Chapitre 10.3

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La jeune femme se racle la gorge, sortant l’assemblée de son train de pensées morbides.

- Bref, allez, tout le monde se lève ! Qui a déjà manipulé un pistolet ?

Sans grande surprise, tous lèvent la main.

- Qui sait s’en servir ?

Un peu moins de la moitié baisse le bras.

- Qui s’en est déjà servi sur quelqu’un ?

Cette fois-ci, le nombre se réduit à huit.

- Savoir utiliser un pistolet et l’utiliser pour de vrai, c’est très différent. Il va falloir qu’on vous habitue à ne pas hésiter. De toute façon, c’est littéralement une question de vie ou de mort, si vous n’êtes pas le premier à réagir, l’autre tirera sans seconde pensée. Vous le savez, je suppose que c’est pour ça que vous êtes là.

Quelques hochements de tête lui répondent. Axel se redresse. Sa main s’agite vers la malle poussée dans un coin de la pièce.

- Il y a dedans des pistolets vides. Que chacun en prenne un et sorte. Puis, mettez vous par deux, un qui sait l’utiliser, l’autre non. Entraidez-vous. Quand vous vous sentez prêts, chargez les et tentez d’atteindre les premières cibles. N’oubliez pas d’être prudent - oui, je sais, ça peut vous faire rire, mais c’est dangereux, un pistolet. Un faux pas et vous pouvez.... eh bien, tuer un camarade, tout simplement. Je pense que personne ne veut ça, non ?

Le silence est sérieux dans la pièce. Peut-être y est-elle allée trop fort ? Alarmée, elle se tourne vers Antoine, qui secoue légèrement la tête, captant sa question silencieuse. Son sourire est léger, mais rassurant.

- Euh… je suppose que c’est tout… vous avez des questions ?

Un concert de murmures se lève, puis ils se redressent, un à un, piochent une arme et quittent l’endroit. Bientôt, seuls Antoine et Axel restent dans la pièce. Il s’approche et elle s’appuie contre son torse, mentalement exténuée. Puisant du réconfort dans ses bras qui l’enserre, elle se sent bien.

- Ca c’est pas si mal passé, intervient Antoine au-dessus de sa tête.

- C’est vrai que ça aurait pu être pire, bougonne Axel, mais je crois qu’ils ont peur de moi.

Un rire secoue la cage thoracique du jeune homme. Elle recule, piquée, mais il la retient par les poignets.

- Je ne me moque pas ! Promis, ajoute-il après avoir capté son regard sceptique. Ils ont peur, mais pas de toi. Non, non, écoute-moi ! Tu leur as juste rappelé les règles du jeu. Tuer ou être tué. Et ce n’est jamais agréable de s’en souvenir. Surtout pour ceux qui savent ce que ça signifie.

Il se tord le cou pour pouvoir la regarder dans les yeux. Axel sourit devant sa grimace d’effort, caricaturalement accentuée. Elle soupire enfin.

- Tu dois avoir raison.

- Evidemment.

Un rire s’échappe de ses lèvres et elle le repousse d’un geste joueur. Antoine l’attire à nouveau contre lui, l’embrasse puis la lâche en abordant son meilleur air de martyr.

- Allez, le devoir t’appelle !

Axel rit à nouveau, plus légère. Quand elle sort dans la cour rejoindre ses élèves improvisés, son coeur est moins lourd. Toutes ses sources d’inquiétudes principales sont comblées, Maddy est en sécurité auprès de Tanysha (aussi en sécurité qu’il est possible de l’être), Antoine n’est pas entièrement plongé dans des sombres pensées, et elle-même se sent rassurée sur le bien fondé de son idée de milice.

Alors que le soleil frappe son visage et qu’elle entend les exclamations amusées de ses camarades, Axel espère que son plan n’aura jamais à être utilisé.

L’exécution d’une Porteuse. Je déglutis. Toute nouvelle Demoiselle devait en superviser au moins une dans les mois qui suivaient sa promotion. Une manière barbare de s’assurer l’obéissance et la fidélité de toutes les adolescentes qui pourraient commencer à avoir des doutes. La mienne avait eu lieu l’an passé, mais le souvenir était toujours vif. La Porteuse était coupable d’une abortion m’avait dit Laurence, et pas de n’importe quel foetus, l’abortion d’une Mémoire. C’était inexcusable. La seule peine possible était la mort. Et ça avait été à moi de la lui donner.

Heidi était toute nouvellement promue, deux mois à peine. C’était son tour.

J’eus soudainement envie de vomir en me rappelant mes actes si peu glorieux. Quelle horreur.

Je serrai les doigts de ma soeur. Elle poursuivit sans relever la tête :

- Je n’ai pas envie, Axeline, je ne veux pas la tuer. Je ne veux pas tuer tout court. Encore, les hommes pourris jusqu’à la moelle, ceux qu’on doit atteindre, pendant nos missions… mais…

Elle frissonna. Je la comprenais. Je la comprenais mieux qu’elle ne pouvait s’en douter.

- Quand ?

Ma voix me parut surnaturelle.

- Dans trois jours. Ma Source m’a dit qu’elles ne veulent pas tuer directement la Porteuse, car la sentence serait trop douce. Oh ! Axeline, c’est tellement affreux, je n’ai pas envie de la tuer !

A ma grande surprise, une larme coula sur la joue d’Heidi. Heidi, ma soeur si stoïque, celle qui même à notre arrivée n’avait pas pleuré… Mais l’exécution était de trop.

Mon cerveau tournait à toute vitesse. Que pouvais-je faire pour l’aider ? Pas grand chose, à première vue. Et pourtant… J’hésitai avant de me lancer, espérant ne pas me tromper :

- Si tu avais la possibilité de quitter la Maison… tu le ferais ? Je veux dire la quitter pour de bon.

Sa tête remonta d’un coup, frappée de stupeur. Comme piquée, elle retira vivement sa main de la mienne et me dévisagea.

- Mais de quoi tu parles ?

Si elle jouait bien l’indignation, je percevais la note d’espoir dans sa voix. Je baissai encore le ton, consciente des risques que je prenais.

- Je sais que tu m’as entendue, et mes mots veulent dire ce qu’ils veulent dire, il n’y a pas de sens caché.

Son regard était suspicieux. Elle devait penser que je me jouais d’elle. C’est ce que je penserais à sa place. Je me reculai dans mon siège, serrant mes mains désormais moites l’une contre l’autre pour les empêcher de trembler.

- Je t’ai promis de ne rien répéter, lui rappelai-je. Tu peux me faire confiance.

A ma grande surprise, elle me prit au mot et me fit en effet suffisamment confiance pour se confier plus encore.

Quand Heidi quitta ma chambre avec sa pile de dossiers, elle semblait plus légère. Elle se retourna en passant la porte, m’envoyant un sourire soulagé, un sourire si plein d’espoir que mon coeur se serra. J’espérai être capable de l’aider. Je me levai dès que le battant se referma, incapable de rester immobile plus longtemps. Il fallait que j’agisse.

Et que j’agisse vite.

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