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Quand ils parviennent au village, le petit Jean a déjà rendu l'âme. Son corps, recouvert d'un linge, repose dans la salle commune d'une masure au toit bas. Le jeteur de sorts esquisse un sourire qui dévoile ses dents. Rancunier, il s'était assuré qu'aucun descendant mâle d'Edmée et de son sous-officier ne puisse vivre très vieux.

Le plus âgé des hommes, Charles Aufour – probablement l'époux de Marie, mais le charmeur de loups ne se soucie guère de ces détails – le conduit jusqu'à l'unique chambre attenante. Les voisines, venues en renfort, se signent à son entrée. Elles plissent le nez sous les effluves d'humus et de sous-bois qui emplissent la pièce et s'empressent de sortir. Les bigotes font tout autant de simagrées quand leurs maris lui sacrifient une bête chaque année pour assurer la prospérité de leurs troupeaux. Il leur lance un regard mauvais, un de ceux dont on prétend qu'il peut faire tourner le lait dans le pis d'une vache. Dès que la dernière femme est partie, le loup gris se couche négligemment devant la porte.

Dans un coin de la chambre, le meneur aperçoit le robuste coffre en bois, qu'Edmée avait reçu en dot et qu'elle affectionnait tant. Avec elle, il n'avait jamais été question de sentiments ou d'avenir. Le serreux de loups avait été évincé, non pas parce qu'il était moins fort ou moins bon chasseur qu'un autre. Edmée avait seulement des besoins qu'il n'avait su comprendre. Puis, elle était devenue une vieille femme usée par les frasques de son mari et la mort prématurée de ses fils. Mais même à ce moment-là, il avait continué à tenir à elle.

L'homme aux loups secoue la tête pour chasser les souvenirs et s'agenouille au chevet des deux victimes inconscientes. Une partie du visage et de l'épaule de Marie Aufour a été emportée alors qu'elle s'interposait entre la malcréature et ses enfants. Mais dans ses traits défigurés par la souffrance, elle ressemble encore à son aïeule. Les blessures au cou de sa fille, Marguerite, sont tout aussi préoccupantes.

Grand-ma' Edmée disait que vous les protégeriez.

Charles le fixe intensément, empli de crainte et d'espoir. Le meneur le dévisage longuement avant que l'homme ne finisse par baisser les yeux.

Le serreux saisit la main sans force de la fillette, si menue et fragile dans ses grandes pattes calleuses. Il se concentre sur la respiration difficile de ce petit corps, mais ne perçoit rien. Intrigué, il soulève avec douceur les pansements et grogne de désapprobation devant la laideur des plaies. De lourdes mâchoires peu assurées ont laissé des traces brouillonnes.

Ce n'est pas un loup, murmure-t-il.

Il n'y a donc aucune blessure qu'il puisse guérir ni aucune rage ou fièvre à barrer. Et à cause de cela, dans quelques souffles, dans quelques jours, il ne restera rien d'Edmée, à part une pointe de regret dont il n'a jamais réussi à se défaire.

Soudain, le cours de ses pensées est interrompu par un des gamins du village qui surgit en trombe.

  • La malbête a encore attaqué ! La malbête a encore attaqué ! répète-t-il. Le grand Berlot est blessé !

Tandis que le garçon raconte le combat acharné du solide moissonneur contre le loup enragé, les habitants de Mosnay se tournent vers la maison des Aufour en deuil. Nul dans les environs n'ignore qu'Henri Berlot a été maudit il y a quelques mois. Comment le père Aufour a-t-il pu aller chercher le sorcier ? Les histoires anciennes remontent dans les mémoires pendant que les commères déversent leur fiel. Il paraîtrait même que la mère de la mère de Marie Aufour fricotait avec le jeteur de sorts. La vieille Edmée en avait fait de bien belles dans sa jeunesse et ce n'est que justice si les malheurs s’acharnent sur sa maisonnée.

Sous le regard accusateur des villageois qui s'écartent à son passage, le meneur sort de la chaumière des Aufour, laissant derrière lui un père et mari affligé. Sans grande illusion, il décide de se rendre chez Henri Berlot, un peu plus loin, à l'écart de Mosnay.


Au-dessus du seuil de la porte d'entrée, il ne reste que quelques os d'oiseaux qui se croisent de façon improbable. Le charmeur de loups soupire : l'homme ne passera pas la nuit.

En effet, le solide paysan n'a pas été plus chanceux que les deux gardiennes de chèvres. Sa rencontre avec la créature lui a rapporté une main broyée et une oreille déchirée. Sa poitrine, lacérée par de profondes griffures, le fait gémir à chaque respiration.

Le meneur palpe les plaies et reste songeur. Il faudrait une bête bien forte, mais maladroite, pour obtenir de telles meurtrissures. Il continue de penser qu'il ne s'agit pas d'un loup. Quelque chose s'est introduit sur son territoire et choisit ses proies. Le serreux ne croit pas aux coïncidences. Marie Aufour, Henri Berlot, les deux lui sont liés. L'une par un serment passé, l'autre par une malédiction qui a fini par se déclencher.

La remise en marche de la fonderie aurait-elle dérangé une présence ancienne ? André lui a bien parlé de quelques reliques déterrées. Mais il semble au jeteur de sort que les premières agressions concordent avec le moment où l'appel inconnu s'est emballé. Serait-ce parce qu'il a tenté de capturer ce son étrange que ces drames se sont produits ? En cherchant à piéger la malcréature, l'aurait-il poussée à agir contre lui d'une manière ou d'une autre ?

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