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Quand le jeteur de sorts arrive en début de soirée, l’effervescence a envahi le village. Un brave garçon du coin a réussi à acculer le monstre. Le serreux laisse son mâle dominant en lisière de forêt, comprenant que ce n'est pas le moment pour lui de se mêler au soulagement général.

Au milieu de l'attroupement des badauds, il reconnaît les bicornes et les couleurs de la compagnie de louveterie d'Argenton. Agacé, il constate que le lieutenant est arrivé en grande pompe, avec hommes et animaux.

  • Je viens voir la malbête.

Le charmeur de loups ne s'encombre pas de courtoisie. Avant que le louvetier n'ait le temps de protester, les paysans le conduisent vers la grange où le cadavre de la bête a été déposé en attendant qu'un photographe immortalise, le lendemain, la prise. Le chasseur, visiblement fâché, rejoint le meneur dans la bâtisse. Devant l'air fermé de son interlocuteur, le lieutenant de louveterie tente d’entamer la conversation.

  • Quand je suis arrivé, la créature avait déjà été tuée.
  • Vous avez amené vos tireurs, le blâme le serreux.
  • Bien sûr ! Quatre personnes ont été attaquées, des dizaines de moutons et chèvres ont été mordus et vont devoir être abattus. Je ne pouvais que prendre les mesures qui s'imposaient !

Le charmeur de loups ne réagit pas devant la vindicte de son interlocuteur. Il se contente d'observer la dépouille posée à même la paille.

  • C'est l’œuvre du jeune Foulatière ? Il a jamais rien eu dans les bras.
  • À ce qu'on m'a dit, rétorque l'officier, ce garçon valeureux l'a maintenue au bout de sa fourche alors que la bête enragée allait se jeter sur son troupeau. Heureusement, ses parents ont entendu son appel et sont venus lui prêter main forte.
  • Et le Berlot n'a rien pu faire contre ça ? demande le jeteur de sorts, perplexe, en désignant la dépouille. Avec sa poigne ? Grotesque.

Le serreux tourne autour de l'animal, un vieux loup, au pelage dégarni et aux flancs creusés.

  • Comment une créature aussi misérable peut causer autant d'ennuis ? continue-t-il autant pour lui-même que pour le louvetier. Pas ici... Pas sous ma protection...

Il s'arrête, intrigué par un détail. Il s'approche plus près et constate qu'une épaisse pointe de métal entaille cruellement la chair de la patte arrière droite.

  • La voilà votre rage, se raille-t-il d'une voix caverneuse en retirant l'aiguille de la plaie.
  • Je ne veux pas d'un nouveau Gévaudan ici, lui répond sèchement l'officier. La bête est morte, c'est ce qui compte.

S'il avait su, le charmeur de loups aurait laissé le père du lieutenant mourir quand il s'était fait mordre par un chien enragé, enfant. Cela lui aurait évité d'engendrer un idiot. Il n'y a rien de plus désagréable que de se retrouver avec un sot pour louvetier.

Un lourd silence s'installe entre les deux hommes.

  • Vous avez rompu la promesse de votre grand-père, finit par dire le serreux. J'ai priorité sur les affaires de loups.

Le lieutenant de louveterie, en arrivant avec son équipage de chasse, avait clairement mis fin à l'accord passé avec son ancêtre.

  • Promesse que vous avez escroquée à mon grand-père, lui reproche le chasseur. Si c'était bien de vous dont il s'agit. Ce dont je doute fort. Mon aïeul et mon père ont peut-être cru naïvement à vos boniments, mais ce n'est pas mon cas. J'ai été à Paris, ajoute-t-il comme si ce détail importait. J'ai été décoré pour bravoure. Je me suis élevé au-dessus des superstitions berrichonnes. C'est la dernière fois que j'ai affaire à vous, continue-t-il en bombant le torse et en haussant la voix. Contrairement à moi, vous n'avez aucune autorité légitime sur les gens d'ici.

L'officier finit sa tirade en faisant mine d’enlever une poussière imaginaire des pavements de son habit-veste pour clore la discussion.

Une lueur fauve s'allume au fond des prunelles du meneur et leur redonne la couleur ambrée qui avait tant attiré Edmée autrefois. Dans un des coffres du grenier de la demeure familiale du louvetier, un paquet sans forme, vestige d'un accord désormais caduc, s'affaisse, son contenu réduit en cendres. Laissant le lieutenant à son sort, l'homme aux loups repart vers les sous-bois.

Rôdant près de la ferme des Foulatière, il retrouve la trace de la créature abattue. Des empreintes de chariot lui apprennent que, contrairement à la bête du Berlot, elle semble avoir été déposée là. La chasse ne fait que reprendre.

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