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Le charmeur de loups revient sur le lieu de l'attaque d'Henri Berlot. Il est à peine arrivé que le mâle gris s'arrête, les oreilles et la truffe pointées en direction de la grande route qui passe non loin de là.

  • Sors de là, ton odeur t'a trahi, bougonne le meneur.
  • Vous allez finir par me vexer ! Je fais pourtant attention, proteste André en surgissant, gêné, des sous-bois.

Le naturaliste, moins chargé qu'à l'accoutumée, continue de prendre des notes dans son carnet en le rejoignant. Logeant dans une des auberges fréquentée par les mécaniciens du chantier, il porte sur lui le même fumet désagréable et irritant que les machines. D'ordinaire, quand il vient étudier la meute, le jeune homme prend garde à cela. Manifestement, il n'avait pas prévu la rencontre d'aujourd'hui.

  • Je n'aurai jamais imaginé vous voir ici. Encore moins avec lui, dit André en désignant le grand loup.
  • Pourquoi donc ? s'étonne le serreux. Ce n'est pas de notre fait.
  • Ce n'est pas ce que pensent les gens. Ce sont les seuls loups des environs. De plus, je prendrais garde à votre place. Le lieutenant de louveterie d'Argenton-sur-Creuse a été appelé. Il ne saurait tarder. Je n'aimerais pas vous voir dans l'embarras.
  • Le louvetier n'a pas à venir. Ce n'est pas un loup qui est responsable de ces attaques. Et ceux qui le croient sont des sots. Et même si c'était un loup, ce n'est pas à lui de régler l'affaire.

André reste un instant perplexe devant l'assurance du meneur. Mais, intrigué, il poursuit :

  • Comment pouvez-vous être sûr qu'il ne s'agit pas d'un animal enragé ?
  • Les morsures sont bien trop brouillonnes. Et là, dit-il en désignant une trace sur le sol, cette empreinte de pattes est bien trop profonde pour sa taille. Quelle bête pourrait avoir un tel poids ?
  • Qu'est-ce donc alors ? lui demande le scientifique, soucieux.

Le charmeur de loups n'ajoute rien. S'il l'osait, il dirait que l'attaque des Aufour et du grand Berlot ne sont pas le fait de la même créature. Les mâchoires ont en effet laissé des marques légèrement différentes. Il y aurait-il plusieurs maubêtes ? Où peuvent-elles bien se terrer ? Comment se fait-il que la meute n'ait jamais senti leur présence sur leur territoire ?

Devant le mutisme de son interlocuteur, André poursuit :

  • Avons-nous là une nouvelle bête à inventorier ? Avec un tel spécimen, ma carrière serait lancée ! déclare-t-il sur un ton faussement enjoué. Ou... – le ton du jeune homme se fait plus posé – s'agit-il d'un de ces êtres anciens dont vous m'avez parlé l'autre fois ? Celui qui dort ?
  • Non. Celui-là tuait pour se nourrir. La malbête tue, mais ne mange pas, répond le meneur en fronçant les sourcils.

Entre les odeurs de sang séché et de terre, le loup perçoit un léger effluve, froid et piquant. La bête retrousse ses babines et s'empresse de recouvrir de ses propres émanations ce parfum étrange. Prêtant attention au manège du grand mâle, les deux hommes le regardent fureter de plus belle. L'animal finit par débusquer des traces à peine visibles. Leur faible écartement laisse penser que la malcréature est arrivée à vive allure. Elle n'a donc pas guetté et bondi sur sa proie comme le ferait n'importe quel prédateur, mais a foncé sur le Berlot comme si elle le reconnaissait. En s'approchant d'un peu plus près, le charmeur de loups constate que des empreintes de bottes se mêlent à celles de pattes.

  • Les maladroits, s'exclame André. Les paysans ont tellement piétiné les lieux qu'on ne voit rien !

Mais le meneur n'est pas de cet avis. Les hommes d'ici ne portent pas de solides souliers de cuir. Jouant machinalement avec sa barbe mal entretenue, le serreux reste pensif devant la tournure étrange que prennent les événements. La malbête a surgi là, sans raison, et des gens sont venus la chercher. Il garde ses observations pour lui quand André prend congé. Il ne veut pas décevoir le jeune scientifique qui rêve déjà d'une créature inconnue à étudier.

Soudain, le loup qui somnole en lui gronde au creux de son poitrail. Le sang bat plus fort contre ses tempes et ses muscles s'assouplissent. Sa silhouette se redresse. Un court instant, l'instinct prend le pas sur la raison. Là-bas, dans les environs de Mosnay, deux vies s'écourtent. Et tandis que les dernières représentantes de la lignée d'Edmée s’éteignent, les souvenirs retournent à la poussière et les forces lui reviennent. Il ferme les yeux et reste un moment interdit, savourant cette nouvelle vitalité qui s'écoule en lui. Le mâle gris, tête en arrière et museau relevé, pousse un long chant grave bientôt repris par l'ensemble de la meute disséminée dans la forêt. Chaque loup hurle sur un ton différent, donnant ainsi l'impression que le groupe est bien plus nombreux qu'il ne l'est actuellement. Les voix s'élèvent vers le ciel et s'y mêlent. Puis, la clameur cesse.

Le meneur ressent comme un fourmillement au bout des doigts. Son sixième sens retrouvé l'alerte qu'il se passe quelque chose un peu à l'ouest, vers Tendu. En soupirant, il se résigne à la course éreintante qui s'annonce. Cette fin de journée lui paraît bien mouvementée.

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