Chapitre 10.2

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- Tu vas bien ? s’enquit Heidi. Tu es pâle.

Je secouai la tête, forçant mes lèvres à former un sourire.

- Perdue dans mes pensées, c’est tout, ne t’inquiète pas.

Je savais que je n’étais pas capable de la tromper, nous nous connaissions depuis nos six ans, et nous avions vécu ensemble si longtemps que chacune de nos expressions nous étaient aussi claires que du cristal, mais un petit mensonge de la sorte la rassurerait tout de même : je n’allais pas mal au point où j’avais besoin de son aide, aussi pouvait-elle se permettre de passer son chemin sans s’occuper de moi.

Cependant, elle s’attarda un instant. Son poids passait tour à tour sur l’une ou l’autre de ses jambes, ses doigts serraient les dossiers. Ses yeux étaient légèrement fuyants. Oui, nous connaissions chacune des petites expressions des unes et des autres, et celle-là signifiait que quelque chose lui pesait sur le coeur.

Je tendis la main vers son épaule, l’effleurant sans vraiment la toucher.

- Tu as besoin de me parler ? demandai-je doucement.

J’espérais un peu que non, je voulais rester seule et pouvoir réfléchir tranquillement, mais elle était ma soeur, je ne pouvais pas juste… partir. Elle hocha la tête sans me regarder.

Résignée, je saisis la moitié de ses dossiers pour la soulager de leur poids puis la guidai jusqu’à ma chambre, où nous pourrions échanger sans être dérangé. Heidi posa sa pile sur mon bureau, frotta distraitement ses doigts endoloris et s’installa sur mon lit. La pièce était petite, si bien que nos genoux se touchèrent quand je m’assis en face d’elle, sur l’inconfortable siège de bois. Je ne la pressai pas. Si elle voulait s’ouvrir, elle le ferait à son rythme. ///////// ???? ////////

Le silence se poursuivit entre nous. Je regrettai une nouvelle fois de ne pas avoir de fenêtre ; j’aurais pu regarder le paysage, la vision des murs blancs n’étant pas des plus distrayantes. J’attrapai un crayon puis commençai à gribouiller sur une feuille libre. Je n’avais jamais été douée pour le dessin même si j’étais capable de réaliser un croquis réaliste. C’était une compétence qui pouvait s’avérer utile sur le terrain. J’ajoutai un sourcil arqué ici, un trait de mâchoire vigoureux par là.

- Tu me promets de ne rien répéter ?

La voix d’Heidi me tira brusquement de mes pensées. J’avais oublié sa présence. Rougissant légèrement, je couvris à l’aide d’un carnet le visage de la Main Antoine, bien que ma soeur ne puisse pas le voir depuis le lit.

- Je veux dire… reprit Heidi, la voix un peu tremblante, je…

Ce n’était pas dans ses habitudes de s’exprimer si peu clairement, son moyen de communication ordinaire relevant plutôt de la charge du taureau, aussi je commençai à m’inquiéter.

- C’est que je ne sais pas vers qui me tourner, finit-elle enfin par dire.

Ses yeux rencontrèrent enfin les miens. Ils étaient ronds, sombres mais un peu humides et emplis de ce qui me sembla être de la crainte. Fronçant les sourcils, je me penchai vers elle pour serrer sa main.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

Elle retira ses doigts d’entre les miens, détourna à nouveau le regard et se leva. Elle commença à rassembler ses dossiers.

- Désolée, ce n’est rien, je sais que tu ne peux pas garder le silence, je comprends, je ne te demanderai pas de mentir aux Dames, ça ne serait pas juste.

Les mots se bousculaient hors de sa bouche. De plus en plus intriguée, j’attrapai son bras pour l’empêcher de fuir.

- Je te promets de ne rien répéter, proférai-je d’un ton calme. Est-ce que j’ai déjà manqué à l’une de mes promesses ?

