates lui barrèrent la route. N’ayant d’autre choix que de se soumettre, le capitaine du brick les invita à diner. Calloway demanda à Rosemary de l’accopagner. La jeune fille à la chevelure de feu portait pour l’occasion une robe bleu ciel orné de broderies dorées. Ils montèrent à bord du brick accompagnés de Duncan – son officier de navigation –, de Nelson, et des deux capitaines de frégates. Les mondanités d’usage furent rapidement expédiées, et le diner se transforma rapidement en un interrogatoire des plus poussés. Il se trouva que le navire transportait des métaux précieux depuis Chandernagor, et avait fait escale quelques jours plus tôt à Pondichéry.

— Avez-vous croisé la route d’un cotre corsaire ? demanda Calloway.

— Un corsaire ? je ne crois pas, répondit l’homme.

— Le Renard, dont le capitaine est un certain Surcouf.

— Le Renard… non, je n’en ai pas entendu parler… Surcouf… ce nom me dit quelque chose, oui ! Surcouf. C’est l’homme qui a tué un marchand nantais car son élevage de porc nuisait à la santé des enfants, selon les sœurs bénédictines, se rappela le capitaine. On parlait de cette histoire dans toutes les auberges de la ville !

— Les Bénédictines ? dites-vous ? répéta Calloway. Cela me conforte dans l’idée que Surcouf est sur la piste de leur trésor, pensa-t-il. Et le Renard est-il toujours à Pondichéry ?

— Je ne crois pas, non, répondit le capitaine. Les évènement que je vous relate se sont produits près d’une semaine avant mon arrivée.

— Où Diable le Français a-t-il bien pu aller ?

— Si je puis me permettre, intervint Duncan, les monastères Bénédictins sont répartis dans presque tous les comptoirs français. Il peut très bien s’être rendu à Chandernagor comme à Canton. La question que nous devrions nous poser, c’est comment rattraper cette semaine de retard, et éventuellement lui bloquer la route.

— Nous avons une flottille à notre disposition, enchaîna Calloway. Nous devrions séparer nos forces. Nous ne pourrons malheureusement pas compter sur la flotte française du Levant, qui a fait défection à la reine, mais la Royal Navy est suffisamment présente dans ces eaux pour traquer ce scélérat. Nelson, nous allons nous séparer. Vous prendrez la route de Pondichéry avec vos navires, et une fois que vous aurez fait entendre raison à ces rebelles, vous longerez la côte jusqu’à Chandernagor. Ne laissez aucun cotre croiser votre route sans l’arraisonner et le fouiller de fond en comble. Surcouf est passé maitre dans l’art du déguisement et il m’a bien trop souvent échappé de cette manière.

Il s’adressa ensuite au capitaine du Brick.

— Restez ici et bloquez la sortie du détroit. Missionnez le premier navire britannique que vous croiserez de prendre votre place et d’informer les navires de la Royal Navy de patrouiller entre les iles Bourbon et de France. Si la mission du Français dans l’Indien est terminée, il tentera probablement de contourner le Sri Lanka pour éviter de nous croiser et filera au Sud-Ouest vers les îles pour ravitailler avant de repasser le cap de Bonne Espérance. Pour ma part, j’irais vers l’Est en direction de Canton, en espérant rattraper ce maudit Renard, et si je ne croise pas sa route, je rebrousserai chemin pour lui couper la route. D’une manière ou d’une autre, nous le prendrons en tenaille, et il n’aura d’autre issue que de nous tomber dans les bras.

Ils répétèrent ainsi les plans de l’amiral une bonne partie de la soirée afin de s’assurer que chacun avait bien compris son rôle puis se quittèrent. Le Surprise appareilla dans la nuit, refusant de prendre une nuit de retard de plus sur le cotre corsaire.

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Trois jours. Voilà trois jours qu’une avarie avait cloué le Renard sur place. La vergue de perroquet s’était décrochée sous une bourrasque, et ils n’avaient pas pu arriser à temps. Une erreur de jeunesse que ne pouvaient pas se permettre des matelots de leur trempe. Dans sa chute, cette dernière avait déchiré le hunier. Et comme le sort s’acharnait à leur être défavorable, le vent du Sud qui leur avait permis de quitter Pondichéry à vive allure avait tourné vers l’Ouest. Au grand largue, ces deux voiles étaient celle qui permettaient au cotre d’avancer, tandis que les focs et la grand-voile n’étaient que d’une importance secondaire. Pire encore, le courant équatoriale les repoussait vers la façade Est de L’Inde, si bien qu’il avait reculé d’une cinquantaine de milles lors des dernières soixante-douze heures. Alizée dut mettre à profit ses talents de couturières et de chirurgienne pour réparer le hunier tandis que Tag et Heuer, les jumeaux ingénieurs, menaient les opérations de réparation du perroquet.

Les réparations faites, ils purent finalement hisser le hunier au braguet et reprendre leur marche en avant.

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