Elle serra les lèvres, mais secoua la tête. J’avais promis de lui trouver un nouveau couteau quand elle avait perdu le sien quand nous avions huit ans, et dès le lendemain je m’étais exécutée. J’avais promis de l’aider à s’améliorer en combat rapproché quand nous avions neuf ans, et nous avions pris l’habitude de nous entraîner tous les soirs durant notre temps libre. J’avais promis de lui raconter ma première mission en tant que Demoiselle, et je l’avais fait. Je tenais mes promesses et elle le savait.

Comme vaincue par les souvenirs qui nous liaient, Heidi retomba sur mon lit. Ses lèvres tremblaient.

- Vraiment ? demanda-t-elle enfin d’une petite voix qui soudainement redonnait à ses quinze ans leur réalité.

- Vraiment.

- Promis ?

- Je te le promets. Maintenant, dis-moi ce qui te pèse.

Ses épaules retombèrent, la tension disparue. Ses doigts trouvèrent leur place entre les miens et elle sembla puiser du courage dans notre contact.

- Dame Veelann veut que je supervise l’exécution d’une Porteuse.

Son murmure parvint à mes oreilles comme une claque.

- Bienvenue à ce premier rassemblement de la milice.

Axel observe ses volontaires. Ils sont plus nombreux qu’elle ne l’avait pensé, un peu plus de vingt, dont les âges varient entre quinze ans pour Adrien et la cinquantaine pour la joviale Valérie. Les profils aussi sont divers, il y a là d’anciens membres de l’Organisation ; des Dames, des Mains, des Aspirants, des Novices. Deux anciennes Pondeuses. Mais il y a aussi des civils, comme la nouvelle compagne de Keith. Un sourire monte aux lèvres de la jeune femme. Son ami avait été si fier de la lui présenter ! Elle est heureuse de voir qu’il a pu se reconstruire une vie plaisante, après son affreuse évasion.

Axel jette un coup d’oeil à Adrien, assis non loin de son père. Le garçon a énormément changé depuis leur rencontre, quittant sa carcasse d’enfant battu, terrifié et sous-nourri pour devenir ce jeune homme certes toujours fin, mais définitivement plus assuré. Captant son regard, il lui sourit.

Elle claque ses mains l’une contre l’autre.

- Bien. Il me semble que la plupart d’entre vous ont déjà eu un minimum d’entraînement, cela permettra de faire des groupes entre ceux qui ont les bases et ceux qui doivent les apprendre.

Axel réfléchit à toute vitesse. Elle avait plus ou moins décidé l’organisation de cette première séance, mais maintenant qu’elle se trouve là, devant eux, son assurance fond. Et si ce n’était pas suffisant ?

Une main se pose doucement sur son épaule, la faisant sursauter. Elle n’a pas besoin de se retourner pour savoir qui se tient dans son dos et elle se détend, une agréable vague de chaleur parcourant son corps.

- Pardon du retard, dit Antoine, qui l’embrasse sur la joue avant de rejoindre les autres.

Elle l’excuse d’un mouvement de la main, réconfortée par sa présence. Il est de plus en plus souvent absent ces derniers temps, distrait, perdu dans ses pensées ou restant travailler jusqu’à des horaires tardifs. Le voir la rassure toujours.

La voix plus assurée, Axel reprend :

- Pour commencer, je pensais parer au plus urgent, c’est-à-dire la manipulation des armes à feu. Puis nous pourrons passer aux combats plus… corps à corps. Hum, je pensais aussi instaurer des courses matinales, pour que tout le monde se remette en forme - ou garde son état actuel.

Keith tapote d’un air amusé son ventre.

- C’est vrai qu’on pourrait finir par s’enrober par ici !

Son ton est à la blague, mais comme tous les présents, il semble parfaitement conscient des circonstances et des raisons de leur action. Le massacre de l’école est toujours vif dans leurs esprits à tous. Certains ici ont même perdu un enfant dans l’attaque. Axel déglutit, songeant à la chance qu’elle a eu. Elle ne sait pas comment elle aurait réagi si Maddy avait fait partie des victimes.

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